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Commentaire de Stendhal, Le Rouge et le Noir, II, chap. 41. Discours De Julien

Publié le 15/09/2006

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Longtemps considéré comme un genre mineur, le roman connaît un âge d’or au XIXe siècle, notamment grâce à sa capacité à peindre des personnages et la société dans laquelle ils vivent. Stendhal, dont le vrai nom est Henri Beyle, né en 1783 à Grenoble et mort en 1842 à Paris, incarne la transition entre Romantisme et Réalisme. Il fait partie de cette génération de jeunes gens portés par le souffle de la Révolution, mais critique à l'égard de l'affadissement bourgeois qui s'ensuit. Son œuvre comprend des nouvelles telles les Chroniques italiennes, des textes autobiographiques comme Vie de Henry Brulard, mais il est aussi l’auteur de romans célèbres : La Chartreuse de Parme, Lucien Leuwen… Le Rouge et le Noir, sous-titré Chronique de 1830, relate le destin tragique de Julien Sorel, fils de charpentier dont les rêves d’ascension sociale seront brisés. Dans la deuxième partie du roman, Julien est amoureux de Mathilde de La Mole, fille d’un aristocrate disposé à favoriser sa carrière militaire, mais sa première maîtresse Mme de Rênal écrit pour dénoncer sa conduite. Il la blesse d’un coup de feu tiré à l’église. Emprisonné, il la revoit, se réconcilie avec elle. L’extrait étudié, situé vers la fin du roman, présente son procès. On peut s’interroger sur les fonctions remplies par ce passage. On analysera tout d’abord la peinture sociale et la critique de la justice, puis on étudiera le portrait d’un héros romantique, avant de s’intéresser à l’ironie du romancier. Plan détaillé : I La peinture sociale et la critique de la justice 1. Le point de vue adopté Jeu de points de vue avec un narrateur omniscient et un point de vue interne : accès aux pensées de Julien : « Pleurerait-elle, par hasard ? «, discours à la première personne. Le narrateur décrit les circonstances, romanesques, du procès qui se termine durant la nuit : « Minuit sonna «. Une hyperbole souligne la tension qui règne dans la salle (et dans la ville) : « au milieu de l’anxiété universelle «. Le récit évoque les différents personnages en présence : le président, Julien, l’avocat général qui « bondissait sur son siège «, les jurés, mais aussi le public et notamment les femmes qui « fondaient en larmes « : tableau précis et varié. 2. Le discours de Julien : une auto-accusation Le romancier diversifie les formes de discours : style indirect « le président des assises lui demanda s’il avait quelque chose à ajouter «, style direct avec l’importante prise de parole de Julien ll.8 à 20, mais également discours narrativisé avec le résumé des paroles de Julien à la fin du passage : « il dit tout ce qu’il avait sur le cœur « l.20. Julien s’exprime clairement, « en affermissant sa voix « précise le narrateur l.10, et l’on observe différentes marques d’éloquence : l’apostrophe « Messieurs les jurés « l.8, reprise l.13, le sens de la formule : « je ne vous demande aucune grâce «l.10 ; « la mort m’attend : elle sera juste « ; « mon crime est atroce, et il fut prémédité « « J’ai donc mérité la mort «… Ces propositions brèves, rythmées, sont particulièrement frappantes, d’autant plus qu’elles sont prononcées par l’accusé lui-même : Julien semble d’abord composer son propre réquisitoire, mais il dresse également une virulente critique de la justice. 3. La critique de la justice et de la société Elle est notamment basée sur des antithèses : « l’honneur d’appartenir à votre classe «/ la bassesse de sa fortune «« mériter de pitié «/ « punir en moi et décourager à jamais «l.15 ; « nés dans un ordre inférieur «/ « ce que l’orgueil des gens riches appelle la société « ; « quelque paysan enrichi / des bourgeois indignés « l.19 ; Julien met ainsi en lumière ainsi de façon abrupte ses propres origines modestes et le caractère implacable des injustices sociales, apparentes dans la composition même du jury : « je ne suis point jugé par mes pairs « assène-t-il. De même la formule « opprimés par la pauvreté « martelée par les reprises de sonorités (p), (r), (é) souligne le déterminisme social qui règne en 1830. II Le portrait d’un héros romantique 1. Orgueil, bravoure, lucidité Le discours de Julien apparaît d’abord comme un cri d’orgueil, selon ses propres justifications : « l’horreur du mépris, que je croyais pouvoir braver au moment de la mort, me fait prendre la parole «l.8. Les marques de la première personne dominent, montrant que l’orateur assume ses propos : nombreuses occurrences du pronom personnel « je «, emploi du pronom « moi « l.9 et l.15, des adjectifs possessifs : « mon crime l.13 et l.17, « ma jeunesse « l.14, « mes pairs « l.18. Nulle bassesse, nulle marque de lâcheté dans ses paroles, mais de la lucidité et de la détermination, marquées par la forme négative : « je ne vous demande aucune grâce « l.10, « je ne me fais point illusion « l.11. 2. Un défi à la mort Le héros adopte une attitude de défi face à la mort, évoquée avec insistance. Dès le début, avec une forme emphatique et une périphrase : « voilà le dernier de mes jours qui commence «, puis avec la reprise du terme : « braver au moment de la mort « l.8, « la mort m’attend « l.11, et la conclusion : « J’ai donc mérité la mort « l13. On retrouve là l’attitude caractéristique du héros romantique du début du XIXe siècle. 3. Un discours amoureux noble et généreux Julien, réconcilié avec Mme de Rênal, l’évoque avec noblesse et générosité dans son discours, grâce à des superlatifs et hyperboles : il la présente en effet comme « la femme la plus digne de tous les respects, de tous les hommages «l.12. Dans cet éloge public, Julien souligne le côté maternel de la femme aimée, avec une comparaison pudique : Mme de Rênal avait été pour moi comme une mère «. Le narrateur relève en outre « l’adoration filiale et sans bornes que, dans des temps plus heureux, il avait pour Mme de Rênal «l.24, autres hyperboles présentes dans le discours narrativisé qui résume la suite du discours du jeune homme. III Les clins d’œil d’un romancier ironique 1. Une mise en abyme de l’œuvre Le passage apparaît comme un rappel de l’itinéraire de Julien depuis ses origines, la révolte « contre la bassesse de sa fortune «, en passant par « le bonheur de se procurer une bonne éducation «, l’amour éprouvé pour Mme de Rênal en « des temps plus heureux «, « l’audace de se mêler à (…) la société «l.17, « la préméditation «, « son repentir «, le « respect «, l’acceptation de la mort… Enumération rapide et non paroles rapportées au discours direct : Le romancier coupe en effet la parole à Julien et charge le narrateur de faire la synthèse de ses propos : « pendant vingt minutes, Julien parla sur ce ton «. 2. Le regard ironique de l’auteur sur ses personnages Stendhal fait en effet preuve d’une ironie constante : dès le début avec le président « obligé de s’interrompre « à cause du « retentissement de la cloche «, l’hyperbole de « l’anxiété universelle «, l’attitude de « l’avocat général qui aspirait aux faveurs de l’aristocratie, bondissait sur son siège «, l’importance accordée au regard des femmes : les yeux « bien brillants « de Mme Derville, l’hyperbole « toutes les femmes fondaient en larmes «, l’observation narquoise « Mme Derville elle-même avait son mouchoir sur ses yeux «, la « chute « finale : « Mme Derville jeta un cri et s’évanouit «, « chute « soulignée par trois segments de 5 syllabes rythmés par l’assonance en (i). 3. Double sens et connivence avec les lecteurs Le romancier suggère la noblesse mais aussi la maladresse du héros qui parle pendant vingt minutes sur un ton particulièrement agressif dans une cour d’assises, qui « dit tout ce qu’il avait sur le cœur «, qui n’évite pas les répétitions : « Avant de finir, Julien revint à la préméditation «l.23. Ironie des formules qualifiant la maîtresse de Julien : « la femme la plus digne de tous les respects, de tous les hommages «…La remarque : « mais malgré le tour un peu abstrait que Julien avait donné à la discussion toutes les femmes fondaient en larmes « vise à la fois l’orateur naïf et le public féminin. Conclusion : L’analyse menée permet donc d’affirmer que ce passage remplit plusieurs fonctions dans le roman : il présente un tableau de la société de 1830, il brosse une virulente satire de la justice ; il complète le portrait d’un héros romantique ; il offre enfin une mise en abyme de ce roman d’apprentissage tout en mettant en lumière les caractéristiques de l’écriture stendhalienne : ton percutant, prose poétique musicale, ironie toujours présente. Le romancier adresse bien entendu tous ces clins d’œil à ses lecteurs attentifs, les fameux « happy few « évoqués à la fin de La Chartreuse de Parme, en nombre limité de son vivant mais toujours croissant avec la postérité.

stendhal

« Le héros adopte une attitude de défi face à la mort, évoquée avec insistance.

Dès le début, avec une forme emphatique et unepériphrase : « voilà le dernier de mes jours qui commence », puis avec la reprise du terme : « braver au moment de la mort » l.8,« la mort m'attend » l.11, et la conclusion : « J'ai donc mérité la mort » l13.

On retrouve là l'attitude caractéristique du hérosromantique du début du XIXe siècle. 3.

Un discours amoureux noble et généreuxJulien, réconcilié avec Mme de Rênal, l'évoque avec noblesse et générosité dans son discours, grâce à des superlatifs ethyperboles : il la présente en effet comme « la femme la plus digne de tous les respects, de tous les hommages »l.12.

Dans cetéloge public, Julien souligne le côté maternel de la femme aimée, avec une comparaison pudique : Mme de Rênal avait été pourmoi comme une mère ».

Le narrateur relève en outre « l'adoration filiale et sans bornes que, dans des temps plus heureux, il avaitpour Mme de Rênal »l.24, autres hyperboles présentes dans le discours narrativisé qui résume la suite du discours du jeunehomme. III Les clins d'œil d'un romancier ironique 1.

Une mise en abyme de l'œuvreLe passage apparaît comme un rappel de l'itinéraire de Julien depuis ses origines, la révolte « contre la bassesse de sa fortune »,en passant par « le bonheur de se procurer une bonne éducation », l'amour éprouvé pour Mme de Rênal en « des temps plusheureux », « l'audace de se mêler à (…) la société »l.17, « la préméditation », « son repentir », le « respect », l'acceptation de lamort… Enumération rapide et non paroles rapportées au discours direct : Le romancier coupe en effet la parole à Julien et chargele narrateur de faire la synthèse de ses propos : « pendant vingt minutes, Julien parla sur ce ton ». 2.

Le regard ironique de l'auteur sur ses personnagesStendhal fait en effet preuve d'une ironie constante : dès le début avec le président « obligé de s'interrompre » à cause du «retentissement de la cloche », l'hyperbole de « l'anxiété universelle », l'attitude de « l'avocat général qui aspirait aux faveurs del'aristocratie, bondissait sur son siège », l'importance accordée au regard des femmes : les yeux « bien brillants » de MmeDerville, l'hyperbole « toutes les femmes fondaient en larmes », l'observation narquoise « Mme Derville elle-même avait sonmouchoir sur ses yeux », la « chute » finale : « Mme Derville jeta un cri et s'évanouit », « chute » soulignée par trois segments de 5syllabes rythmés par l'assonance en (i). 3.

Double sens et connivence avec les lecteursLe romancier suggère la noblesse mais aussi la maladresse du héros qui parle pendant vingt minutes sur un ton particulièrementagressif dans une cour d'assises, qui « dit tout ce qu'il avait sur le cœur », qui n'évite pas les répétitions : « Avant de finir, Julienrevint à la préméditation »l.23.

Ironie des formules qualifiant la maîtresse de Julien : « la femme la plus digne de tous les respects,de tous les hommages »…La remarque : « mais malgré le tour un peu abstrait que Julien avait donné à la discussion toutes lesfemmes fondaient en larmes » vise à la fois l'orateur naïf et le public féminin. Conclusion :L'analyse menée permet donc d'affirmer que ce passage remplit plusieurs fonctions dans le roman : il présente un tableau de lasociété de 1830, il brosse une virulente satire de la justice ; il complète le portrait d'un héros romantique ; il offre enfin une miseen abyme de ce roman d'apprentissage tout en mettant en lumière les caractéristiques de l'écriture stendhalienne : ton percutant,prose poétique musicale, ironie toujours présente.

Le romancier adresse bien entendu tous ces clins d'œil à ses lecteurs attentifs,les fameux « happy few » évoqués à la fin de La Chartreuse de Parme, en nombre limité de son vivant mais toujours croissantavec la postérité.. »

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