Commentaire d'Arret Hardouin et Marie 1995 CE
Publié le 17/01/2011
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Droit administratif Commentaire comparé des arrêts Hardouin et Marie du 17 février 1995 Le principe même de l'Etat de droit est de soumettre tous les actes des administrations, ou des personnes de droit privé édictant des actes administratif, au contrôle des juridictions administratives. Pourtant, il existe différentes catégories d'actes de l'administration qui, en raison de leur nature juridique, sont insusceptibles de recours devant les juridictions administratives. Le 17 février 1995, par les arrêts « Hardouin » et « Marie », le Conseil d’Etat a modifié dans l’ordre administratif, la place occupée par les mesures d’ordre intérieur. Les deux arrêts du Conseil d'Etat ont comme point commun d'être relatifs à la notion de mesure d'ordre intérieur, notion juridique qui conduit le juge administratif à refuser d'accueillir les recours pour excés de pouvoir contre ces mesures. L’arrêt Hardouin du 17 février 1995 définit le critère juridique des sanctions disciplinaires à l’armée et l’arrêt Marie de la même année définit celui des sanctions disciplinaires à la prison, lesquelles ne peuvent plus depuis ces arrêts de revirement de jurisprudence en la matière, être qualifiées de mesure d’ordre intérieur. Dans l’arrêt Hardouin, un maître timonier, Mr Hardouin, navigue sur l’unité navale sur laquelle il servait en état d’ébriété le 8 novembre 1985. Par ailleurs, il refuse de se soumettre à l'alcootest. Le commandant de son unité lui inflige comme sanction une punition de 10 jours d’arrêts. Mr Hardouin a introduit un recours hiérarchique contre cette décision qui lui a infligé cette sanction devant le ministre de la défense. Le supérieur hiérarchique a rejeté ce recours. Mr Hardouin a donc décidé de saisir le tribunal administratif de Rennes, territorialement compétent afin que cette décision soit enfin annulée : il introduit donc un recours en annulation. Le tribunal administratif a rejeté sa requête au motif qu’elle était irrecevable. Mr Hardouin saisit le Conseil d’Etat. A l’appui de son recours en annulation devant le Conseil d’Etat, Mr Hardouin invoque les dispositions de la loi du 11 juillet 1979 pour justifier l’irrégularité de la décision du 14 mars 1986 du ministre de la défense. Selon lui, cette décision est irrégulière car elle n’est pas motivée. Or, selon le requérant, il en a l’obligation dès lors qu’il s’agit d’une décision infligeant une sanction. Dans l’arrêt Marie, Mr Marie, prisonnier à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis, écrit au directeur au chef de service de l’inspection générale des affaires sociales une lettre en date du 4 juin 1987 dans laquelle il se dénonce le mauvais fonctionnement du service médical de l’établissement pénitencier. Par une décision du 29 juin 1987, le directeur de la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis a infligé au détenu une sanction de mise en cellule de punition pour 8 jours avec sursis. Mr Marie a introduit un recours hiérarchique devant le directeur régional des services pénitentiaires contre cette décision. Le supérieur hiérarchique a rejeté son recours. Mr Marie a saisi le tribunal administratif de Versailles, territorialement compétent afin que cette décision soit annulée : il introduit donc un recours en annulation. Le tribunal administratif a rejeté cette requête au motif qu’elle était irrecevable. Mr Marie saisit le Conseil d’Etat. Une question qui se dégage de ces deux arrêts est celle de la recevabilité de la requête ou non parce que la décision doit être exécutoire pour que le recours en annulation soit recevable. Par conséquent, le juge administratif est confronté au problème de droit suivant : la décision infligeant la sanction est-elle exécutoire ? Ensuite, il pourra examiner sa recevabilité. Mais, ces deux problèmes seront écartés car ils sont trop restreints et trop centrés sur la notion de recevabilité, qui tient certes une place primordiale dans cet arrêt, mais qui est moins importante que la notion de mesure d’ordre intérieur dont il convient de s’interroger plus longuement. Le véritable problème de droit qui se dégage de ces deux espèces est le suivant : quels sont les actes insusceptibles de recours devant les juridictions administratives et plus exactement quels sont les éléments de définition d’une mesure d’ordre intérieur ? Dans l’arrêt Hardouin, le Conseil d’Etat prend le contre-pied du jugement du tribunal administratif de Rennes en admettant comme recevable la requête de Mr Hardouin au motif que « tant par ses effets directs sur la liberté d’aller et venir du militaire, en dehors du service, que par ses conséquences sur l’avancement ou le renouvellement des contrats d’engagement, la punition des arrêts constitue une mesure faisant grief, susceptible d’être déférée au juge de l’excès de pouvoir ». Pour le juge administratif, l’autorité militaire n’a de ce fait pas commis d’erreur manifeste d’appréciation des faits auxquels elle fut confrontée, comme le soutenait le requérant. Dans l’arrêt Marie, le Conseil d’Etat prend également le contre-pied du jugement du tribunal administratif de Versailles en admettant comme recevable la requête de Mr Marie au motif que « eu égard à la nature et à la gravité de cette mesure, la punition de cellule constitue une décision faisant grief susceptible d’être déférée au juge de l’excès de pouvoir ». Pour le juge administratif, la requête du détenu est justifiée parce que la lettre de Mr Marie ne comporte pas de propos calomnieux. Dans un premier temps, nous verrons que le principe admis par la jurisprudence traditionnelle est que les mesures d’ordre intérieur sont des actes qui ne font pas grief (I), puis, nous verrons dans un second temps que la notion de mesure d’ordre intérieur tend à se rétrécir considérablement (II). I - La mesure d’ordre intérieur : un acte ne faisant pas ou peu grief Le juge administratif se borne à ne contrôler que les actes de l’administration susceptibles de modifier l’ordonnancement juridique c’est-à-dire qu’il exclut tout contrôle sur les actes non exécutoires, ce que nous verrons dans un premier temps (A) et sur les actes d’une importance moindre, ce que nous verrons dans un second temps (B). A - Les mesures unilatérales non exécutoires En principe, conformément au principe de légalité, l'administration est soumise au droit. Mais tous les actes ne peuvent être contestés devant les juridictions administratives. En effet, soit ces actes relèvent de la juridiction judiciaire, comme les actes de gestion du domaine privé ou les actes de gestion des services publics industriels et commerciaux, ou encore les accidents impluquant les véhicules administratifs par dérogation du législateur, soit ils sont trop importants comme les actes de nature politique qui comprennent entre autres les actes de gouvernement, ou, au contraire, soit ces actes sont peu importants commes les avis, les recommandations, les proposition et les mesures d'ordre intérieure. Enfin, tout simplement, ces actes peuvent relever du pouvoir discrétionnaire du chef de service et le juge administratif n'a pas à se substituer à lui dans ce domaine. René Chapus définit les mesures d’ordre intérieur ainsi : « sont ainsi désignées, non seulement, les circulaires et les directives non réglementaires, à l’égard desquelles l’irrecevabilité du recours est la conséquence de leur caractère non décisoire, mais aussi de véritables décisions, dont la faible importance pratique et la minceur juridique ont paru justifier qu’elles ne puissent faire l’objet de débats devant la juridiction ». Dans l’affaire Hardouin comme dans l’affaire Marie, on retrouve les mesures de faibles importances telles que les recommandations et les mesures d’ordre intérieur. La décision du 14 mars 1986 du ministre de la défense contient des dispositions impératives, notamment le fait que le ministre a l’obligation de motiver les sanctions dans sa décision. Elle a de ce fait une nature réglementaire et elle peut donc être déférée au juge de l’excès de pouvoir. Il s’agit d’appliquer la jurisprudence du Conseil d’Etat du 29 janvier 1954 Institut Notre Dame du Kreisker dans laquelle le juge administratif opère une distinction entre circulaires réglementaires, véritables décisions déférables au juge de l’excès de pouvoir et circulaires interprétatives, considérées comme des mesures d’ordre intérieur car elles n’ajoutent rien au droit. Il s’agit aussi d’appliquer l’arrêt du 7 février 1936 Jamart dans lequel le Conseil d’Etat énonce qu’une décision réglementaire peut être légale si son auteur dispose du pouvoir réglementaire ou du pouvoir d’organisation du service, ce qui est le cas du ministre en l’espèce. Enfin, les dispositions de nature interprétative, qui se contenteraient de rappeler les textes ou de les expliquer, sans en modifier le contenu et sans violer les libertés des détenus, sont insusceptibles de faire l’objet d’une contestation devant le juge de l’excès de pouvoir. Mais, dans le cas d’espèce, la situation est différente : la décision par laquelle le directeur de la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis estime que la réclamation du détenu est injustifiée aurait pu présenter le caractère d’une mesure d’ordre intérieur. En effet, cette décision aurait pu être rattachée aux décisions de faible importance pratique et par conséquent elle n’aurait pas du être susceptible de recours devant les juridictions administratives. Mais, le problème est que la nature et la gravité de la mesure sont telles que cette décision fait grief au détenu et, de ce fait, elle doit être déférée au juge de l’excès de pouvoir. B - Le contenu juridique de la notion de mesure d’ordre intérieur Il existe deux catégories de mesures d’ordre intérieur : les mesures d’ordre intérieur purement internes à l’administration (ex : circulaires, directives) et celles qui ont le caractère de véritables décisions mais que le juge administratif refuse de contrôler. Comme le montre l’arrêt Spire du 9 juin 1978, il y aurait en réalité les vraies mesures d’ordre intérieur et les fausses. Cette distinction se justifie aisément sur le plan juridique : un adage dispose que le juge ne s’occupe pas des affaires de moindre importance. De plus, ces mesures sont nécessaires pour assurer la discipline interne de deux administrations : l’armée pour l’arrêt Hardouin et la prison pour l’arrêt Marie. Elles ont un caractère trop précis et étroit. Concernant les deux institutions concernées en l’espèce, la jurisprudence a pu à maintes reprises s’exprimer. L’administration militaire obéit à la logique des punitions, mesures différentes des sanctions disciplinaires, comme les consignes, les blâmes et les refus de permissions qui ne peuvent pas être contestées au contentieux par les militaires selon l’arrêt du 18 octobre 1918 Voltrine. De même, selon l’arrêt du 24 novembre 1976 Agostini, les refus d’ouvrir une enquête sur le comportement d’un militaire ne peut faire l’objet d’une contestation par les militaires. Enfin, l’interdiction faite à un officier de contacter la presse sur des questions concernant l’armée ne peut pas être contestée par un recours contentieux selon l’arrêt du 19 janvier 1990 Beau. A propos des établissements pénitentiaires, sont des mesures d’ordre intérieur les travaux collectifs de nettoyage des locaux, la privation de télévision, de sport ou de loisirs pour motifs disciplinaires ou d’ordre public. De même, selon l’arrêt Frérot du 8 décembre 2000, est une mesure d’ordre intérieur la décision par laquelle le directeur d’une maison d’arrêt refuse de faire acheminer le courrier entre détenus, malgré la violation de la liberté de correspondre. Selon l’arrêt du 28 février 1996 Fauqueux, la mise à l’isolement, mesure prise en vue de faire respecter l’ordre dans la prison, et qui en vertu du code de procédure pénale est sans conséquence sur le régime de détention, n’ouvre pas non plus le recours. Mais, dans un l'arrêt Remli du 5 novembre 2003, la Cour d'appel administrative de Paris a remis en cause cette solution. Désormais, les mesures d'ordre intérieur peuvent ouvrir le droit à un recours. Il faut dire qu'il y a de vives controverses doctrinales sur le sujet et il était temps que la jurisprudence revoit sa position. La doctrine soulevait le fait que cette solution est contraire au principe général du droit selon lequel il existe un droit au recours contre tout acte administratif. Le contenu de la notion de mesure d'ordre intérieur tend à perdre de sa substance depuis environ 1990. II - Une réduction juridique du champ des mesures d'ordre intérieur Le fait que le droit ait évolué en la matière est un apport considérable ; Mais le problème est que cette évolution juridique n'aboutit pas toujours à l'émergence de solutions claires. Nous verrons dans un premier temps que les mesures qui portent gravement atteintes aux libertés et au statut des personnes sont exclues de la notion de mesures d’ordre intérieur (A), puis, nous verrons dans un second temps que ce rétrécissement de la notion de mesures d’ordre intérieur pose problème (B). A - L’exclusion des décisions attentatoires aux libertés et au statut des personnes Depuis environ 1990, le juge tend à réduire le domaine d'application des mesures d'ordre intérieur. Il s'agit de véritables décisions qui sont exécutoires et on ne peut pas éviter de vérifier leur régularité. L'arrêt de principe en la matière est l'arrêt Camara du 23 novembre 1962 où le Conseil d'Etat a accordé le contrôle d'une notation d'un fonctionnaire. Il y a eu ensuite deux phases dans l’évolution des institutions militaires et pénitentiaires. A propos du milieu carcéral, dans un arrêt du 15 janvier 1992 Cherbonnel, le juge a d’abord exclu du domaine des mesures d’ordre intérieur les dispositions qui violent le code de procédure pénale. Ensuite, par l’arrêt du 2 novembre 1992 Kherouaa ou l’affaire dite du « foulard islamique », le juge a pu être saisi des recours contre les décisions qui violeraient les libertés fondamentales en général et plus particulièrement les règlements intérieurs des établissements scolaires qui viole la liberté de religion et qui sanctionne à ce titre les élèves qui portent un signe religieux distinct. Enfin, à propos de la prison et de l’armée, le Conseil d’Etat, dans les deux arrêts du 17 février 1995, a considéré que les deux décisions en cause dans l’affaire ne sont pas des mesures d’ordre intérieur. Le juge administratif a tenu compte dans ces affaires des limites dégagées par le commissaire du gouvernement puisque, dans l’affaire Hardouin, le Conseil d’Etat s’intéresse aux répercussions de la décision faisant grief sur la liberté d’aller et venir du détenu et sa réinsertion professionnelle ultérieure. De même, dans l’affaire Marie, il retient le caractère particulièrement grave de la décision. Pour résumer toutes ces jurisprudences, ne sont pas des mesures d’ordre intérieur toutes les décisions administratives qui, en raison de leur contenu, porteraient atteinte aux libertés des usagers des administrations ou aux agents publics ainsi que celles qui remettraient en cause le statut juridique de ces mêmes personnes. Le juge se sert de différents critères pour apprécier les conséquences juridiques concrètes d'une mesure. C'est ce changement de méthode qui permet une diminution de la catégorie des mesures Cette nouvelle méthode s'applique à tous les domaines. Ainsi, les décisions d'affectation des enfants dans une classe sont traditionnellement considérées comme des mesures d'ordre intérieur. Mais, si, dans une affaire particulière, il y a des raisons de penser qu'une mesure a des conséquences sur la scolarité des élèves, le juge admettra la recevabilité du recours. C'est, notamment, le cas de la décision de séparer des jumeaux à l'école. En effet, le maintien en couple ou la séparation de jumeaux en bas age peut avoir une influence déterminante sur l'éveil de la personnalité et l'apprentissage de l'autonomie par les deux enfants. Le juge considère donc que cette mesure fait grief (CAA Versailles, 17/02/2005, Mr. et Mme. José D). En changeant, ainsi, de méthode, le juge soumet à son contrôle un plus grand nombre de mesures. Mais, cette nouvelle approche plus pragmatique n'est pas sans soulever certaines difficultés. Ainsi, il est difficile de prévoir à l'avance la solution qui sera retenue par le juge administratif. C'est ainsi que le Conseil d'Etat a retenu deux solutions différentes à propos du placement à l'isolement. En 1996 (CE, 28/02/1996, Fauqueux), il juge qu'il s'agit d'une mesure d'ordre intérieur. Il reviendra sur sa position en 2003 avec l'arret Remli, que nous allons aborder dans notre B. B - La notion controversée de mesure d'ordre intérieur Le fait d’avoir rétréci le champ des mesures d’ordre intérieur a rendu la notion beaucoup plus floue qu’auparavant et la jurisprudence semble plus difficile à saisir. Par exemple, dans l’arrêt du 5 novembre 2002 de la cour d’appel administrative de Paris, un détenu, Mr Remli a été placé en cellule d’isolement par le directeur de l’établissement pénitentiaire. Ce dernier a justifié sa décision par des actes de mutinerie commis dans un autre établissement pénitentiaire. Selon le code de procédure pénale, ce type de mesure a pour but de prévenir ou de faire cesser les désordres ou atteintes à la sécurité des personnes. Or, la comparaison avec les autres établissements pénitentiaires ne semblent avoir aucun rapport avec le réel but qu’aurait du poursuivre cette décision. Dans l’arrêt du 28 février 1996 Fauqueux, le juge administratif aurait du déclaré la requête irrecevable. Or, il va contrôler la décision de placement à l’isolement et l’annuler pour défaut de motivation en violation de la loi du 11 juillet 1979. Ce qui est important à soulever, ce sont les critères retenus par le juge. Dans les arrêts Hardouin et Marie, le juge se fonde sur la violation d’une liberté individuelle et du statut juridique de militaire ou de détenu. Il agit de même dans l’arrêt Kherouaa. Le problème est que la plupart des sanctions disciplinaires prises à l’encontre des militaires équivalentes à celle de l’affaire Hardouin seront susceptibles de modifier la vie professionnelle du militaire par la suite. En revanche, dans l’arrêt Remli, le juge justifie la recevabilité de la requête par des fondements importants pour le détenu mais moindre au titre de la liberté individuelle. Le placement à l’isolement est considéré comme ayant des répercussions sur la réintégration socio-culturelle et professionnelle du détenu. Autrefois, la limite entre décision exécutoire et mesure d’ordre intérieur était la violation ou non d’un statut juridique ou d’une liberté individuelle. A présent, où se situe-t-elle ? Par exemple, le fait de priver un détenu de télévision le priverait du droit à l’information, à la culture et au divertissement et aggraverait réellement sa situation, mais, il y a de très fortes probabilités pour que le juge qualifie de mesures d’ordre intérieur une telle décision le cas échéant. Ces problèmes d'ordre jurisprudentiels nous démontre d'ailleurs la véracité de la célèbre phrase de Talleyrand : Le droit est le royaume de l'imaginaire ; Autrement dit, le juge peut faire correspondre des éléments normatifs à n'importe quelle situation juridique en interprétant celle-ci de manière à ce qu'elle soit régie par telle ou telle norme juridique.
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