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comparablement meilleurs que le mien; mais pource qu'on ne saurait si bien concevoir une chose, et la rendre sienne, lorsqu'on l'apprend de quelque autre que lorsqu'on l'invente soi-même.

Publié le 22/10/2012

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comparablement meilleurs que le mien; mais pource qu'on ne saurait si bien concevoir une chose, et la rendre sienne, lorsqu'on l'apprend de quelque autre que lorsqu'on l'invente soi-même. Ce qui est si véritable en cette matière que, bien que j'aie souvent expliqué quelques-unes de mes opinions à des personnes de très bon esprit, et qui pendant que je leur parlais semblaient les entendre fort distinctement, toutefois, lorsqu'ils les ont redites, j'ai remarqué qu'ils les ont changées presque toujours en telle sorte que je ne les pouvais plus avouer pour miennes. A l'occasion de quoi je suis bien aise de prier ici nos neveux * de ne croire jamais que les choses qu'on leur dira viennent de moi lorsque je ne les aurai point moi-même divulguées : et je ne m'étonne aucunement des extravagances qu'on attribue à tous ces anciens philosophes dont nous n'avons point les écrits, ni ne juge pas pour cela que leurs pensées aient été fort déraisonnables, vu qu'ils étaient des meilleurs esprits de leurs temps, mais seulement qu'on nous les a mal rapportées. Comme on voit aussi que presque jamais il n'est arrivé qu'aucun de leurs sectateurs les ait surpassés : et je m'assure que les plus passionnés de ceux qui suivent maintenant Aristote se croiraient heureux s'ils avaient autant de connaissance de la nature qu'il en a eu, encore même que ce fût à condition qu'ils n'en auraient jamais * Nos descendants, la postérité. davantage. Ils sont comme le lierre, qui ne tend point à monter plus haut que les arbres qui le soutiennent, et même souvent qui redescend après qu'il est parvenu jusques à leur faîte : car il me semble aussi que ceux-là redescendent, c'est-à-dire se rendent en quelque façon moins savants que s'ils s'abstenaient d'étudier, lesquels, non contents de savoir tout ce qui est intelligiblement expliqué dans leur auteur, veulent outre cela y trouver la solution de plusieurs difficultés dont il ne dit rien, et auxquelles il n'a peut-être jamais pensé. Toutefois leur façon de philosopher est fort commode, pour ceux qui n'ont que des esprits fort médiocres; car 1 obscurité des distinctions et des principes dont ils se servent est cause qu'ils peuvent parler de toutes choses aussi hardiment que s'ils les savaient, en soutenir tout ce qu'ils en disent contre les plus subtils et les plus habiles, sans qu'on ait moyen de les convaincre : en quoi ils me semblent pareils à un aveugle, qui, pour se battre sans désavantage contre un qui voit, l'aurait fait venir dans le fond de quelque cave fort obscure; et je puis dire que ceux-ci ont intérêt que je m'abstienne de publier les principes de la philosophie dont je me sers, car étant très simples et très évidents, comme ils sont, je ferais quasi le même en les publiant que si j'ouvrais quelques fenêtres, et faisais entrer du jour dans cette cave où ils sont descendus pour se battre. Mais même les meilleurs esprits n'ont pas occasion de souhaiter de les connaître : car s'ils veulent savoir parler de toutes choses, et acquérir la réputation d'être doctes, ils y parviendront plus aisément en se contentant de la vraisemblance, qui peut être trouvée sans grande peine en toutes sortes de matières, qu'en cherchant la vérité, qui ne se découvre que peu à peu en quelques-unes, et qui, lorsqu'il est question de parler des autres, oblige à confesser franchement qu'on les ignore. Que s'ils préfèrent la connaissance de quelque peu de vérités à la vanité de paraître n'ignorer rien, comme sans doute elle est bien préférable, et qu'ils veuillent suivre un dessein semblable au mien, ils n'ont pas besoin pour cela que je leur dise rien davantage que ce que j'ai déjà dit en ce discours. Car s'ils sont capables de passer plus outre que je n'ai fait, ils le seront aussi, à plus forte raison, de trouver d'eux-mêmes tout ce que je pense avoir trouvé : d'autant que, n'ayant jamais rien examiné que par ordre, il est certain que ce qui me reste encore à découvrir est de soi plus difficile et plus caché que ce que j'ai pu ci-devant rencontrer, et ils auraient bien moins de plaisir à l'apprendre de moi que d'eux-mêmes; outre que l'habitude qu'ils acquerront en cherchant premièrement des choses faciles, et passant peu à peu par degrés à d'autres plus difficiles, leur servira plus que toutes mes instructions ne sauraient faire. Comme pour moi je me persuade que si on m'eût enseigné dès ma jeunesse toutes les vérités dont j'ai cherché de-

« Sixième partie 173 davantage.

Ils sont comme le lierre, qui ne tend point à monter plus haut que les arbres qui le soutiennent, et même souvent qui re­ descend après qu'il est parvenu jusques à leur faîte : car il me semble aussi que.

ceux-là re­ descendent, c'est-à-dire se rendent en quelque façon moins savants que s'ils s'abstenaient d'étudier, lesquels, non contents de savoir tout ce qui est intelligiblement expliqué dans leur auteur, veulent outre cela y trouver la so­ lution de plusieurs difficultés dont il ne dit rien, et auxquelles il n'a peut-être jamais pensé.

Toutefois leur façon de philosopher est fort commode, pour ceux ~ui n'ont que des esprits fort médiocres; car 1 obscurité des dis­ tinctions et des principes dont ils se servent est cause qu'ils peuvent parler de toutes cho­ ses aussi hardiment que s'ils les savaient, en soutenir tout ce qu'ils en disent contre les plus subtils et les plus habiles, sans qu'on ait moyen de les convaincre : en quoi ils me sem: blent pareils à un aveugle, qui, pour se battre sans désavantage contre un qui voit, l'aurait fait· venir dans le fond de quelque cave fort obscure; et je puis dire que ceux-ci ont inté­ rêt que je m'abstienne de publier les princi­ pes de la philosophie dont je me sers, car étant très simples et très évidents, comme ils sont, je ferais quasi le même en les publiant que si j'ouvrais quelques fenêtres, et faisais entrer du jour dans cette cave où ils sont des­ cendus pour se battre.

Mais même les meil­ leurs esprits n'ont pas occasion de souhaiter. »

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