Commentaire du texte de Jean de La Bruyère, " De l'homme", Les Caractères
Publié le 12/02/2012
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Jean De La Bruyère, « De l’homme », Les Caractères, (1688-1696)
Jean De La Bruyère, moraliste français du XVIIème siècle, nous présente, entre autres, un texte visant à caractériser les hommes de son époque et à décrire l’être humain et ses singularités. Ce texte descriptif à visée argumentative insiste sur des traits caractéristiques, des comportements, pour exprimer son jugement de manière implicite.
Afin de tenter de comprendre le jugement que porte La Bruyère sur les hommes de son époque, nous aborderons dans un premier temps la notion de comique, issue du portrait de Gnâthon, avant de mettre en valeur les aspects satiriques qui mènent peu à peu le lecteur à un rejet de tout homme haïssable du même type que le personnage.
I- Portrait comique
1) Un personnage au comportement bestial
La Bruyère caractérise tout d’abord le personnage comme un glouton pillant la table à l’aide d’une énumération des verbes avec gradation : « Il manie les viandes, les remanie, démembre, déchire » ce qui montre qu’il manque de gêne et ne se soucie que des besoins de sa propre personne. Dans ce texte, l’auteur insiste sur l’avidité de Gnathon, je cite « il ne se sert à table que de ses mains ». Il est aussi comparé a un animal, (« il mange haut et avec grand bruit ») n’ayant aucune notion de civilisation ; le caractère du personnage est associé à un caractère bestial du fait de toutes ses actions, « la table est pour lui un râtelier ». La mise en scène de ce personnage, qui est un personnage de farce, un homme dégoutant, est très réaliste. Le lecteur visualise les actions de ce goinfre grâce aux descriptions : « Le jus et les sauces lui dégouttent du menton et de la barbe » et comprend alors pourquoi il est capable « d’ôter l’appétit aux plus affamés ».
2) La mise en scène comique du portrait de Gnathon
La Bruyère joue sur l’ironie de la situation : « il oublie », le personnage joue donc un rôle et sait exactement ce qu’il fait. L’auteur a la volonté de mettre en scène un personnage grossier, il dénonce l’hypocrisie de son temps. Les déplacements du personnage sont décrits, « s’il enlève un ragoût de dessus un plat, il le répand en chemin dans un autre plat et sur la nappe » ; jusqu’à la chute, « on le suit à la trace ». L’expression « si on veut l’en croire » traduit la comédie du personnage, il fait semblant d’être malade : « pâlit, tombe en faiblesse ». Le personnage joue exprès la comédie, c’est un véritable acteur qui veut arriver à ses fins. La Bruyère caricature certains traits du personnage pour produire un effet comique mais aussi critiquer et dénoncer un type de personnage.
II- Le portrait satirique d’un type d’homme haïssable
1) Un personnage égoïste
Gnathon est un personnage détestable, il fait tout dans l’excès et la démesure, c’est son vice. La répétition de « tout » a une valeur hyperbolique ; elle montre l’excès de son besoin. Il ne connait que « sa réplétion », sa goinfrerie le conduit à la maladie.
« Tous les hommes ensemble sont à son égard comme s’ils n’étaient point » montre que le personnage se prend pour le centre du monde, qu’il se distingue des autres. Il oppose « lui » aux « autres », cette antithèse appuie sur sa sensation de supériorité. « Il » est sujet de tous les verbes ce qui traduit son désir de s’imposer partout, d’occuper toute la place. Son rejet des autres le caractérise et il s’approprie tout les biens : « il se rend maître du plat ». Les autres sont à son service : « ses valets, ceux d’autrui, courent dans le même temps pour son service » ; il est nuisible à la société. La Bruyère utilise le superlatif, « meilleure chambre, meilleur lit » ; cette répétition donne un effet d’insistance. Il ne se préoccupe pas des autres, il n’a d’intérêts que pour lui. L’auteur emploie des tournures négatives (« ne plaint ») pour mieux rejeter les autres ; et des tournures restrictives (« n’appréhende que ») qui cadrent le texte sur lui.
2) Un personnage inhumain fermé à toutes émotions
Gnathon est bien plus qu’un personnage égoïste, son attitude va jusqu’à l’égocentrisme. Il n’a aucune compassion pour les autres, « ne plaint personne », ce qui montre qu’il ne s’intéresse à personne d’autre que lui, et que tous les malheurs du monde ne valent rien par rapport aux siens ; il ne se préoccupe que de sa personne et cultive son égoïsme. L’expression « ne pleure point la mort des autres, n’appréhende que la sienne » révèle la lâcheté du personnage, il ne s’inquiète pas du malheur des autres, il a simplement peur de sa propre mort ; l’auteur appuie sur l’ironie de cette phrase, car sa mort ne fait peur qu’à lui, ce genre de personnage ne produit de compassion chez personne. La satire passe aussi par une parodie finale de la Rédemption, (le Christ en mourant sur la croix sauve le monde), Gnâthon serait prêt à sacrifier tous les hommes pour lui ; La Bruyère tient vraiment à montrer la monstruosité du personnage.
La Bruyère, par le biais du portrait comique de Gnathon met en scène un personnage véritablement sans gêne du fait de son comportement bestial répugnant qui apparaît à travers un jeu d’acteur et de comédien. Or, par ce jeu, par cette caricature, La bruyère dénonce non seulement les vices du personnage mais aussi un type d’homme égoïste et égocentrique capable d’une indifférence choquante pour les autres. Le lecteur peut ainsi être frappé et même scandalisé par un personnage qui, fermé à toute émotion, est prêt à sacrifier le monde pour lui. Ce personnage finit par prendre un visage de monstre pour le lecteur, c’est le but de l’auteur. Le portrait de La Bruyère ne touche donc pas seulement un homme vicieux de son temps ou de la société, mais tout être humain atteint par une perversité profonde.
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