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Commentaire de texte: LOCKE, Traité sur le gouvernement civil, chapitre XVIII

Publié le 27/02/2008

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locke

 

Histoire des idées politiques dans la littérature

Commentaire de texte :

LOCKE, Traité sur le gouvernement civil, chapitre XVIII, « De la tyrannie », paragraphes 202, 203 et 204.

 

 

Précurseur du mouvement des Lumières en France au XVIIIe siècle, Locke est le fondateur du libéralisme politique. C’est en 1690 qu’il publie le Traité sur le gouvernement civil ; une partie de ce traité s’attache à la tyrannie, qui est, pour lui dont l’opinion politique est que « l’égalité des hommes est un principe naturel », un acte intolérable. On se demande alors, à travers ce texte, s’il faut s’opposer à un tyran dont le pouvoir est puissant de la manière que nous nous opposons aux personnes dont le statut est moins important et moins reconnu. Il convient d’étudier, dans un premier temps, le fait que l’on accepte l’agissement sans autorité de la part d’une personne dont le pouvoir est puissant, et non d’une personne dont le pouvoir parait limité. Dans une seconde partie, nous aborderons la nuance qu’émet Locke sur le fait que la force doit être utilisée avec justice et légitimité, aussi bien de la part du souverain que de la part du peuple.

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« La tyrannie est l’usage d’un pouvoir dont on est revêtu, mais qu’on exerce, non pour le bien et l’avantage de ceux qui y sont soumis, mais pour son avantage propre », écrit Locke dans le paragraphe 199 du chapitre De la tyrannie de son Traité sur le gouvernement civil. D’après lui, le véritable tyran est celui qui excède le pouvoir qui lui a été attribué, en abusant des lois. Cette personne utilise la force dont elle dispose pour exercer sur ses sujets un pouvoir qu’aucune loi ne permet. L’auteur s’appuie ici sur une explication que le Roi Jacques fit au parlement en 1603, qui affirmait que sa préférence irait toujours plus au bien public et à l’avantage de tout l’état, qu’à ses avantages propres et intérêts particuliers. Le mythe de Gygès de Platon avait auparavant montré que lorsqu’un homme se trouve en possession d’un pouvoir, il tend à en abuser. C’est le cas pour le tyran, qui propose « non des lois, mais sa volonté pour règle », et qui cherche à satisfaire « son ambition particulière, son avarice, ou quelque autre passion déréglée ».

Le véritable tyran agit sans lois sur lesquelles s’appuyer. On peut donc s’opposer à lui de la même manière que l’on s’opposerait à un autre « qui envahirait de force le droit d’autrui » (ligne 6). Après l’avoir affirmé, Locke demande : « pourquoi on n’en peut pas user de même à l’égard des […] souverains, aussi bien qu’à l’égard de ceux qui leur sont inférieurs ? » Il prend pour exemple des personnes qui ont dans leur domaine un pouvoir particulier : l’ainé d’une famille a un pouvoir dans sa propre famille puisqu’il possède la plus grande partie des biens du père ; l’homme riche qui possède un pays a un pouvoir en ses terres. Mais la question que l’auteur souhaite extraire de ces exemples est la suivante : ces hommes ont-ils pour autant le droit d’abuser de leur pouvoir, en préjudiciant aux sujets qui leurs sont inférieurs ? Ni le pouvoir, ni les richesses ne peuvent, selon Locke, justifier « les rapines et l’oppression, qui consistent à préjudicier à autrui sans autorité : au contraire, ils ne font qu’aggraver la cruauté et l’injustice ». L’auteur appuie ses arguments sur l’exemple des enfants d’Adam, personnage que Filmer avait utilisé pour légitimer l’absolutisme, mais Locke avait réfuté cette idée.

« Agir sans autorité, au-delà des bornes marquées, n’est pas un droit d’un grand plutôt que d’un petit officier, et ne parait pas plus excusable dans un roi que dans un commissaire de quartier ». Locke affirme qu’un comportement abusif est même moins pardonnable dans ceux revêtus d’un grand pouvoir, puisqu’on a mis sur eux plus de confiance, on les a cru en état de faire du bien, capables et intelligents.

D’après le Traité sur la tolérance de Locke, les privilèges particuliers accordés à certains aux détriments d’autres est un des quatre « cas » qui restent intolérables, et c’est ce cas que nous observons ici. Mais un homme qui s’oppose à la société civile est également un acte intolérable, et c’est ce que notre auteur cherche à justifier ; nous allons l’étudier dans une seconde partie.

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Locke imagine la façon dont son traité peut être perçu et interprété : « quoi, dira-t-on, on peut donc s’opposer aux commandements et aux ordres d’un prince ? » (ligne 30) Il se doit alors de nuancer ses propos, car s’il était possible de s’opposer ainsi aux personnes qui ont en leurs mains un pouvoir décisif, les sociétés se trouveraient bien vite renversées. Par ce paragraphe, l’auteur souhaite montrer que son texte n’est ni un appel à une révolte, ni une incitation à la rebellion. Ce traité ne se réduit pas à une condamnation du gouvernement de Jacques II et à une justification de la Glorieuse révolution ; il résume les principes fondamentaux de Locke : l’égalité naturelle des hommes, cité auparavant, la défense du système représentatif, et enfin le souhait d’une limitation de la souveraineté, qui serait alors fondée sur la défense des droits des individus.

Si l’égalité naturelle des hommes ne doit pas permettre aux personnes influentes d’exercer un pouvoir abusif sur les sujets qui leur sont « inférieurs », elle ne doit pas permettre non plus aux sujets d’accuser à tort, sans légitimité et justice, une personne haut placée. Si une telle chose était possible, Locke affirme qu’ « au lieu de voir quelque gouvernement et quelque ordre, on ne verrait qu’anarchie et confusion » (ligne 33).

La force s’oppose dans ce texte à la « force injuste et illégitime », ainsi qu’à la violence. Une protestation ne peut avoir lieu que lorsqu’une réelle loi a été violée au préjudice d’autrui. Locke affirme que la force doit s’utiliser avec justice, légitimité, et sans violence. Et de même, il ne peut y avoir une plainte que s’il y a eu violence ou force illégitime ; dans le cas contraire, la personne qui se plaint s’attire une juste condamnation.

Les arguments de Locke ne font en aucun cas de ce texte une proclamation de l’anarchie. Il souhaite au contraire une égalité certaine entre peuple et souverains ; de toute personne qui possède en ses propres mains un pouvoir sur d’autres personnes.

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La tyrannie, quelque soit son échelle, entraîne des réactions qui n’auraient pas lieu d’être s’il existait une réelle égalité entre les hommes. Si une personne use de son pouvoir pour satisfaire une volonté particulière qui lui est propre, elle est alors considérée comme un tyran, potentiellement dénonciable, même par un sujet lui étant inférieur. Mais lorsque le sujet use de la force pour dénoncer un comportement qui n’est autre qu’un acte légitime venant d’un homme de statut supérieur, il y a abus. S’opposer à un tyran de la même manière que nous nous opposons aux personnes dont le statut est inférieur est alors possible et faisable, mais aucune exaction en termes de légitimité ne peut être tolérée. Locke dénonce cette inégalité qui s’installe au même titre que la tyrannie, et proclame une égalité entre les hommes dans ce texte adaptable à toutes périodes, dans lequel même notre époque moderne se reconnait.

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