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Commentaire Composé Electre de Giraudou

Publié le 19/02/2011

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Commentaire composé : J. Giraudoux, Électre

 

 

 

Introduction

 

 

 

Après Amphitryon 38 (1929) et La guerre de Troie n'aura pas lieu (1935), Électre est la troisième œuvre dramatique de Jean Giraudoux (1882-1944) inspirée de l'Antiquité grecque.

Il s’agit d’une « pièce en deux actes » presque symétriques (l'un de treize scènes, l'autre de dix).La scène se déroule à Argos, dans le palais d’Agamemnon, le père d’Électre. La vengeance de la mort de ce dernier par sa fille est l’intrigue principale de la pièce. La scène que nous étudierons est la dernière de l’œuvre. Nous assistons à un dialogue entre les Euménides (déesses vengeresses), Électre, La femme Narsès et un mendiant.

 C'est la scène finale de cette pièce, mais la résolution de l'intrigue dramatique a déjà eu lieu : Oreste a tué Égisthe et Clytemnestre : cette scène finale ne conclut donc pas l'intrigue tragique, mais donne sens à la pièce toute entière. On peut alors se demander quelle est l’image que l’auteur nous présente d’Électre dans cette scène de dénouement et ce quelle apporte à l’œuvre entière composée par Giraudoux. La structure de la scène est très intéressante, il s'y affronte deux conceptions de la justice, une lutte dans laquelle Électre triomphe. A cela s’ajoute une conception particulière de la tragédie de la part de Giraudoux.

 

 

I La culpabilité d’Électre

 

 

 

Cette scène a pour principal sujet la culpabilité d’Électre. Tout d’abord, le texte fait état d’une condamnation par les Euménides.  Ainsi lui disent elle « te voilà satisfaite, Électre » Leurs propos sont emprunts d’ironie cruelle mais également de menaces pour l’avenir. « Désormais, c’est toi la coupable » L’adverbe « désormais » insiste sur un tournant particulier de l’histoire d’Électre. En se vengeant, elle met en route sa destinée et celle de sa famille. Elle est ainsi condamnée à vivre avec un sentiment de culpabilité, elle n’est plus innocente ; et sa culpabilité est double. Elle est non seulement responsable du massacre de la population d’Argos, mais également du malheur de sa famille, c'est-à-dire du meurtre de sa mère et d’Égisthe (rappelons que c’est elle qui a poussé Oreste au crime.), et par-dessus tout, du tourment que subira son frère par la suite : « Nous ne le lâcherons plus, jusqu’à ce qu’il délire et se tue, maudissant sa sœur. » le gérondif indique ici une corrélation dans le temps entre l’action de se tuer et de maudire Électre. Les deux actes sont donc liés.

Les Euménides condamnent également l’orgueil d’Électre : « voilà où t’a mené l’orgueil ». Il s’agit de l’hybris (ὕϐρις, la démesure) « topos » de la tragédie grecque, sentiment qui pousse les héros tragiques à vouloir égaler les dieux. La démesure, dans les tragédies antiques était très fortement punie par les dieux. Il s’agit donc d’une accusation grave, ainsi que d’une menace sous entendue de la part des Euménides. Cependant, à cette réplique l’héroïne ne parait pas s’inquiéter. Électre est poussée par son idéalisme et fait appel au juste (idée qu’elle reprend trois fois dans le passage : « j’ai la justice »). Sa volonté de justice se traduit par le massacre d’innocents (« les innocents s’entretuent »). Ainsi donc, elle est coupable mais dit avoir agis pour la justice.

Cette justice apparaît allégoriquement sous la forme de lumière. C’est en effet la signification qu’on peut apporter à cette idée de lueur lorsque le serviteur déclame « le palais brûle », tout comme il peut s’agir de la lueur de la tragédie, qui se joint plus loin, comme le diront les Euménides, au jour (la lumière de l’aurore) et à la vérité (« C’est la lueur qui manquait à Électre, avec le jour et la vérité »).

Électre reprend les paroles de la première Euménide « te voila satisfaite ». Elle répond par la positive, elle assume son acte, ne renie pas ses actions. Elle a enfin accompli sa vengeance, qu’elle attendait depuis longtemps. On a devant nous une Électre sûre d’elle-même, assumant ses actes en totalité : alors que les Euménides ne cessent d’utiliser des phrases exclamatives, Électre se contente de phrases simples et déclaratives (par exemple : « Il le sait. », « Me voila satisfaite »)

 

 

II Coupable mais innocentée par la justice

 

 

 

Face à une Électre coupable, à la vengeance assouvie, on se retrouve devant une « justicière » pleine d’espoir.

Les Euménides emploient des formules négatives : « tu n’as plus rien ... tu n’es plus rien ». Elles condamnent Électre au néant. Celle-ci répond par la plénitude : « J’ai tout ». Cette force de sérénité nous présente une héroïne quasi divine, elle paraît pouvoir prédire l’avenir : elle utilise le futur dans des phrases simples, ainsi que le verbe « savoir ». Après avoir été attaquée une première fois par les paroles des déesses de la vengeance, ces dernières continuent à la menacer. Électre poursuit par des restrictions successives : de « J’ai ma conscience, j’ai Oreste, j’ai la justice, j’ai tout » jusqu’à « j’ai la justice, j’ai tout ». Les Euménides lui imposent des privations. Elle en arrive à l’essentiel, ce qui relève de sa nature : la justice. De toute évidence, la virgule de la réplique « j’ai la justice, j’ai tout » n’a pas de valeur d’accumulation, mais de précision. Avoir la justice, c’est avoir tout ce qui compte. Et cette justice paraît pour la protagoniste porteur d’espoir. Ainsi, d’après elle, si des innocents meurent par sa faute, « ils renaîtront », tout comme la ville.

La solitude, qui était sa punition (on veut lui enlever la seule personne proche qui lui restait, Oreste), devient présence humaine. En effet, au moment ou les Euménides lui annoncent qu’elles poursuivront son frère, la femme Narsès intervient. Elle soutient Électre et la défend : « elles sont méchantes ». Elle compatit : « ma pauvre Électre ». Elle représente pourtant l’humanité, le peuple dans toute sa simplicité : « Je me rends mal compte ».

Électre refuse de céder au désespoir. Elle oppose ses certitudes à la violence des menaces des Euménides : « me voilà satisfaite ». Elle est sûre d’avoir raison. Elle pense avoir agi pour le bien de l’humanité. Le passé de douleur est révolu, elle croit en un avenir de naissance : « Je sais qu’elle renaîtra », « ils renaîtront ». Cette nouvelle ville, voire ce nouveau monde est fondé sur des bases meilleures. Son père a été vengé, donc la justice existe. La femme Narsès, elle, est consciente du désastre, mais sa remarque « l’air pourtant se respire » montre qu’elle sent que tout n’est pas perdu.

Malgré le massacre des innocents, la justice existe comme le souhaite Électre : « Les coupables agonisent ». Le mendiant, dont le rôle de voyant succédera à celui que tenait Électre, donne un sens à cette nouvelle journée ambiguë : « Cela s’appelle l’aurore ». Le démonstratif « Cela » permet de désigner l’innommable. C’est à lui qu’il revient de nommer ce qui n’avait pas de nom. Le nom d'aurore apporte une note d'espoir : l'aurore correspond bien entendu au lever du soleil, au début d'un jour nouveau (et radieux). Électre, dont le nom signifie « à l’éclat de lumière », a rempli son destin. Elle a compris que la clarté ne pouvait que succéder aux ténèbres : la nuit a fait place à l’aurore. Ce mot, le dernier du texte, donne une note d’espoir : il représente le lever du soleil et le début d’un nouveau jour.

Électre, apparaît bien comme le personnage central. Tous les personnages lui parlent sans se parler entre eux : les Euménides, la femme Narsès la questionnent, le mendiant lui donne le mot de la fin. Elle est maître du dialogue en répondant pied à pied aux Euménides, en refusant de répondre à la femme Narsès et se fait allégorie de la justice.

Dans cette fin ajoutée au dénouement habituel de la tragédie, Giraudoux invite à donner un sens nouveau au mythe d'Électre. Le personnage éponyme s'est totalement épuré de ce qui relevait de l'humanité « ordinaire », voire de la légende des Atrides, pour ne plus être qu'une allégorie de la justice. Mais la destruction effectuée par cette justice impitoyable, sans compromissions, est la promesse d'un jour nouveau, et radieux : d'une lumière apporté par l’aurore (malgré les lueurs de l'incendie, la ville sort des ténèbres de la nuit).

 

 

III Une tragédie originale

 

 

 

Le lecteur (spectateur) se trouve face à une tragédie originale. Les éléments principaux de la tragédie sont ici insérés : On assiste à un tableau d’apocalypse, à la solitude (aux premiers abords) du héros et au traditionnel destin tragique des Atrides. Giraudoux conserve cette dimension essentielle du mythe. Plus précisément, le tragique est incarné par les Euménides qui ont désormais atteint la taille d'Électre et qui sont en mesure d'accomplir leur tâche : elles vont entamer leur lutte pour la vengeance. Ce sont également elles qui annoncent le chaos. La femme Narsès, issue du peuple, accentue quant à elle l'aspect tragique : elle se trouve au cœur du drame, sans y avoir pourtant pris part. Elle a le rôle de l’innocent qui subit la tragédie.

Dans cette scène, la catastrophe est évoquée par l’arrivée brutale d’un serviteur («Fuyez vous autres, le palais brûle ») Le palais d’Agamemnon, symbole de la puissance de la famille des Atrides, est détruit. La ville est également touchée : « la ville brûle ... la ville meurt ». La destruction de la ville s’accompagne du massacre de ces habitants (: « massacrent »). La cruauté des scènes d’égorgement est suggérée : (« ceux qui s’égorgent »). On perçoit également l’injustice de la mort : (\"les innocents s’entretuent\"). L’impression de désespoir qu’offre ce tableau est résumée par la femme Narsès (: « Tout est gâchée »).

Cette scène marque le paroxysme du tragique. Néanmoins, après le cataclysme, la pièce se clôt sur une promesse de renouveau : l'aurore. C’est en cela que la pièce de Giraudoux se distingue des autres. Bien que ce soit la dernière scène de la pièce, le dénouement s'est déjà produit dans la scène précédente à travers le récit du mendiant. Le spectateur-lecteur assiste ici à une sorte d'épilogue où il est question de l'avenir après la tragédie.

Le « fil rouge » ou le « pivot » est en fait Électre, du point de vue de l'interlocution, Électre à qui tout le monde s'adresse, mais qui, après avoir répondu \"pied à pied\" aux Euménides, ne répond pas directement à la femme Narsès, et la renvoie finalement au Mendiant. Électre est d'ailleurs le seul personnage qui, dans la pièce, donne la parole au Mendiant : « Demande au Mendiant. Il le sait » (et lui de répondre aussitôt). Contrairement aux tragédies grecques classiques, dans lesquelles le dénouement laisse place à une morale, ici la fin laisse place à une réflexion qui n’est pas résolue par l’auteur.

 

Conclusion

 

 

 

 

Cette fin a été ajoutée au dénouement habituel de la tragédie. Giraudoux donne un sens nouveau au mythe d’Électre : la destruction effectuée par une justice impitoyable à donner naissance à un nouveau jour. Ce mythe est un avertissement, pas une leçon : la fin est pleine d’interrogations. La tragédie dépasse alors la fonction cathartique que lui assignait Aristote, pour inviter à la réflexion, par la perspective qu'elle propose : au théâtre de destinée s'est substitué le théâtre d'idées ; mais Giraudoux, à la différence de Sartre, suggère plutôt que d'affirmer : le spectateur cherchera lui-même des réponses, achevant ainsi le dénouement. Ce jeu, qui rend au spectateur (et au lecteur) sa fonction pleine et entière, qui lui laisse l'intelligence du dénouement, se produit au terme d'une pièce, et d'une scène, où les conventions théâtrales ont été régulièrement « bousculées » comme en témoigne l'intrusion du personnage de la femme Narsès dans les scènes finales, faisant écho aux interrogations du lecteur.

 

 

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