Commentaire du Dépositaire Infidèle de Jean de la Fontaine
Publié le 19/04/2013
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« Le dépositaire infidèle « de Jean de la Fontaine Commentaire Composé Au XVIIème siècle, le genre reconnu comme noble était la poésie. Cependant, les fables, pourtant écrites en vers, sont bien moins valorisées (tout comme le théâtre). Le principal auteur de fables de cette époque, et le plus célèbre, était Jean de La Fontaine qui avait beaucoup de succès mais n'était pas apprécié du roi, Louis XIV. Ses fables ont généralement des morales pessimistes, et cet aspect est devenu de plus en plus marqué au fil de sa vie et donc de ses ouvrages. Le dépositaire infidèle est tiré du Livre IX des Fables: le pessimisme de l'auteur y est en effet visible. Cette fable est construite en plusieurs mouvements: d'abord une introduction au thème où La Fontaine parle de son œuvre passée, puis l'énonciation du thème par l'intermédiaire du ''sage'', c'est à dire le mensonge, en passant par l'éloge des poètes. Ensuite, arrive le récit, la phase narrative de la fable, et enfin, la morale. Nous verrons comment La Fontaine valorise la fonction de poète qui est sienne à l'intérieur même d'une fable vraiment pessimiste. Ce qui apparaît tout d'abord est que La Fontaine est un moraliste pessimiste. Ensuite, on remarque que la fable est avant tout un travail littéraire, un art du langage. Enfin, l'auteur introduit ici une éloge de la poésie et des poètes eux-même, mais aussi par ce biais, de lui-même. La fable est un genre de texte qui a une visée morale. Le dépositaire infidèle n'échappe pas à ce trait. On retrouve ici un thème topos du moraliste: le mensonge. Le mensonge est considéré comme mauvais, puisqu'il équivaut à tromper, trahir. Au XVIIème siècle, beaucoup d'œuvres critiquent certaines mœurs de la société, et le mensonge en fait partie. Il est considéré comme une tromperie, une trahison. On peut retrouver ce trait dans de nombreuses œuvres de Molière comme Tartuffe, Le misanthrope, ou encore l'École des femmes. Mais le mensonge est déjà condamné dans la Bible : «Tu ne porteras point de faux témoignage contre ton prochain« (Exode 20.16). Dans cette fable, la Fontaine semble s'être inspiré d'un conte berbère ''Le pèlerin et les enfants du juif''. Le thème du mensonge est donc un thème topos du moraliste. On le voit bien ici à travers l'évocation du sage. Le «sage« désigne habituellement le roi Salomon mais celui qui tiens ce discours sur les menteurs est son père, David, l'auteur des Psaumes. A travers ce personnage, on peut voir que le sujet du mensonge est abordé par les grands hommes-même. La Fontaine se réfère à ce que dit ''le sage'' pour développer son propos: après l'énonciation du thème sur lequel va porter la fable, c'est à dire les menteurs, il rapporte immédiatement les dires de ce personnage. On a l'impression d'y trouver l'origine du message de l'auteur, comme s'il reprenait justement un sujet abordé à son compte. ''Le sage'' comme son nom l'indique, sous-entend le bon sens, l'exemple à suivre, et donc la morale. Ici il s'agit bien d'un thème canon du moraliste que La Fontaine décide de traiter. Il approuve l'affirmation du ''sage'', le fait que ''tout homme mente'': ''Si quelqu'un d'autre l'avait dit/ Je soutiendrais le contraire''. Puisque c'est bien lui qui l'a dit, il approuve donc. L'acceptation de cette morale fait ressortir le côté pessimiste de La Fontaine. Tout homme ment et de plus, tout homme ne le fait pas bien: ''Comme eux ne ment pas qui veut'' écrit-il en faisant référence à de grands auteurs. En effet, il nous apparaît dans cette fable que tout le monde ment, et de surcroit, la plupart des gens ne le fait pas correctement. La morale, qui équivaut en fait aux trois derniers vers du texte (''Quand l'absurde est outré, l'on lui fait trop d'honneur/ De vouloir par raison combattre son erreur. /Enchérir est plus court, sans s'échauffer la bile.''), est elle aussi pessimiste. ''Enchérir est plus court'' écrit l'auteur, c'est à dire qu'il faut mentir pour ''combattre'' le mensonge. Il est vraiment pessimiste de dire que le seul remède contre le mensonge lui-même, car il faudrait alors tromper pour pouvoir lutter contre la tromperie. Le poète ne dit pas que la raison est impuissante face au mensonge, il affirme simplement qu'on ferait ''trop d'honneur de vouloir par raison combattre l'erreur'' du menteur; cela revient presque à évoquer le célèbre proverbe ''œil pour œil, dent pour dent''. Cet adage est très pessimiste et va cette fois à l'encontre des principes de la Bible qui exclut la vengeance, qui prône de ''pardonner à ceux qui nous ont offensé''. Au XVIIème siècle, la religion est encore très présente et le point de vue de l'auteur est donc très noir. Cependant, ces trois vers sont également ambigües. En effet, La Fontaine ne semble pas parler du mensonge en général, mais plus particulièrement du mensonge absurde. De plus, cette morale prend une tournure amusante sur le dernier vers. L'auteur prend ici le parti de la distraction, il ne faut pas ''s'échauffer la bile'', c'est à dire se faire du souci, à ce propos. Il vaut mieux, au contraire, s'en amuser. Et n'est-ce pas ce qu'il fait en créant une fable, qui est un genre mondain et plaisant, sur ce thème du mensonge? La fable est également un divertissement, quelque chose de plaisant à écouter, et également poétique: beaucoup de fables de La Fontaine ont été transformées en chansons par des artistes contemporains, la langue dans laquelle elles sont écrites étant très musicale. Ce divertissement est retrouvé à travers l'humour de La Fontaine. L'absurde qu'il évoque dans ce texte est poussé à l'outrage et cette exagération en devient drôle. Les situations évoquées sont impossibles: ''un rat'' qui mange ''des fers'', un ''chat-huant'' qui attrape un enfant, ''un chou'' plus gros qu'une ''maison'' et ''un pot'' plus grand qu'une ''église''. En plus de ces éléments improbables, les récits que fait l'auteur sont basés sur le fait que le personnage d'abord trompé joue ensuite un tour à l'autre. C'est un peu ''l'arroseur arrosé'' ici, et cela est amusant, puisqu'on peut se moquer sans même culpabiliser, puisque celui dont on se moque le mérite. On peut voir également la bêtise de ceux qui tentent de tromper: le premier confond ''un chat-huant'' et un ''hibou'' (en plus de son mensonge absurde) qui ne désignent pas le même animal: son langage est imprécis, c'est un sot. Le second se permet ''une hyperbole'': lui aussi ne se sers pas du langage correctement. On voit donc l'importance qu'a le langage pour La Fontaine. C'est lui qui peut faire d'un menteur quelqu'un de droit (ou même talentueux) et non pas une personne ''de bas étage'': ''L'homme au pot fut plaisant, l'homme au fer fut habile''. Ici, la fantaisie du langage et sa subtilité sont très importantes. L'auteur veut peut être nous signaler par là qu'avant d'avoir une visée morale, la fable est un art du langage. Il joue effectivement parfaitement avec les différents registres et les différents tons. Le registre moral, certes est bien présent: il est une des caractéristiques de la fable, la présence de la morale le montre. L'évocation du ''sage'' et ce choix du thème du mensonge en sont aussi des preuves. Le registre humoristique est également présent à travers ce jeu sur l'absurdité: ''- Et moi, dit l'autre, un pot plus grand qu'une église. «/Le premier se moquant, l'autre reprit : « Tout doux ; /On le fit pour cuire vos choux. «''. Il y a aussi le registre poétique: en effet, La Fontaine écrit en vers, il manie le langage à la perfection et construit sa fable comme tout autre poète : ''Grâce aux filles de Mémoire/ J'ai chanté des animaux/ Peut-être d’autres héros/ M'auraient acquis moins de gloire''. Il dit avoir ''chanté les animaux'', cette référence au chant montre qu'il considère son art comme poétique. Comme les autres poètes, il fait également référence à des dieux et déesses antiques, ici les ''filles de mémoires'' se réfèrent aux Muses, filles de Jupiter qui sont aussi celles de la déesse de la Mémoire, Mnémosyne. On peut voir également dans le maniement du langage de La Fontaine son art des transitions. On peut remarquer que dans cette fable, l'auteur fait tout converger avers son propos final. Il évoque son œuvre passée pour pouvoir arriver à son sujet présent: ''je pourrais y joindre encore''. Puis il passe par l'invocation du ''sage'' dans le but de dire que tout homme ment mais pour différencier des types de mensonges, ou plutôt les menteurs qui peuvent faire de leurs mensonges des qualités et ceux qui ne savent pas, celui du poète de celui de ''bas étage''. Il ajoute ''comme eux ne ment pas qui veut'' en parlant des poètes: il fait le contrepied pour pouvoir passer à l'illustration par des exemple de son propos. A partir de là il commence à faire le récit de ses démonstrations, ses anecdotes (il compare la deuxième à la première par les termes ''même dispute'' pour passer de l'une à l'autre). Des ces histoires découle la morale de la fin. Tout converge vers le propos qu'il veut délivrer au final, avec une pause pour faire l'éloge des poètes, tout est un cheminement vers les trois dernières lignes: rien n'est laissé au hasard, chaque phase de sa fable a un but précis. Il introduit le thème, donne un point de vue, l'illustre et enfin en tire une morale. Une morale qui n'est pas vraiment comme on pourrait l'attendre, elle est particulière. On pourrait presque croire qu'elle prône la suprématie de la fiction sur le mensonge comme tromperie sournoise. Cette fable est donc aussi l'éloge de la fiction, de la poésie, et des poètes eux-même. La Fontaine présente la poésie comme un mensonge, mais un mensonge bénéfique, qui apporte des effets positifs: ''Et même qui mentirait/Comme Esope et comme Homère/Un vrai menteur ne serait : /Le doux charme de maint songe''. Elle est supérieure à la simple tromperie puisqu'elle est capable de dévoiler la vérité: ''Par leur bel art inventé, /Sous les habits du mensonge/ Nous offre la vérité''. En effet, La Fontaine croit beaucoup en ce trait de la fiction, puisqu'à travers les animaux qu'il met en scène, il veut en réalité montrer des défauts réels chez les êtres humains, comme il l'écrit lui même: ''Je mets aussi sur la scène/ Des trompeurs, des scélérats, /Des tyrans et des ingrats, /Mainte prudente pécore, /Force sots, force flatteurs ; /Je pourrais y joindre encore/ Des légions de menteurs''. La poésie dévoile la vérité, mais elle est aussi quelque chose de plaisant, de beau: ''l'homme au pot fut plaisant''. Il qualifie les vers de ''langue des dieux''. Pour lui, la poésie est un ''bel art'', ''un doux charme de maint songe''. Il fait dans le même temps l'éloge des poètes, ceux qui sont capable d'écrire cette poésie, de dévoiler la vérité à travers cette poésie. Il les considère comme de ''vrais menteurs'', dit qu'il tient leurs œuvres ''dignes de vivre'' et il appuie ces termes en disant qu'elles le sont ''sans fin et plus s'il ce peut'', c'est à dire qu'elle le sont plus qu'infiniment. Ces termes exagère presque l'importance des ''livres'' des poètes cités, ce qui montre bien le ton élogieux qu'emploie La Fontaine. Il dit ''que je tiens digne de vivre'': c'est son propre jugement, mais ici il paraît vraiment important. En effet, ce jugement qu'il émet nous semble comme divin, comme si son opinion sur ces livres leur donnait le droit d'exister ou non. La Fontaine est en fait ici un poète au même titre que les deux célèbres auteurs qu'il cite: lui aussi ment, pour dévoiler la vérité: ''J'ai chanté des animaux / Peut-être d’autres héros/ M'auraient acquis moins de gloire (…) Les bêtes, à qui mieux mieux, /Y font divers personnages, /Les uns fous, les autres sages''. Il prétend également manipuler cette ''langue des dieux'', il se place donc au même niveau que ces derniers. Voilà sans doute pourquoi il se permet d'émettre un jugement sur les livres d'Esope et d'Homère. Il semble aussi avoir une certaine réticence pour les paroles du ''sage'', et ne les respecte simplement que parce que c'est précisément celui-ci qui les a dîtes puisqu'il affirme: ''Si quelqu'un d'autre l'avait dit, Je soutiendrais le contraire''. De plus, sa fable semble être l'apologie de la précision du langage, du pouvoir qu'ont les mots de transformer le sens d'une phrase et l'éloge du maniement de la langue. Or la langue, La Fontaine la maitrise parfaitement, et il le sait. Le dépositaire infidèle est donc une fable à morale pessimiste puisque seul le mensonge peut combattre le mensonge, mais elle est surtout un texte très poétique, qui fait également lui-même l'éloge de la poésie et des poètes, et qui met en valeur son auteur, étant lui aussi poète. Les fables étant un genre quelque peu dévalorisé, La Fontaine aura surement voulu montrer ici l'importance du poète et de la poésie dans cet art. Un peu de la même façon que Malherbe qui se présente comme un messager entre le roi et Dieu pour mettre en valeur son rôle de poète dans son poème intitulé Prière pour le roi allant en Limousin.
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