Composition : LES MÉMOIRES DE LA SECONDE GUERRE MONDIALE EN FRANCE DE 1945 A NOS JOURS
Publié le 05/12/2011
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La France est sortie de la Seconde Guerre Mondiale durement touchée, humainement et matériellement. Il est plus délicat d’envisager l’aspect moral dans la mesure où il met aux prises l’Histoire (des faits et des logiques) à des souffrances traversées par des hommes et des femmes durant cette période. Mais alors que l’objectif est clairement de reconstruire le pays, les mémoires émotionnelles de chacun ne peuvent se taire définitivement. Comment les mémoires de la Seconde Guerre Mondiale ont-elles évolué en France de 1945 à nos jours ? Nous considérerons d’abord la mise en place d’une mémoire officielle jusqu’à la fin des années 1960 puis le retour d’un passé refoulé jusqu’à la fin des années 1980 avant d’envisager dans une troisième partie la reconnaissance des blessures de chacun et la responsabilité de l’Etat. De 1945 à la fin des années 1960, la mémoire officielle a entretenu et magnifié au fil des commémorations, le souvenir d'une résistance précoce, de masse, héroïque, et elle a longtemps refusé de reconnaître la singularité et l'horreur du génocide des Juifs, les responsabilités françaises ainsi que la complicité du gouvernement français, dans celui-ci. L’accord s’est fait très tôt, dès 1944-1945, entre les gaullistes et les communistes pour imposer durablement une lecture héroïque et résistancialiste et faire naître le mythe d'une résistance de masse guidée par un chef charismatique ( le général de Gaulle ) pour les gaullistes, et« le parti des fusillés » ( le PCF, « parti des 75 000 fusillés » ) pour les communistes. L’objectif était d’abord de ressouder l'unité nationale et de reconstruire une identité française honorable, afin de se faire respecter par les Américains qui avaient d'abord envisagé de placer la France libérée sous l'administration militaire alliée. Enfin, il fallait créer les conditions d'une reconstruction rapide de notre pays sur le plan politique, administratif et économique. Dans ce cadre, la collaboration était considérée comme un épisode grave mais finalement minoritaire, et qu'il fallait vite oublier. Cette mémoire officielle a conduit au refoulement d'autres mémoires, qui cependant n'ont pas manqué à un moment ou à un autre de resurgir dans une sorte de réflexe identitaire nourri par un besoin de reconnaissance. Les requis du Service du travail obligatoire ( STO ) revendiquent le statut de « déporté du travail » au même titre que les déportés résistants ou politiques qui eux s'opposent catégoriquement à cette reconnaissance et rejettent cet amalgame. Nous pouvons aussi évoquer la mémoire pétainiste, vichyste, attachée après la guerre à développer la thèse du moindre mal et d'un « Vichy bouclier » qui, sous la houlette tutélaire du maréchal PÉTAIN, le vainqueur de Verdun, aurait permis de protéger les Français, de leur éviter le pire, et qui aurait constitué à sa façon une autre résistance, venant compléter celle, qu'armé du « glaive », incarnait le général DE GAULLE à Londres. Il y aurait ainsi eu le « bon Vichy » –celui de Pétain- et le mauvais –celui de Laval… Il y a aussi la mémoire des déportés résistants ou politiques hantés par le souvenir de leurs camarades morts dans les camps de concentration et d'extermination, et que cultivent les associations de déportés. La mémoire juive des rescapés et des descendants des victimes de la Shoah est plus timide alors. Leurs témoignages sont difficilement reçus par la société, puis ils se tarissent. Le film « Nuit et brouillard » en 1956 d’Alain Resnais et Jean Cayrol –à la TV en 1961 -présente une vision univoque des camps : les Juifs, comme les tziganes, homosexuels, témoins de Jéhovah, n’apparaissent pas comme des victimes spécifiques. Dans les départements d'Alsace-Lorraine annexés par le Reich hitlérien de 1940 à 1944 il y a aussi la mémoire des « malgré nous » incorporés de force à partir de l'été 1942 dans la Wehrmacht et dans les unités d'élite de la Waffen SS ; ainsi que la mémoire des « anti malgré-nous », ces jeunes qui ont refusé de porter l'uniforme allemand et qui ont été internés et déportés dans les camps de Schirmeck et du Struthof, ou qui ont fui. Ce passé improprement assumé a ses symboles forts mais aussi des temps de conflit. En 1954, est institué le dernier dimanche d’avril, la Journée Nationale de la Déportation. En 1964, Jean Moulin entre au Panthéon, le concours national de la Résistance et de la déportation est créé ; tandis qu’un vote à l'unanimité du Parlement institue l'imprescriptibilité des crimes contre l'humanité dans le droit français. Toutefois, les lois d’amnistie de 1951 et 1953 divisent les Français. En 1953, le procès du massacre d’Oradour sur Glane divise les Français : les « malgré nous » présents à Oradour sur Glane sont graciés. La même année, le 8 mai devient férié mais six ans après, on veut le supprimer… L’unanimité résistancialiste ne correspondant pas à l’Histoire, elle ne peut s’imposer et à partir de la fin des années 1960, ce passé s’impose comme à reconsidérer. Peuvent l’expliquer d’abord les retombées de la contestation de 1968 avec de nouvelles générations moins personnellement impliquées dans les faits ; l'arrivée à l'Élysée de Georges POMPIDOU qui n'avait pas participé à la résistance, comme la mort de De Gaulle en 1970, réveille l’intérêt des Français pour la politique intérieure de Vichy et la vie des Français sous l’occupation. Enfin, la crise de 1973 insinue le doute sur le passé et une frome de retour afin de recouvrer une identité. La France craint d’être une nation sans mémoire alors que des scandales explosent bruyamment. Les médias ont joué un rôle avec, en 1971, la sortie dans deux salles en France du « Chagrin et la pitié » de Max Ophuls (1969) : une chronique de la vie quotidienne à Clermont-Ferrand sous l'Occupation qui oppose à l'image d'une résistance de masse unanime, l'image d'une France majoritairement lâche et égoïste. Le mythe de la France résistante se brise. Le film n’est programmé à la télévision qu’en 1973 mais il fait scandale ! En 1972, on apprend (par l’Express) qu’en novembre 1971, le président POMPIDOU a accordé sa grâce à l'ancien chef de la Milice de Lyon, Paul TOUVIER. En fuite et recherché depuis la Libération, Paul TOUVIER avait été protégé, hébergé, caché dès cette époque par des ecclésiastiques. Condamné deux fois à mort par contumace au lendemain de la guerre par la Cour de Justice de Lyon et celle de Chambéry, il avait été arrêté en juillet 1947, mais était parvenu grâce à des complicités à s'évader. Désormais, c’est le plus haut personnage de France qui lui a offert des protections ! Enfin, est publié en 1973 en français, « La France de Vichy » de l’Américain Robert Paxton qui montre que ce régime n’est pas un accident et qu’il a correspondu aux tendances profondes de la société française. PAXTON montre que le régime de Vichy n'a cessé de rechercher la collaboration d'État avec l'Allemagne hitlérienne, collaboration dont Hitler se défiait. Il explique que la collaboration et la Révolution nationale sont les deux volets inséparables d'une même politique qui s'inscrit dans la logique de l'acceptation de l'armistice de juin 1940. Les Français vivent désormais dans une double culpabilité : non seulement, ils ont accepté le régime mais ils n’ont pas su ou pas voulu accepter la vérité ni punir les coupables. Au même moment la mémoire du Génocide s’impose et avec elle sa négation. C’est le procès Eichmann (1961) qui la ravive. L’urgence est forte car les déportés vieillissent. En 1978, Serge KLARSFELD publie la liste par convois des 75 721 Juifs déportés de France. Le film « Holocauste » en 1978-1979 qui a l’origine ne devait pas être diffusé en France, fait polémique et ravive les mémoires…Au même moment sont mis en accusation des Français. René BOUSQUET est désigné comme le principal responsable de la répression contre les Juifs. En novembre 1978, les Fils et filles de déportés juifs de France ( FFDJF ), la Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme ( LICRA ) , le Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples ( MRAP ) et la Fédération nationale des déportés et internés, résistants et patriotes ( FNDIRP ) déposent une plainte contre Jean LEGUAY qui avait été le représentant de Bousquet auprès des autorités allemandes de la zone occupée en particulier au moment de la rafle du Vélodrome d'Hiver, mais qui, à la différence de Bousquet, n'avait pas été inquiété à la Libération. Cette plainte aboutit en 1979 à l'inculpation de Leguay pour crimes contre l'humanité. C’est la première fois en France. Ainsi, peu à peu, les Français prennent conscience de la politique anti-juive de Vichy…Cela suscite aussi l’apparition des thèses négationnistes à la fin des années 70 autour de Robert Faurisson (Université de Lyon). Depuis la fin des années 1980, les mémoires de la Seconde Guerre Mondiale sont entendues et la Justice est amenée à intervenir amenant l’Etat à reconnaître ses responsabilités.. Notons d’abord que l’intérêt se déplace et se diversifie dans de multiples directions, celles des victimes et celles des bourreaux. Le film Shoah de C. Lanzmann en 1985 devient de référence. On entend le malaise des descendants de collaborateurs (comme Alexandre Jardin et Patrick Modiano) et les responsables sont étudiés en tant qu’individus ou en tant que groupes. Ainsi le rôle de Jean Moulin est attribué à ses amitiés communistes. « Lacombe Lucien », film de Louis Malle s’intéresse à un jeune milicien en 1974. Mais ce qui est le plus remarquable c’est que nous sommes entrés désormais dans le temps de l’action judiciaire Barbie/ Touvier/Papon) et que celle-ci dévoile la responsabilité de l’Etat. Le S. S. Klaus Barbie est condamné en 1987 pour « crimes contre l’humanité » à la détention perpétuelle pour la déportation des enfants d’Izieu et la mort de Jean Moulin. Il meurt en mort en prison en 1991. Le procès Barbie fournit l'occasion au Premier ministre de l'époque, Jacques CHIRAC, de demander aux enseignants d'évoquer la politique antijuive perpétrée par les nazis avec la complicité du régime de Vichy. Le procès de Klaus BARBIE a été diffusé à la télévision en 2000. En 1991, René BOUSQUET, secrétaire général de la police dans le gouvernement de Vichy et organisateur de la rafle du Vel’d’Hiv’, est inculpé à son tour pour crimes contre l'humanité, mais il est assassiné le 8 juin 1993 dans son appartement parisien par Christian DIDIER, au moment même où la procédure intentée contre lui allait aboutir à un renvoi devant une Cour d'assises. Enfin, Paul Touvier est arrêté à Nice en 1989 dans le prieuré où il avait trouvé refuge. Reconnu coupable de complicité de crimes contre l'humanité pour l'exécution de sept otages juifs à Rillieux-la-Pape en juin 1944, il est condamné à la réclusion à perpétuité. Il est mort en juillet 1996 (81 ans). Son procès est aussi diffusé à la télévision. Enfin, Papon, accusé d'avoir ordonné l'arrestation et la déportation vers le camp de Drancy de 1 690 Juifs, est renvoyé, au terme d'une procédure de 15 ans, devant la Cour d'Assises de la Gironde. Ouvert en octobre 1997, son procès qui a duré six mois, a été jalonné de rebondissements multiples à commencer par la mise en liberté de l'inculpé en raison de son âge ( 87 ans ) et de son état de santé, péripéties liées aussi sans doute à sa personnalité : il avait été préfet de Police de Paris de 1958 à 1967, sous la République gaullienne, député du parti gaulliste, et ministre du Budget dans le gouvernement de Raymond BARRE sous la présidence de Valéry GISCARD D'ESTAING. Ce procès a amené un certain nombre d'historiens à se muer en témoins à charge ou au contraire en témoins de la défense. Il a conduit les représentants des corps des policiers et des juges, de l'ordre des médecins et de l'Église catholique, à exprimer les uns et les autres leur « repentance ». À l'issue de ce procès qui s'est achevé en avril 1998, Maurice PAPON, reconnu coupable de complicité de crimes contre l'humanité, a été condamné à dix ans de réclusion criminelle et à la privation des droits civiques, mais il a quitté la Cour d'Assises libre et s'est aussitôt pourvu en cassation. On assiste alors à une libération de la parole grâce au travail documentaire, les témoignages sont entendus ds les écoles… l’opinion publique se passionne et en conséquence oblige l’Etat à se positionner. Il reconnaît d’abord peu à peu sa responsabilité dans les crimes de l’Etat français. Ainsi, l'arrêt du Conseil d'État du 12 avril 2002 « a déclaré l'État français responsable de la participation de la préfecture de la Gironde à l'exécution des ordres nazis d'arrestation et de séquestration ». Ceci a conduit ses avocats à réclamer la prise en charge par l'État de l'indemnisation des parties civiles à laquelle PAPON avait été condamné. En 2000, est mise en place une commission pour travailler sur les spoliations des biens et leur indemnisation. En 1995, Jacques CHIRAC a reconnu la responsabilité de la France dans la rafle du Vel d’Hiv (1942). Lionel Jospin va dans le même sens, parle du « droit d’inventaire », et rétorque à ceux qui lui reprochent un « esprit d'autoflagellation », la nécessité de mener « l'effort de recherche sur notre passé » et à ceux qui réclament la réconciliation des Français : « Les Français ne se rassembleront pas au prix de l'oubli, en tirant un signe égal entre les prudents et les justes, entre les collaborateurs et les résistants. Ils se rassembleront seulement sur des valeurs, qui sont celles de la démocratie, de la République. » Le devoir de mémoire tend à devenir un impératif social (5 p.275). Ainsi, la loi Gayssot (juillet 1990) qualifie de délit la contestation de l'existence des crimes contre l'humanité. En 1993, le 16 juillet devient la journée nationale de la commémoration des persécutions racistes et antisémites : c’est une rupture majeure dans la politique française de la mémoire : on met l’accent sur le caractère négatif d’un événement faisant place à la commémoration-repentir. : Le syndrome de Vichy reste encore actif. Preuve en est le succès de films abordant ce thème (« La rafle », …) Il faut toutefois se méfier de la confusion entre histoire scientifique et mémoire passionnée. Le passé doit s’analyser avec des cadres rigoureux et sans anachronisme. La mémoire de la Seconde Guerre Mondiale est née dans la douleur, l’historien doit en tenir compte mais fournir un cadre d’analyse des plus rigoureux, dépassionné au-delà de son propre sentiment. S’il y a un devoir de mémoire, il s’agit d’en peser les enjeux pour éviter l’obligation et ses dérives.
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