Commentaire composé « du Lac » d'Alphonse de Lamartine
Publié le 15/09/2006
Extrait du document
«
le fait qu'il rend concret, sensible le mouvement de la fuite du temps.
Si on entend filer « l'heure fugitive », on entend les « sombresabîmes » engloutir « les jours », c'est grâce au rythme de l'alexandrin combiné tout d'abord à l'énumération de mots renvoyant àl'idée de temps au vers 45 : « Eternité, néant, passé, sombres abîmes, » énumération auquel fait écho une autre énumération, celledes éléments naturels au vers 49 : « Ô lac ! rochers muets ! grottes ! forêt obscure ! ».
Ensuite l'accumulation de procédés derépétition, les anaphores « qu'il soit » , « dans », « que » liées aux parallélisme de construction, « gardez de cette nuit, gardez,belle nature », « qu'il soit dans ton repos », « qu'il soit dans tes orages », « et dans ces noirs sapins, et dans ces rocs sauvages »,« que le vent qui gémit, le roseau qui soupire ».
Les mots, Les formules comme des heures, des jours, ainsi s'égrènent,s'enchaînent, s'entraînent et s'emballent.
Les phrases courent d'une strophe à l'autre.
Les nombreux enjambements précipités enfin de strophe par un hexasyllabe accèlèrent la cadence aux vers 39 et 40, aux vers 43 et 44, aux vers 47 et 48 , aux vers 51 et52 et aux 55 et 56.
Les vers filent pour s'arrêter brusquement à deux propositions lapidaires, définitives mais essentielles : « Toutdise : Ils ont aimé ! ».
Enfin le passé simple du quatrième quatrain, « frappèrent » et « laissa », par opposition à l'imparfait destrois strophes précédentes reproduit le caractère bref et inattendu des moments de l'existence, une suite brèves d'actionstemporelles.
Pour le poète les questions aussi s'enchaînent : « Eh quoi ! N'en pourrons-nous fixer au moins la trace ? », « Que faites-vous desjours que vous engloutissez ? / Parlez : nous rendrez-vous ces extases sublimes / que vous nous ravissez ? ».
Face à cette terriblecondition, Alphonse de Lamartine, abattu, réagit, fait entendre sa voix en suppliant la nature, sa confidente et en utilisant un despouvoirs de la poésie.
Emporté par le temps le poète se désespère et se tourne évidemment vers le lac, vers la nature pour lui adresser une supplicationpathétique.
Des questions interpellent le temps.
Celles-ci sont ponctuées, marquées par de nombreuses exclamations quitrahissent l'émotion, le désespoir, l'incompréhension, la révolte du poète : « Eh quoi », « Quoi ! passés pour jamais ! quoi ! toutentiers perdus ! Passés ».
L'impératif, « gardez » et le subjonctif « qu'il soit, rendent compte de la demande, elle aussi marquéepar l'émotion soulignée par les quatre exclamations qui ponctuent le vers 59 : « Ô lac ! rochers muets ! grottes! forêt obscure ! ».Du lac le poète passe à la nature toute entière et amplifie d'une certaine façon la confidence, la rend exceptionnelle.
Il en appelle àla nature pour garder le témoignage de l'existence passée, de l'amour passé.
Ce registre pathétique, cette tonalité élégiaque est nuancée par une note optimiste.
Ainsi, le vers 64, « Tout dise : ils ont aimé ! »apparaît comme la concentration de tout ce qui a été dit dans le poème.
Ce vers est la chute et l'apogée du poème : avec lui lepoète constate le pouvoir des sentiments.
Le passé composé signale la conséquence sur le présent : le fait d'avoir aimé l'emportesur toutes les constatations négatives et amères.
De plus le poète ne fait-il pas par son poème revivre Julie Charles morte endécembre 1818, un an après leur dernière rencontre ? C'est bien la voix de celle-ci, « la voix qui m'est chère », que l'on entend àtravers le discours direct des strophes 6, 7, 8, 9 et qui occupe la partie centrale du poème.
De cette façon Alphonse deLamartine répond à la demande de celle qu'il aime, « suspend » pour elle le temps, lui offre l'éternité.
Les deux hexasyllabes danschaque quatrain semblent à chaque fois marquer cette suspension.
Les deux voix évidemment s'accordent parfaitement à traversles impératifs ; leur constat est le même : « L'homme n'a point de port, le temps n'a point de rive » ; leur demande est la même :« suspendez votre cours », « laissez-nous savourer les rapides délices / Des plus beaux de nos jours ! ».
Elle n'est pas sansrappeler le fameux « carpe diem » d'Horace.
Conclusion.
Même si la poésie de Lamartine ne nous contente plus, en lisant ce poème nous entendons la première voix romantique française,nous voyons naître une poésie neuve où vibre l'existence.
Le lac, la nature grandiose, n'est pas un décor magnifique, mais bonheurou tristesse, lieu véritable du recueillement ; l'ombre, au penchant du coteau, est celle de la vie ; le langage poétique n'est pas undiscours, mais une exaltation de l'amour ou face à la fuite du temps un désespoir sans nom.
C'est une façon de dire cette fuite,une façon également de l'arrêter et de ressusciter en quelque sorte l'être aimé.
C'est tout simplement la traduction sensible d'uneexpérience vécue douloureuse : Alphonse de Lamartine et Julie Charles se retrouvent à Paris au cours de l'hiver 1817 etpromettent de se revoir à Aix l'été suivant ; mais le poète a la douleur de se trouver seul au rendez-vous ; la maladie de Julie laretient à Paris où elle meurt en décembre 1818.
Victor Hugo au moment de la parution des Méditations poétiques s'écriait dansun journal, « le Conservateur littéraire » : « Voilà enfin des poèmes qui sont d'un poète, de la poésie qui est de la poésie ! ».Marchant dans les pas de celui que l'on considéra longtemps comme le plus grand poète de son siècle, il écrira « Tristessed'Olympio » dans lequel lui aussi en romantique s'interroge sur les effets du temps, évoque les jours heureux passés avec JulietteDrouet et se console par le souvenir, un souvenir lumineux et vivant..
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