Commentez et discutez : « A mon égard au moins, n'espérez pas asservir dans ses [ceux de la littérature] jeux mon esprit à la règle ; il est incorrigible, et, la classe du devoir une fois fermée, il devient si léger et badin que je ne puis que jouer avec lui. » (Beaumarchais, « Lettre modérée »)
Publié le 11/09/2006
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C’est en 1772 que Beaumarchais achève la première version de son Barbier sous forme d’opéra-comique. Mais il faut attendre le 26 février 1775 pour que la pièce, remaniée pour la deuxième fois, soit jouée. C’est un échec mais Beaumarchais n’en démord pas et présente deux jours plus tard la quatrième version de son œuvre, en quatre actes, enrichie de l’air sur la calomnie. C’est alors seulement que Le Barbier de Séville est un triomphe. Dans la « Lettre modérée « qui sert de préface à la comédie, Beaumarchais explique le caractère léger et badin de la pièce, qu’il qualifie lui-même de « comédie fort gaie «. La littérature apparaît limitée à la comédie et synonyme d’une « récréation «, d’un « délassement « qui s’oppose à la rigueur des règles. Cependant, on peut se demander si le dramaturge s’amuse seulement car, s’il n’a rien de subversif, pourquoi a-t-il eut tant de mal à faire jouer sa pièce ? Pourquoi se justifier dans une si longue préface ? C’est ce qui nous amènera à relever les impertinences un peu osées de Beaumarchais pour voir en quoi l’auteur de comédie s’expose à travers son œuvre. Pour comprendre les enjeux du Barbier de Séville il est nécessaire de se pencher tout d’abord sur la scène 2 de l’Acte I. La scène présente les retrouvailles d’un valet, Figaro, et se don maître, le Comte Almaviva. La longue séparation des personnages amène le Comte à interroger Figaro sur son parcours jusqu’à Séville. C’est dans l’anamnèse de Figaro que Beaumarchais fait transparaître des éléments qui se rapportent à l’époque contemporaine de la pièce, et même à sa propre biographie. Comme Beaumarchais, le valet a fait tous les métiers et surtout s’est illustré en tant que dramaturge en écrivant un opéra-comique. Ceci rappelle fortement la première version de la pièce. Figaro évoque successivement la cabale et les sifflements provoqués par son œuvre. On devine alors un enjeu personnel et une attaque de Beaumarchais par la bouche de son barbier. Il parle de la République des Lettres comme de « celle des loups « (p.58). Or, s’il dut réécrire trois fois sa pièce, c’est à cause de très nombreuses critiques et d’un échec cuisant provoqués par les censeurs et critiques de son époque, c’est à dire justement les gens de Lettres. Enfin Figaro s’est lui aussi impliqué dans la politique et, « sous prétexte que l’amour des lettres est incompatible avec l’esprit des affaires. « (p.57), a perdu son emploi d’apothicaire. Beaumarchais a connu lui aussi une implication dans la vie politique que l’affaire Goëzman a écourté. On peut alors voir l’impertinence de Figaro comme une allusion directe à son ennemi : « […] persuadé qu’un Grand nous fait assez de bien quand il ne nous fait pas de mal. « (p.57) Beaumarchais dit tout simplement que ce personnage de valet fripon le représente lui directement. Et il en profite pour se défendre de la façon la plus efficace : en attaquant. Or on devine les noms de « Grands « au travers de ceux de tous les personnages. Une fois compris ce parallèle, certaines répliques de Figaro ne peuvent plus passer pour de simples piques du personnages. Toujours à la scène 2 de l’Acte I, Figaro dit : « aux vertus qu’on exige dans un domestique, Votre Excellence connaît-elle beaucoup de maîtres qui fussent dignes d’être valets ? « (p.57) A une époque où les classes sociales sont clairement établies on comprend que le ballet verbal prend un ton un peu trop agressif. Même si Beaumarchais utilise l’ellipse pour rendre ses propos acceptables, le personnage de Figaro dépasse ici le stéréotype du valet de comédie. Jamais un type de personnage ne remet en cause sa place dans la société. On peut même aller plus loin en affirmant que pour les valets les maîtres ne sont pas des hommes et vice et versa. Or l’appartenance de chaque catégorie de personnages à un univers cloisonné, dans lequel il ne peut évoluer ni vers le haut ni vers le bas, est ici remise en question. De même à la scène 6 de l’Acte IV, Figaro s’extasie sur la beauté de Rosine : « Morbleu qu’elle est belle ! « (p.119). Pourtant le valet ne devrait pas même remarquer la beauté de l’ingénue promise à son maître car ils n’appartiennent pas aux mêmes mondes et ne peuvent en aucun cas, par exemple, tomber amoureux. Dans la comédie les affaires de cœur se trament toujours entre les maîtres, ou entre les serviteurs, mais jamais entre un valet et une jeune première. Si on replace ces « débordements « dans le cadre contemporain à Beaumarchais on peut voir la critique d’une société cloisonnée par des classes, et que le mouvement des Lumières remet en cause. Or l’auteur du Barbier s’est aussi illustré en tant qu’écrivain de ce mouvement. Enfin, l’air de la calomnie à la scène 8 de l’Acte II achève de contredire le caractère uniquement léger de cette pièce. Le texte peut paraître décalé par rapport au ton badin de la comédie évoqué dans la préface ; et ceci même si le personnage de Bazile tente de justifier sa tirade : « Comment, quel rapport ? Ce qu’on fait partout pour écarter son ennemi, il faut le faire ici pour empêcher le vôtre d’approcher. « (p.78) La présentation de la calomnie égale à la communication et même à la pédagogie donne un ton acide et plus grave que Beaumarchais ne le prétend dans sa préface ; où il compare notamment son esprit à « un liège emplumé qui bondit sur la raquette « (p.31). Et lorsque Bazile présente le calomnie comme quelque chose près d’accabler les « plus honnêtes gens « (p.77) il est impossible de ne pas voir la figure de Beaumarchais face aux critiques violentes de ses ennemis. Ce que l’on comprend d’autant mieux lorsque l’on sait que cet air de la calomnie a été ajouté à la quatrième et dernière version de la pièce, et donc suite à la querelle soulevée par l’œuvre. Dans sa « Lettre modérée « Beaumarchais affirme qu’en oubliant les règles on s’amuse, qu’on devient léger et badin. La littérature serait le « délassement et la douce récréation « de ce système abstrait imposé de l’extérieur : les règles. Mais on ne peut nier les enjeux plus polémiques de Beaumarchais. Il est tout de même obligé d’écrire une préface presque aussi longue que sa pièce pour se défendre et attaquer ses détracteurs. Son ton quelquefois trop agressif et décalé par rapport à la légèreté de la comédie confirme l’enjeu personnel. Si la tragédie, elle, reprend des idées générales, la comédie était jouée devant un public parfaitement au courant des grands personnages représentés. Des listes présentant côte à côte les noms des personnages de la pièce et ceux des personnages publiques visés circulaient couramment pendant les représentations. Les multiples censures et l’affaire Goëzman prouvent que Beaumarchais n’est pas tout à fait honnête avec son lecteur. Premièrement parce qu’il semble limiter la littérature à la comédie, et deuxièmement parce qu’il lui attribue un caractère purement récréatif et léger que la lecture même de la pièce nie. La comédie, plus généralement, implique très souvent des enjeux personnels. Le dramaturge qui eut probablement le plus de mal à faire jouer et apprécier ses pièces fut Molière. La querelle de L’Ecole des Femmes est la première querelle marquante de la carrière de Molière. Elle éclate en 1662, dure deux ans, et fait connaître à l’auteur la jalousie et la calomnie. Les spectateurs sont choqués par les recommandations d’Arnolphe à Agnès dans l’Acte II, scène 2. Ils y entendent une parodie des commandements de Dieu. Molière se voit également reproché un caractère obscène à cause de l’équivoque de l’Acte VI, scène 5. Mais la querelle est aussi et surtout l’affaire des gens de Lettres. On remarque les emprunts de Molière à une nouvelle de Scanon, La Précaution inutile. Les dramaturges et comédiens rivaux crient au scandale. Tout comme Beaumarchais le fera avec sa « Lettre modérée «, Molière répond à ses ennemis dans « La Critique de l’Ecole des femmes « ; ce qui relance la querelle et même des attaques violentes sur la vie personnelle du dramaturge. Enfin, lorsque Molière a été « secoué « à la sortie d’un théâtre où sa pièce se jouait, la critique a pris une forme plus violente que jamais ; et peu de dramaturges subirent une telle virulence. On peut donc en conclure que l’auteur de comédie est exposé à plein à toutes les réactions sociales. Beaumarchais n’est pas vraiment honnête lorsqu’il cherche à réduire la comédie à un simple jeu au ton léger et badin. De plus, s’il affirme oublier les règles, celle du schéma comique est elle bien présente. Et c’est à travers son barbon, son valet fripon, son ingénue et son jeune premier que l’auteur critique et attaque la société de son temps, ainsi que ses adversaires personnels.
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» (p.78)La présentation de la calomnie égale à la communication et même à la pédagogie donne un ton acide et plus grave queBeaumarchais ne le prétend dans sa préface ; où il compare notamment son esprit à « un liège emplumé qui bondit sur laraquette » (p.31).
Et lorsque Bazile présente le calomnie comme quelque chose près d'accabler les « plus honnêtes gens » (p.77)il est impossible de ne pas voir la figure de Beaumarchais face aux critiques violentes de ses ennemis.
Ce que l'on comprendd'autant mieux lorsque l'on sait que cet air de la calomnie a été ajouté à la quatrième et dernière version de la pièce, et donc suiteà la querelle soulevée par l'œuvre.
Dans sa « Lettre modérée » Beaumarchais affirme qu'en oubliant les règles on s'amuse, qu'on devient léger et badin.
La littératureserait le « délassement et la douce récréation » de ce système abstrait imposé de l'extérieur : les règles.Mais on ne peut nier les enjeux plus polémiques de Beaumarchais.
Il est tout de même obligé d'écrire une préface presque aussilongue que sa pièce pour se défendre et attaquer ses détracteurs.
Son ton quelquefois trop agressif et décalé par rapport à lalégèreté de la comédie confirme l'enjeu personnel.
Si la tragédie, elle, reprend des idées générales, la comédie était jouée devantun public parfaitement au courant des grands personnages représentés.
Des listes présentant côte à côte les noms despersonnages de la pièce et ceux des personnages publiques visés circulaient couramment pendant les représentations.Les multiples censures et l'affaire Goëzman prouvent que Beaumarchais n'est pas tout à fait honnête avec son lecteur.Premièrement parce qu'il semble limiter la littérature à la comédie, et deuxièmement parce qu'il lui attribue un caractère purementrécréatif et léger que la lecture même de la pièce nie.
La comédie, plus généralement, implique très souvent des enjeux personnels.
Le dramaturge qui eut probablement le plus de malà faire jouer et apprécier ses pièces fut Molière.La querelle de L'Ecole des Femmes est la première querelle marquante de la carrière de Molière.
Elle éclate en 1662, dure deuxans, et fait connaître à l'auteur la jalousie et la calomnie.
Les spectateurs sont choqués par les recommandations d'Arnolphe àAgnès dans l'Acte II, scène 2.
Ils y entendent une parodie des commandements de Dieu.
Molière se voit également reproché uncaractère obscène à cause de l'équivoque de l'Acte VI, scène 5.Mais la querelle est aussi et surtout l'affaire des gens de Lettres.
On remarque les emprunts de Molière à une nouvelle de Scanon,La Précaution inutile.
Les dramaturges et comédiens rivaux crient au scandale.Tout comme Beaumarchais le fera avec sa « Lettre modérée », Molière répond à ses ennemis dans « La Critique de l'Ecole desfemmes » ; ce qui relance la querelle et même des attaques violentes sur la vie personnelle du dramaturge.
Enfin, lorsque Molièrea été « secoué » à la sortie d'un théâtre où sa pièce se jouait, la critique a pris une forme plus violente que jamais ; et peu dedramaturges subirent une telle virulence.
On peut donc en conclure que l'auteur de comédie est exposé à plein à toutes les réactions sociales.Beaumarchais n'est pas vraiment honnête lorsqu'il cherche à réduire la comédie à un simple jeu au ton léger et badin.
De plus, s'ilaffirme oublier les règles, celle du schéma comique est elle bien présente.
Et c'est à travers son barbon, son valet fripon, soningénue et son jeune premier que l'auteur critique et attaque la société de son temps, ainsi que ses adversaires personnels..
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