Commentaire de texte : Bossuet, Oraison funèbre
Publié le 22/03/2011
Extrait du document
Bossuet (1627-1704) : après des études chez les jésuites, il est ordonné prêtre et devient chanoine de Metz. Très pieux, il se consacre à son sacerdoce et connaît le succès comme prédicateur. Influencé par saint Vincent de Paul, il épure son style. Il prend la parole devant la Cour et devient évêque en 1669. En 1670, il est nommé précepteur du fils de Louis XIV, le Grand Dauphin. En 1671, il entre à l'Académie française. En 1681, il devient évêque de Meaux (son surnom est \"l'Aigle de Meaux\"). Durant toute sa carrière, il s'est montré un redoutable polémiste: contre les protestants, contre les jésuites en défendant l'Eglise de France contre l'autorité excessive du Pape, contre les \"quiétistes\" comme Fénelon.
Son œuvre :
Les sermons: Il en a écrit et prononcé près de 200, dont il reste la préparation qu'il développait en chaire. Le plus connu est le Sermon sur la mort (1662).
Les panégyriques: Le panégyrique consiste à faire l'éloge d'un saint pour en montrer les vertus à imiter. Le plus connu est le Panégyrique de Saint Paul (1659).
Les oraisons funèbres: Commandée par la mort d'un grand personnage, l'oraison funèbre est un genre très solennel. Celles d'Henriette de France en 1669, d'Henriette d'Angleterre en 1670, et celle du Grand Condé en 1687 sont les plus célèbres. Evocation du défunt, leçon de grandeur morale composent ces discours.
Discours sur l'histoire universelle: Ce texte publié en 1681 est un véritable cours d'histoire composé pour l'instruction du Grand Dauphin. Le but de Bossuet est de démontrer le rôle tout-puissant de la Providence dans l'histoire et de tracer le portrait du vrai roi catholique.
Les ouvrages polémiques: Il a toujours cultivé la controverse avec les protestants. En 1688, il écrit l'Histoire des variations des Eglises protestantes. En 1694, il fait paraître des Maximes et réflexions sur la comédie, où il condamne le théâtre qui déprave les mœurs. En 1698, il fait paraître sa Relation sur le quiétisme.
1) La situation d’énonciation :
- Bossuet est évêque et précepteur du fils de Louis XIV depuis un an : il est donc revêtu d’une grande autorité morale (le caractère injonctif de l’oraison souligne cette autorité : Considérez, Messieurs / Chrétiens, ne murmurez pas.). Le cercueil de la belle-sœur du roi est à ses pieds ; son public est principalement constitué des membres de la noblesse. La thèse de son discours est que la mort des grands a un sens, elle est une leçon pour le reste des hommes, une preuve de la toute-puissance de Dieu.
- Mais le système des pronoms personnels révèle que le dessein de Bossuet est surtout de ne faire qu’un, en tant que mortel, avec son assistance, d’où l’utilisation de la 1ère personne du pluriel (nous regardons / nous tremblons / pour nous avertir / pour nous donner telle ou telle instruction / qui nous instruit / Nous devrions être assez convaincus de notre néant / nos cœurs enchantés / Qui de nous ne se sentit frappé / la mort plus puissante nous l'enlevait / nous la vîmes séchée). La seule intervention du “ je ” est précisément celle où Bossuet cite et interprète la Bible (il me semble que je vois l'accomplissement de cette parole du prophète) : cette irruption du “ je ” l’isole alors momentanément de son assistance et souligne son autorité de prêtre.
- Le discours suit les préceptes de la rhétorique classique fondée sur le movere (= émouvoir), le delectare (= plaire) et le docere (= instruire) : la première partie repose sur le docere (l.1-11) ; la seconde sur le movere, c’est la narration pathétique de la mort de Madame.
2) Le pathétique (= movere) :
L’évocation de la mort de Madame est en contraste avec l’avertissement liminaire (Chrétiens, ne murmurez pas si Madame a été choisie pour nous donner telle ou telle instruction : il n'y a rien ici de rude pour elle). Toutes les figures de style soulignent au contraire le pathétique :
- Les exclamations (O nuit désastreuse ! ô nuit effroyable), renforcées par le parallélisme.
- Les questions oratoires (Qui de nous ne se sentit frappé à ce coup, comme si quelque tragique accident avait désolé sa famille ? / Quoi donc ! elle devait périr sitôt ?).
- Redondances et hyperboles (assez grand et assez terrible / comme un éclat de tonnerre cette étonnante nouvelle).
- Les anaphores (Madame se meurt ! Madame est morte ! / partout on entend des cris ; partout on voit la douleur et le désespoir / en vain Monsieur, en vain le roi), auxquelles s’ajoutent les accumulations (Le roi, la reine, Monsieur, toute la cour, toute la cour, tout le peuple, tout est abattu, tout est désespéré).
- Les polysyndètes (et les princes et les peuples gémissaient en vain).
- Hypotypose soulignée par le présent de narration (on trouve tout consterné, … on entend des cris … on voit la douleur et le désespoir… tout est abattu, tout est désespéré).
- Métaphore filée (ainsi que l'herbe des champs : le matin elle fleurissait … le soir nous la vîmes séchée).
3) Bossuet intermédiaire entre Dieu et les hommes (= docere)
- Par sa position même, sur la chaire, Bossuet est au-dessus des hommes, mais en dessous de Dieu : il est là pour instruire les hommes en interprétant les actions de Dieu (sacrifier à l'instruction du reste des hommes).
- L’écriture sainte est donc alors utilisée par Bossuet, de trois façons :
- D’abord la citation (en français) d’Ezéchiel évoque un Dieu vengeur, qui punit les crimes des hommes : c’est l’image de la toute-puissance de Dieu.
- Ensuite la citation (d’abord en latin, puis en français) de Saint Ambroise (Discours sur la mort de son frère 1, 19) a le prestige de la langue sacrée : elle évoque au contraire la faiblesse de l’homme.
- La comparaison finale, très banale dans la poésie amoureuse (Madame cependant a passé du matin au soir, ainsi que l'herbe des champs : le matin elle fleurissait ; avec quelles grâces, vous le savez : le soir nous la vîmes séchée) s’inspire des Psaumes 102 (“ mes jours sont comme l'ombre qui décline, et moi comme l'herbe je sèche ”) et 103 (“ L'homme! ses jours sont comme l'herbe, comme la fleur des champs il fleurit; sur lui, qu'un souffle passe, il n'est plus ”). Les Psaumes sont un recueil de prières qui établissent un dialogue entre Dieu et les hommes, de la même façon que le prêtre : le texte ici joue le même rôle que l’orateur, un intermédiaire entre Dieu et les hommes.
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