Commentaire D'Un Extrait De Zola: Nana / Chapitre 10
Publié le 15/09/2006
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Au XIXe siècle, les comportements sociaux sont observés, analysés et expliqués par les naturalistes par le fait de l'hérédité. Zola, prolifique auteur naturaliste de l'époque, étudie une famille sous le second Empire dans sa série de romans les Rougon-Macquart. Dans L'Assommoir, il décrit les ravages de l'alcoolisme du milieu ouvrier, l'hérédité du vice, par l'exemple du couple de Gervaise et Coupeau. Nana – en réalité Anna Coupeau, fille de Gervaise - héroïne du roman éponyme, échappe, elle, à la déchéance, du moins sociale, de son milieu, en devenant l'une des courtisanes les plus désirées du second empire. Le passage proposé met en scène la découverte par Nana et Satin, son amante, alors qu'elles s'apprêtent à entrer dans leur luxueux hôtel particulier, de la reine Pomaré qui, fut un temps, inspirait la passion de tout Paris, et, ravagée par la vieillesse et le vin, ne demeure plus qu'une chiffonnière. Comment cet extrait met-il en évidence l'hérédité du vice et la déchéance inéluctable du milieu dont est issue Nana ? Il convient d'étudier tout d'abord la relation homosexuelle entre Nana et Satin, puis la luxueuse vie décrite, et, enfin, la vision de cauchemar que donne la reine Pomaré. Dès la première ligne du texte, le couple de femmes manifeste les signes de leur amour homosexuel : dans un « petit frisson «, faisant écho à leur sensualité, « Satin s'était serrée contre Nana «. Elles se désignent l'une l'autre en outre avec une familiarité que seuls se permettent en public, à l'époque, les couples mariés, Satin parle ainsi de sa « chérie « (l. 9), et Nana de son « chat « (l. 33). Par ailleurs, à peine entrée dans le confortable hôtel dont la chaleur et les parfums (« un air si tiède, si parfumé « l. 38) se prêtent à la volupté, Satin, tel un chat à la manière que la désigne Nana, se « couche « sur le lit, « se roule « et « l'appelle « (l. 55), on l'imagine, comme miaulerait un chat réclamant des caresses. L'évocation des « peaux d'ours « reflète, encore une fois, la sensualité de la relation entre les deux femmes. Il y a néanmoins un contraste entre l'amour que porte Nana à Satin, et le plaisir qu'elle offre exclusivement aux hommes, en tant que courtisane. Cette homosexualité, qui va à l'encontre des principes chrétiens de l'époque, de la morale commune, se confond avec le vice, qui n'a d'autre origine, pour Zola, que l'hérédité. Il y a en effet une dimension héréditaire dans Nana ; ses parents souffraient d'alcoolisme et, si elle échappa au trépas au sein du milieu ouvrier dont elle est originaire, elle n'en reste pas moins une prostituée, elle mène une vie décadente, aucune considération respectueuse ne lui est véritablement portée, malgré le luxe dans lequel elle vit. En cela, Nana garde les manières de son milieu, c'est une parvenue qui, d'ailleurs, oublie un moment l'endroit dans lequel elle vit, entrée, comme dans un « endroit inconnu « (l. 35). Nana, comme Satin, n'ont pas des manières de la haute société, que Nana fréquente pourtant. Elles restent des femmes de la rue, malgré leurs toilettes de dames. Elles n'ont, enfin, pas de pudeur vis-à-vis de la relation clandestine, coupable, qu'elles entretiennent, ignorant la morale de la société qu'elles souhaitent néanmoins intégrer. Il y a une contradiction flagrante, une note de fausseté, entre les origines familiales, sociales, de ces femmes, et la richesse ostentatoire dans laquelle elles vivent. Le luxueux train de vie que mène Nana est éminemment marqué par cet extrait. Lorsque Nana pénètre son hôtel, elle est elle-même agréablement surprise, « un instant saisie « (l.36) comme si elle découvrait l'endroit pour la première fois, ou ne parvenant pas à s'habituer au statut qu'elle conquit, et au luxe qu'il implique. Cet endroit est d'une opulence ostentatoire, les richesses s'y accumulent : « Les richesses entassées, les meubles anciens, les étoffes de soie et d'or, les ivoires, les bronzes « (l. 39-40-41). Cette abondance donne à l'hôtel une atmosphère de salons de grandes dames, très en vogue à l'époque, où se réunissaient dans le plus grand des conforts le gotha de la haute société, ce sentiment est accentuée par l'énumération suivante : « […] un grand luxe, la solennité des salons de réception, l'ampleur confortable de la salle à manger, le recueillement du vaste escalier, avec la douceur des tapis et des sièges. « Cette profusion est telle qu'elle comporte un aspect périssable : ce n'est pas le milieu de vie naturel de Nana. Nana n'est en effet pas une grande dame par nature, son héritage familial de parents alcooliques continue à peser sur elle, la richesse qu'elle a acquise n'est pas naturelle par essence, et donc périssable. Il est tout d'abord significatif qu'elle entre chez elle comme dans un endroit inconnu. Par ailleurs, le caractère éphémère de tout ce qu'elle possède est marqué par une antithèse : « son envie de tout avoir pour tout détruire « (l. 48), qui amène encore à la question du poids de l'hérédité, à ce penchant destructeur, qui mena ses parents dans une sordide misère. Nana montre que son intégration dans la haute société est loin d'être réellement acquise, elle fait preuve de peu d'esprit, prend un « air de grave philosophie « (l. 50-51) lorsqu'elle contemple le luxe qui l'entoure. L'auteur rapproche ainsi (à dessein, par ironie ?) la philosophie, qui s'attache à l'immatériel, aux questions atemporelles de l'Homme, à une profusion d'objets ostentatoires qui sont purement matériels. Cet aspect éphémère de la richesse de Nana est illustré par le cas de la reine Pomaré qui passa de la gloire à la décrépitude. La reine Pomaré n'avait autrefois rien à envier au présent de Nana, elle était « superbe « (l. 10), c'était une reine, tout Paris était occupé de sa beauté (l. 11), les hommes, de grands personnages « pleuraient dans son escalier « (l. 13). Mais sa chute fut fatalement à la hauteur de son immense succès. De reine, elle passa à chiffonnière, et elle qui enivrait les hommes, elle se mit à s'enivrer de vin (l. 26). A présent en haillons, « sous un foulard de loques « (l. 23), elle n'a certes plus l'aspect d'une grande courtisane, ni même plus celui d'une femme, rongée par l'alcool, la « face bleuie, couturée, avec le trou édenté de la bouche et les meurtrissures enflammées des yeux «. Celle qui faisait tourner la tête de tout Paris ne devint plus que l'archétype d'une gueuse, les portes de la haute société se refermèrent sur elle aussi vite qu'elles n'avaient du s'ouvrir. Ainsi est le pathétique destin de la reine Pomaré, qui, toujours surnommée ainsi, n'a évidemment plus rien d'une reine. Sa décadence est d'autant plus cauchemardesque que Nana, qui vit ce que vécut la reine Pomaré, pourrait se sentir concernée par son sordide devenir. Il existe un lien étroit entre les deux femmes d'apparence opposée. Elles vécurent la même jeunesse, la même gloire, et Nana en est plus ou moins consciente. Lorsque Satin lui conte l'histoire de la reine Pomaré, elle « écoute, toute froide « (l. 17), et, plus loin, elle « murmure d'une voix changée « (l. 33) à Satin : « Rentrons vite, mon chat «, pressée d'entrer dans le confort et d'oublier la vision gênante de la reine Pomaré. Lorsqu'elle reste « saisie « en entrant dans son hôtel parfaitement à l'image de la bourgeoisie qu'elle a l'air d'avoir conquis, Nana semble avoir été perturbée par la rencontre avec la reine Pomaré, ce qu'elle possédait ne lui semble plus, l'espace d'un instant, lui appartenir, pourtant alors au faîte de sa gloire. La reine Pomaré qui ne jouit plus à présent des délices du monde moderne, fait partie de cette partie de la population à qui la révolution industrielle ne profite pas, au contraire de Nana, représentative d'une société conquérante et avide, celle du second empire. En conclusion, l'extrait de Nana illustre le vice héréditaire chez cette courtisane, issue d'un couple d'ouvrier ravagé par l'alcoolisme. Ennuyée par les hommes qu'elle se doit de satisfaire, Nana se tourne vers l'homosexualité, sévèrement condamnée par la religion, considérée comme péché et aliénation mentale. Malgré le luxe et les bonnes gens qui l'entourent, Nana reste rongée par le vice hérité de ses parents, selon Zola. Le passage illustre aussi la déchéance fatale de la courtisane Pomaré, que rien ne présageait à la misère. Cet extrait montre donc à la fois le vice héréditaire et la misère dans laquelle il entraîne. Zola considère que c'est la famille qui transmet les comportements sociaux, mais qu'en est-il du milieu social dans lequel on est née, qui est décisif pour notre mode de vie, et, par conséquent, pour nos comportements ?
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