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commentaire composé Une Vie Maupassant

Publié le 03/11/2012

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Introduction. Maupassant affirmait n'appartenir à aucune école littéraire. Cependant, c'est au courant naturaliste que l'on rattache habituellement Une Vie. Dans ce roman publié en 1883, l'héroïne, Jeanne, connaît une succession de malheurs et d'échecs. Au début du récit, le baron, son père, et Julien, un coureur de dot, ont organisé le baptême de « Jeanne «, un bateau. C'est le moment que choisit Julien pour demander Jeanne en mariage. Comment cette « scène «, qui préfigure l'échec conjugal de l'héroïne, nous transmet-elle la vision du monde de l'auteur ? Nous tenterons de montrer que l'auteur se refuse à embellir la réalité et qu'il présente ce baptême de manière parodique , avant d'étudier la vision pessimiste qui se dégage de ce tableau. DEVELOPPEMENT Tout d'abord, on est frappé par le parti pris du narrateur, qui a choisi de raconter cet épisode sans l'idéaliser, bien au contraire. Il le situe dans un cadre singulier pour des « fiançailles «. Ainsi c'est dans un coin de campagne normande que se déroule cette scène de genre : à l'époque, il n'était pas rare d'organiser le baptême d'un bateau. En y intégrant des personnages typiques et traditionnels -prêtre, matelots...qui n'attirent guère la sympathie- le narrateur met en avant son souci documentaire, sa démarche réaliste. Il n'a pas l'intention d'embellir la réalité. D'ailleurs, alors que l'on pourrait s'attendre à plus d'intimité et de « romantisme « pour une demande en mariage, celle-ci a lieu en public, même si paradoxalement personne, hormis Jeanne, n'en est informé puisque Julien parle tout bas. La « joie « qu'est censée éprouvée Jeanne ne sera donc pas partagée ; une absence totale de chaleur humaine émane de ce tableau figé, un peu trop solennel. Il ne s'agit pas d'une demande de mariage habituelle: le lecteur, tout comme Jeanne, a de quoi être surpris. De plus, c'est un couple a priori mal assorti qui occupe le devant de la scène. Le jeune homme apparaît comme étrange, inquiétant : « il « gardait sa figure grave « ; il ne fait montre d'aucune émotion particulière lorsqu'il s'adresse à Jeanne, comme l'indique ce complément de manière « sans que sa figure remuât «. Il reste impassible, imperturbable, contrairement à elle. L'opposition entre Julien et sa future épouse est d'ailleurs marquée par le parallélisme « le jeune homme «/ ''la jeune fille «, ainsi que par la conjonction « mais «. Le narrateur emploie le lexique de la faiblesse : « étranglée « ; « défaillante «, pour souligner l'excessive émotivité de l'héroïne. Dans le même but, il relève ses réactions physiologiques : « se mit à trembler « (renforcé par l'intensif « tellement «) et « ses dents s'entrechoquaient «. Il stigmatise aussi un autre défaut de la jeune fille : à ses yeux, elle est trop rêveuse (« le rêve «, « l'obsession de son coeur «), au point de ne plus distinguer son fantasme de « l'apparence d'une réalité «. Un cadre peu idyllique, un entourage bien cérémonieux, un couple que tout oppose : il est difficile de prendre au sérieux la « déclaration « de Julien. Au point que cette cérémonie peut se lire comme une véritable parodie de « fiançailles «. On pourrait en effet penser que ce baptême est prétexte à une « mise en scène «. Julien semble y jouer un rôle empreint de solennité. On peut le comparer à un acteur à l'attitude rigide, récitant un texte appris à l'avance, adoptant une gestuelle inquiétante, puisqu'il « pressait « la main de Jeanne « à la briser «. Cette hyperbole, qui clôt la gradation « doucement d'abord, puis plus fort, plus fort « peut connoter une forte passion, mais aussi une certaine brutalité...Tous les protagonistes d'une cérémonie officielle sont réunis, au point que Jeanne croit être la mariée. C'est ce que montre le narrateur, utilisant la focalisation interne pour nous donner accès aux pensées de son héroïne, dans un discours indirect libre : « n'était-ce pas elle qu'on mariait ? «. D'ailleurs, le prêtre accomplit les gestes que l'on attend de lui pour un mariage : « bénissant « ; Jeanne entend parler de « noce «, « psalmodier « des prières...On songe d'autant plus à une mise en scène que le prêtre, les « hommes en surplis « et les enfants de choeur s'avèrent très pressés, sitôt le baptême terminé, de quitter leurs vêtements, dont on peut alors imaginer qu'ils n'étaient que des déguisements de circonstance. Jeanne, dans un état second, semble être-comme le lecteur- spectatrice de cette scène ; elle en est également l'actrice involontaire lorsqu'elle « baissa la tête d'un mouvement très lent «, comme pour se conformer aux didascalies d'une pièce de théâtre préécrite. On a le sentiment que tout n'a été mis en place qu'en vue d'obtenir le consentement de Jeanne. Semblant obéir à une mécanique bien réglée, le prêtre « leur envoya quelques gouttes sur les doigts «, comme pour sceller son union avec Julien. D'ailleurs, sitôt obtenu le « oui « de Jeanne, plus aucun figurant ou protagoniste ne souhaite continuer de jouer la comédie. C'est ce que traduisent la juxtaposition et la brièveté des phrases du dernier paragraphe : « C'était fini. Les femmes se relevaient. Le retour fut une débandade «. Pour renforcer cette impression de mise en scène, le narrateur puise dans deux registres contrastés. Ainsi, la plus grande partie du texte relève du registre lyrique. On observe des phrases assez longues pour évoquer les rêveries ou les sensations de Jeanne : « Le rêve qui la hantait depuis quelque temps... « et, plus loin : « Eut-elle dans les doigts une secousse nerveuse... ? «. Les termes employés, « hallucination «, « ivresse d'amour « , « hantait «, « rêve « révèlent le décalage entre les perceptions intensifiées d'une héroïne « sous hypnose « et la réalité. Toutefois, cette exaltation contraste fortement avec la fin du texte, qui se situe dans le registre burlesque. Femmes, prêtres, matelots, enfants sont décrits mécaniquement, telles des marionnettes. L'impression dominante est celle du désordre (« débandade «).Tout se passe en effet comme si le narrateur voulait désacraliser le mariage et ceux qui y ont participé et qui, brusquement, « jettent le masque «. Le curé est animalisé de façon grotesque : il « galopait derrière «, la croix, personnifiée, comme pour mieux échapper à ceux qui ne savent plus la tenir. Sa trajectoire zigzagante (« oscillant de droite et de gauche «), sa position ridicule (« prête à tomber sur le nez «) symbolisent une inversion des valeurs : ce qui était haut, noble, est tiré vers le bas, le vulgaire. Les personnages ne sont plus représentés en train de prier, mais pressés de manger. Cette description parodique des « fiançailles «, ce discrédit jeté sur le prêtre et le cortège de la fête suscitent un certain malaise chez le lecteur. Ce dernier est ainsi amené à s'interroger sur la vision de la société véhiculée dans ce texte. Notons d'abord les jeux de focalisation choisis : externe pour décrire la fuite désordonnée de l'assistance, le narrateur se fait le plus souvent omniscient, comme pour inciter le lecteur à se distancier du point de vue naïf de Jeanne. Ainsi, il laisse ce dernier interpréter le geste de Julien : amoureux ou ...vil séducteur (de « Eut-elle dans les doigts « jusqu'à « résistait «) ? Il marque sa présence par le biais des adverbes « oui, certes « ou encore « peut-être «, qui attirent l'attention et invitent à se questionner au sujet des événements racontés : faut-il croire à ce mariage ? Les prêtres méritent-ils d'être considérés ?...Rien ni personne n'est donc épargné par un Maupassant particulièrement pessimiste. La vision du couple dans ce texte se révèle assez noire. Julien ne rendra pas Jeanne heureuse. On le devine manipulateur et infidèle, froid et insensible. Jeanne, quant à elle, subit des événements qui sont allés trop vite, ce que laissent entendre les adverbes «soudaine «, « tout à coup « : elle ne maîtrise pas son destin, mais en est le jouet. Reflet de la condition féminine au XIXè siècle, Jeanne se montre soumise, mutique. Elle s'assimile au bateau éponyme dans une démarche de réification qui trahit sa nature confuse, rêveuse, trop imaginative et passive. Proie d'un mari dénué de délicatesse, elle ne trouve pas sa place dans un monde mené par hommes. D'ailleurs, la société -civile et religieuse- est nettement disqualifiée dans ce texte. Si Julien est un hypocrite, les membres du clergé, animés eux aussi par de bas instincts, n'ont pas les faveurs de l'auteur. Maupassant semble avoir une piètre opinion de l'Eglise. Ses personnages sont pressés d'en finir avec la cérémonie, comme en témoigne la présence du champ lexical de la vitesse : « elle filait vite «, « galopait «, « plus tôt déshabillés «, « se hâtaient «. La gradation finale « allongeait les jambes, mouillait les bouches de salive...boyaux « fait penser à des enjambées de plus en plus grandes...vers les cuisines. Aux instincts primaires du cortège en déroute s'opposent les aspirations élevées de Jeanne (« l'obsession de son coeur «) ; les prières psalmodiées contrastent, non sans ironie, avec le « chant des boyaux «. Conclusion : Nous avons vu comment cette scène préfigure l'échec du mariage de Jeanne. La démarche de l'auteur est d'autant plus cruelle ici que le mariage est l'aboutissement de la vie de l'héroïne, son but ultime, ce à quoi elle a toujours aspiré. Mais au-delà de cette catastrophe annoncée, c'est toute la vision profondément pessimiste du monde de Maupassant qui s'exprime ici. Influencé par Schopenhauer, Maupassant joue avec art sur les contrastes pour souligner les travers d'une nature humaine qui ne lui inspire que de la tristesse. C'est d'ailleurs avec la même amertume qu'il décrira dans Bel-Ami le milieu du journalisme, en stigmatisant l'opportunisme de son héros, Georges Duroy.

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