Commentaire De Texte - Alain : Extrait De Minerve, Ou De La Sagesse
Publié le 16/01/2011
Extrait du document
Introduction
Alain, journaliste, professeur et philosophe français du XX°, auteur des célèbres Propos et de Minerve, ou de la sagesse, nous propose ici un extrait de ce dernier texte dont le thème est le rôle du repos. Selon Alain, il est paradoxalement encore plus important et complexe de savoir se reposer que de savoir être attentif. Le texte s’organise en trois paragraphes : le premier annonce et développe la thèse d’Alain, le deuxième continue le développement de la thèse et se lance sur l’inconscient, puis le texte s’achève sur des exemples dans l’art, la physique et le sport avec la fin du deuxième paragraphe et le troisième.
Qu’est-ce que la double aptitude attention/non-attention implique pour la compréhension du monde, et plus particulièrement, pour notre monde contemporain ? Alain n’exagère-t-il pas lorsqu’il déclare que dormir débarrasse de ses problèmes ?
Première partie : explication
Tout d’abord, Alain commence par annoncer sa thèse dans la première phrase. En effet, si pour lui savoir être attentif est un « grand art «, être capable de ne pas l’être est un « art royal «, ce qui suppose ce dernier cas plus important et plus difficile que le précédent. Cela tout en ironisant au passage au sujet des chefs d’Etat semblant hyperactifs qui veulent être constamment en activité. Ainsi, l’homme est « assiégé « par ses sens qui sont les « portes de l’homme «, ses liens avec l’extérieur : tant qu’il ne dort pas, ils lui font percevoir des images, des bruits, des odeurs. Selon Alain, il faut éviter de faire « audience ouverte «, d’être attentif à tout en continu, de se laisser déborder par ses sens.
Ainsi, pour Alain, choisir de s’endormir est une chose « merveilleuse « : l’homme arrête volontairement d’utiliser ses sens. Il indique la nécessité d’un « courage tranquille «, car il faut à la fois avoir la bravoure nécessaire pour accepter cette interruption des perceptions et la sérénité indispensable pour pouvoir s’endormir. Il n’y a plus de stress, de poils hérissés, de nerfs à fleur de peau, « la surface du corps ne se hérisse plus «. L’homme se « confie «, il s’abandonne à son environnement. Il s’agit d’une véritable harmonisation, on oublie ses soucis en dormant, d’où le fait que cela soit selon Alain la « substance du bonheur «, c'est-à-dire un état de satisfaction parfaite, de contentement du corps et de l’esprit.
Ensuite, Alain stipule que « qui se prive de sommeil, se prive d’éveil «. En effet, il est non seulement évident que si on ne dort pas, il n’y a pas de réveil qui suit ; mais de plus, si on ne dort pas, on reste fatigué et il devient ardu de réfléchir, de garder son esprit éveillé. En revanche, après avoir dormi, on est en forme, débarrassé, « lavé « de notre fatigue qui nous parasite pour penser.
C’est pourquoi par la suite, en accroche du deuxième paragraphe, Alain signale que ce repos, ce renouvellement, ce « retour des nuits « comme étant une grande aide afin de pouvoir rester éveillé et actif le jour. Mais il indique ensuite que continuer à penser même seulement la journée est impossible. Ainsi, un homme sensé doit être capable de prendre des pauses, de « dormir partout « : il y a deux temps séparés, lorsque l’homme pense, travaille et « donne audience «, et lorsqu’il dort. Cela permet d’avoir un « court réveil «, c'est-à-dire l’éveil rapide et prompt après avoir bien dormi, par opposition au long réveil lorsqu’on est encore fatigué et embrouillé à cause d’un manque de sommeil. Alain évoque alors les avantages et les inconvénients que comporte cette séparation en deux phases. Certes, on a probablement raté quelques événements pendant que l’on dormait, mais on est reposé, prêt à cogiter. En effet, quel intérêt de tout savoir si on est trop fatigué pour réfléchir lorsqu’il y en a besoin ?
Puis Alain commence à évoquer les facultés méconnues du cerveau, l’inconscient. Il mentionne ceux qui pensent que le cerveau fait un travail de reconstitution, une « digestion des idées «, telle la défragmentation d’un disque dur en informatique, pendant le sommeil et surtout pendant le rêve qui va puiser dans les ressources profondes de l’être. L’idée selon laquelle il existe une activité du corps et de l’esprit dont les effets sont conscients mais dont les causes sont inconscientes est en effet défendue par la plupart des philosophes, comme Spinoza. Mais ensuite, il signale qu’il est plutôt partisan de la thèse comme quoi c’est simplement grâce à l’élimination de la fatigue que l’on devient capable après avoir dormi de régler des problèmes insurpassables auparavant. C’est pourquoi, selon lui, il faut savoir choisir le bon moment pour se mettre à penser : essayer de réfléchir alors que l’on en est incapable, que l’on est fourbu ne serait qu’une perte de temps, ce serait « courir après l’idée dans le moment qu’elle fuit «. Mieux vaut attendre d’être frais et dispos.
Alain utilise alors l’exemple de l’art en indiquant qu’il vaut mieux se concentrer seulement par à-coups sur les grandes caractéristiques d’un monument, y « jeter deux ou trois éclairs d’attention « que de l’observer longuement en se laissant submerger par les détails sans rien retenir. Le principal peut souvent être compris rapidement avec un peu de concentration, garder un regard superficiel bien que sur toute l’étendue du monument est inutile.
De même, au début du troisième paragraphe, Alain donne l’exemple de l’étude des sons. Si on étudie un son très faible pendant trop longtemps, on finit par le trouver discontinu alors qu’il est continu. Il y a donc erreur à cause de la méthode.
Enfin, à la fin de cet extrait, Alain reprend la thèse développée dans le courant du deuxième paragraphe comme quoi il y a des pics d’activité et des temps de repos pour l’attention en l’illustrant avec le pouls : il augmente lors d’un effort physique, il est au repos le reste du temps. Il en est de même pour l’attention. Alain va même jusqu’à dire qu’il s’agit d’un principe nécessaire à la survie. Il faut savoir alterner, garder un rythme correct comme pour ramer, utiliser un marteau ou une hache. Il est nécessaire d’avoir des temps de repos, qui essaye d’être concentré en continu, de « serrer toujours «, ne pourra pas employer toutes ses facultés de réflexion au moment propice. Ainsi, un bon athlète économise ses forces pour les employer à l’instant où il en a le plus besoin.
Deuxième partie : commentaire
Questions pour la deuxième partie :
# Qu’est-ce que cette double aptitude attention/non-attention implique pour la compréhension du monde ? Et plus particulièrement, pour notre monde contemporain ?
# Alain n’exagère-t-il pas lorsqu’il déclare que dormir débarrasse de ses problèmes ?
Étudions à présent les conséquences de l’obtention de cette double aptitude de faire attention ou non. Notons au passage qu’on peut se demander comment la maîtriser. Faut-il s'éduquer, s'entraîner ? Il faudrait envisager les particularités d'une pareille éducation. Il paraît en effet intéressant d’apprendre à avoir un rythme de vie idéal. En fait, le plus simple semble tout bonnement de se forcer à l’appliquer, de prendre des temps de repos, de réguler son activité.
Mais qu'implique, pour la compréhension du rapport avec le monde, cette dualité entre vigilance et repos ? Elle implique un rapport d’une grande complexité. Or cette complexité peut être remise en cause : l'attention ne pourrait-elle pas être comprise comme la base de toute connaissance, et son usage comme ce qui doit être le plus instinctif et le moins élaboré ? On peut alors critiquer le fait qu'Alain considère ce qui a rapport à la manière dont doit s'exercer l'attention comme relevant d'un « art «.
En outre, nous pouvons voir dans ce texte une certaine ironie d'Alain concernant notre situation contemporaine moderne. Il tient en effet parfois de la gageure d'être inattentif, au repos, tant nous sommes constamment assaillis d'informations, de bruits, de pensées spéculatives et de contraintes diverses. Nous sommes joignables, à présent, partout et tout le temps avec les avancées technologiques en télécommunication. De fait, l'art d'être inattentif repose et dépend tout entier de nos périodes de latence et d'insouciance. Si l'homme " tient audience ouverte, il est perdu ", dit Alain. C'est donc bien, comble de l'ironie, un " art royal " que de parvenir à se déconnecter de cette réalité de diffusion. Une chose aussi élémentaire que le repos peut devenir problématique au sein de notre époque, entre autres pour les « chefs «, les personnes avec d’importantes responsabilités. Le sommeil semble donc être maintenant cet état momentané d'inconscience qui conditionne nos performances du lendemain.
En second lieu, on peut s’interroger sur la véracité totale des propos d’Alain lorsqu’il semble déclarer que dormir débarrasse de ses problèmes, que « qui a dormi est lavé «. Certes, une nuit de sommeil complète nous redonne la fraîcheur, la vigueur, la forme nécessaire pour une nouvelle journée. Certes, on peut parler d’état de bonheur, de satisfaction de l’esprit, puisqu’on est apparemment plus conscient de nos soucis, de nos préoccupations, de nos tracas.
Mais en fait, le sommeil n'est qu'une suspension de la réalité qui nous y fait replonger de plus belle une fois que l’on est de nouveau conscient après le réveil. Effectivement, ce n’est pas en dormant que la plupart des problèmes seront réglés, ils restent même si nous ne nous en sommes plus conscients durant le sommeil. Par ailleurs, cela peut passer pour une solution de facilité que de remettre au lendemain la résolution d’un problème dont on aurait pu se charger le jour même sous prétexte que ce n’est pas le moment d’y réfléchir.
Cela dit, on peut même aller jusqu’à se demander si il y a réellement un état de bonheur inhérent au sommeil : il ne protège pas toujours des angoisses, des cauchemars. Il est tout à fait possible de passer une mauvaise nuit ou de se réveiller mal alors qu’on a pris le temps de se reposer.
Conclusion
On peut en conclure qu’Alain nous donne ici à comprendre notre besoin de permuter régulièrement entre état de veille et état de repos. De la même manière que la théorie du Yin et du Yang, ces deux états sont complémentaires. Cette pensée permet d'engager une réflexion critique sur notre hygiène de vie contemporaine. Alain les considère comme des « arts «, indiquant par là la difficulté liée à une chose qui, pourtant, semble aller de soi. L'équilibre est difficile, entre les périodes de veille et de repos, sans doute même de plus en plus difficile à trouver, dans une époque toute entière dévouée à la performance.
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