Commentaire composé : Aragon : Aurélien : Incipit
Publié le 25/06/2011
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Aurélien est l’avant-dernier roman du « Cycle du Monde réel «, écrit en 1944, et réécrit en 1966. Aragon dit à propos de ce roman que « l’impossibilité du couple est le sujet même d’Aurélien «. On s’attend à une narration réaliste en raison du titre « Cycle du Monde réel «, et de fait l’incipit est plus ou moins traditionnel. Nous attendons également une intrigue amoureuse. Mais il y a une complexité de la relation entre narrateur et personnage : à travers ce récit de pensée, on peut voir une crise du héros, une crise du réalisme-socialisme. Il y a cependant une mise en ordre rigoureuse du monde réel selon le modèle balzacien. Le personnage d’Aurélien est le point focal des hésitations du narrateur. Aurélien éprouve des réticences intérieures, il est habité par son passé, son histoire qui l’empêche d’avancer, chose emblématique de l’état d’esprit d’Aragon à cette époque et des romans de la période 1944-66. Tentation de la tragédie dans cet incipit, où la fatalité est figurée par les forces de l’Histoire. Cette tentation tragique suppose le sentiment amoureux et son impossibilité (comme les figures de Titus et Bérénice). Impossibilité de la grandeur tragique où se dessine l’horizon d’Aurélien. Nous verrons dans une première partie la tentative de portrait ; puis, dans une seconde partie, la difficile analyse de soi ; enfin, dans une troisième partie, la position du narrateur, entre distance ironique et identification à Aurélien.
I Une tentative de portrait
Cf. les grandes phrases de rencontre amoureuse : « Il parut alors une beauté à la Cour… « (La Princesse de Clèves de Mme de Lafayette), « Ce fut comme une apparition… « (L’Education sentimentale, Flaubert)…
A/ Une vision fragmentaire relevé des éléments du portrait. On a une vision partielle du portrait de Bérénice, qui devient de fait un non-portrait une vision contrastée : le prénom résonne sur un mode royal et oriental, en faisant référence à une légende antique. Il renvoie à tragédie classique (cf. le vers), mais également à l’état d’Aurélien (« Longtemps errant… « caractérise également le personnage d’Aurélien). Ce prénom est en somme un déni de réalité. Ecart très net entre le personnage et le nom, qui entraîne de facto la fascination. Echec de la mémoire qui provoque la cristallisation (terme de Stendhal, désignant cette faculté de l’esprit de l’amoureux de rêver sur le prénom ou sur des détails accessoires de la personne aimée ; comme écrire sans cesse les lettres de ce prénom…). ? Aurélien ressasse le portrait impossible et fragmentaire du portrait de Bérénice.
B/ Le mauvais goût de Bérénice Aurélien la condamne au nom des préjugés d’un milieu : à travers la voix d’Aurélien condamnant Bérénice, on entend ainsi la voix d’une certaine classe sociale (bourgeoisie aisée et oisive dont fait partie Aurélie, à une certaine époque, l’entre-deux guerres) : c’est tout l’intérêt du discours indirect libre que de faire entendre cette voix. Banalité voire vulgarité de Bérénice, contrairement à Aurélien. Ainsi la remarque « Les cheveux coupés, ça demande des soins constants « qui relève un détail futile sur un mode ironique.
C/ Les goûts personnels d’Aurélien ? Aurélien apparaît comme un homme à femmes : mépris des femmes ordinaires, et affirme son attirance pour les vêtements, les cheveux… Effet de liste dans cette énumération des éléments du portrait de Bérénice : d’abord une attente du plaisir. le personnage de Bérénice tranche sur les attentes du personnage d’Aurélien. Il y a donc une certaine contradiction dans l’état intérieur d’Aurélien : pourquoi s’appesantit-il autant sur une fille qu’il prétend mépriser à ce point ? On comprend en fait qu’il en est déjà amoureux… surprise d’Aurélien : tension entre l’obsession de l’image de Bérénice et la déception de l’image recomposée. Impression de l’impossibilité du travail de la mémoire, qui rappelle certaines analyses proustiennes. ? Analyse intérieure de ce phénomène.
II Une difficile analyse de soi
A/ Une pensée intime procédés syntaxiques : effet de « parole poussée «, révélant les caprices de l’intérieur : parataxe, phrases elliptiques… Etude de ces diverses forme syntaxiques rencontrées. Ecriture qui suit les associations d’idées : « effet-personnage « : digressions sur les étoffes, sur les cheveux, sur le vers… Cet incipit construit la subjectivité du héros. Usage particulier du style indirect libre qui caractérise ce passage. Monologue intérieur dans lequel le narrateur a effacé tout aspect théâtral. ? Langue familière, langue pensée ; registre de langue très variable : ceci définit la personnalité d’Aurélien. B/ Une pensée troublée l’incipit constitue un vain effort pour analyser l’impression paradoxale de la rencontre. Cet incipit se trouve ainsi en quelque sorte en échec par rapport à son projet originel affiché. Lignes 1/2 : jugement péremptoire (« Elle lui déplut «), définitif, qui perdure dans les premières lignes du texte, jusqu’à l’aveu de l’obsession. Paradoxe de la pensée d’Aurélien qui se contredit elle-même. Constitution de la figure idéale d’une femme construite par remémoration. Fonctionne sur le mode de « l’après-coup « : remodélisation par pensée de la figure amoureuse. On a ici mis en valeur tout le processus psychique de l’amoureux. C/ L’imagination autour du nom propre : une pensée errante le vers de Racine est problématique, et ne correspond à rien en particulier. Analyser ce vers et dégager les diverses significations qu’il peut avoir, en lui-même, dans la perspective de la tragédie racinienne, et, de façon plus intéressante, dans la perspective de cette première page du roman d’Aragon. Figement du personnage d’Antiochus (celui qui prononce ce vers dans la pièce Bérénice de Racine) ; expression de fortes antithèses entre « demeurer « et « errer « ; cf. les sonorités nasales du vers qui ralentissent la lecture ([an]), par opposition à la fluidité du terme « Césarée «. La poésie du vers en vient ainsi à porter sur Bérénice. ? Dimension culturelle et littéraire qui est tout le problème d’Aurélien : il reste toujours dans une relation indirecte aux êtres et aux choses. Le souvenir motive la fascination pour le prénom et réunit la femme réelle et la reine de Judée (alias Bérénice). Sorte de thème musical sur la beauté obsédante du vers. pensée « errante « dans le temps qui par la littérature médite sur l’Histoire : tranchées. Ratage de l’histoire d’amour qui est une absence au monde. Pensée « hantée « : importance de la mémoire qui erre elle aussi dans divers espaces en les mêlant : espace temporel de la guerre, espace fictif de Césarée, espace réel de Paris (lieu où se déroule le roman). Au cours du roman, Bérénice deviendra son Eurydice. ? La pensée intérieure laisse la mémoire et l’imaginaire à l’œuvre, et ce malgré la réticence et la mauvaise foi du personnage. Construction d’une histoire d’amour, tout en sachant qu’ « il n’y a pas d’amour heureux «.
III Entre distance ironique et identification à Aurélien : le narrateur. Le retour du romanesque
A/ Figure féminine : proprement aragonienne autour du prénom se déroule l’imaginaire. Dès la première ligne, apparaît la princesse d’Orient. Effet d’ellipse dans la phrase « Mais Bérénice. «, où le prénom se trouve isolé de la phrase, comme s’il ne pouvait s’intégrer dans une structure syntaxique. Entre ennui et obsession. « Théorie des hommes doubles « qui apparaîtra plus tard dans le roman, lorsqu’Aurélien trouve un masque fait sur une noyée dans la Seine et qu’il devient très troublé parce qu’il y reconnaît Bérénice. Vision surréaliste de la femme, qui devient « médieuse « (terme d’Eluard) Romanesque de la femme qui retravaille le mythe de Manon Lescaut : la femme est insaisissable, et l’écriture va construire ce mystère. Une sorte de religion de l’amour, qui est superstition. Pressentiment de la force de Bérénice qui attire Aurélien : c’est en fait une vraie princesse : « beauté douteuse et inexplicable « de Bérénice.
B/ Un destin amoureux première phrase : les prénoms semblent faits l’un pour l’autre (cf. les initiales, A+B). Sorte de destin qui s’instaure. Roman sur le goût de l’absolu. Aurélien est hanté par un autre « A « : Antiochus, le rival de Titus pour l’amour de Bérénice. Aurélien est le symbole d’un monde en ruines. Bérénice est en fin de compte une sorte de tentation du sens : elle a la chance de conjurer les obsessions d’Aurélien. Ainsi se met en place une histoire romanesque. Le pathétique de ce texte naît de ce travail de volonté de la part d’Aurélien de démythifier Bérénice. ? Le roman a remplacé la tragédie pour Aragon, et laisse place à une « prose du quotidien «. Ecriture moderne du drame vécu par Bérénice ; paraphrase de la tragédie racinienne.
C/ Une écriture de l’émotion monologue au style indirect libre qui laisse entendre la voix du narrateur, voix qui engage le lecteur à prendre Bérénice au sérieux. Dès la première phrase, le narrateur intègre les paroles du personnage. La suite du paragraphe laisse place à une confusion entre narrateur et personnage : cf. le « je crois «, où il y a impossibilité de déterminer l’origine du « je «. procédés caractéristiques du roman d’Aragon : modes narratifs concurrents dans un même texte. Focalisation interne et narrateur omniscient. Caractère baroque de l’écriture d’Aragon. Roman sous le signe de l’échec par cet incipit. Echec de l’absolu amoureux, et en même temps, la passion romanesque ; la laideur de Bérénice est tressée avec son prénom, comme un philtre d’amour. Bérénice est une femme aussi belle qu’un vers de Racine : « douteuse et inexplicable «. L’amour est ici une errance, une traversée de Césarée. Amour poétique et irréel, comme cette ville de Césarée. Dépassement du réalisme critique, celui du Cycle du Monde réel, hanté comme Aurélien par la guerre. Fantôme des amours impossibles, et comme Aragon qui est hanté par la question de l’art et notamment celle du réalisme.
«
Banalité voire vulgarité de Bérénice, contrairement à Aurélien.
Ainsi la remarque « Les cheveux coupés, ça demandedes soins constants » qui relève un détail futile sur un mode ironique.
C/ Les goûts personnels d’Aurélien? Aurélien apparaît comme un homme à femmes : mépris des femmes ordinaires, et affirme son attirance pour lesvêtements, les cheveux… Effet de liste dans cette énumération des éléments du portrait de Bérénice : d’abord uneattente du plaisir.le personnage de Bérénice tranche sur les attentes du personnage d’Aurélien.
Il y a donc une certaine contradictiondans l’état intérieur d’Aurélien : pourquoi s’appesantit-il autant sur une fille qu’il prétend mépriser à ce point ? Oncomprend en fait qu’il en est déjà amoureux…surprise d’Aurélien : tension entre l’obsession de l’image de Bérénice et la déception de l’image recomposée.Impression de l’impossibilité du travail de la mémoire, qui rappelle certaines analyses proustiennes.? Analyse intérieure de ce phénomène.
II Une difficile analyse de soi
A/ Une pensée intimeprocédés syntaxiques : effet de « parole poussée », révélant les caprices de l’intérieur : parataxe, phraseselliptiques… Etude de ces diverses forme syntaxiques rencontrées.Ecriture qui suit les associations d’idées : « effet-personnage » : digressions sur les étoffes, sur les cheveux, sur levers… Cet incipit construit la subjectivité du héros.Usage particulier du style indirect libre qui caractérise ce passage.
Monologue intérieur dans lequel le narrateur aeffacé tout aspect théâtral.? Langue familière, langue pensée ; registre de langue très variable : ceci définit la personnalité d’Aurélien.B/ Une pensée troubléel’incipit constitue un vain effort pour analyser l’impression paradoxale de la rencontre.
Cet incipit se trouve ainsi enquelque sorte en échec par rapport à son projet originel affiché.Lignes 1/2 : jugement péremptoire (« Elle lui déplut »), définitif, qui perdure dans les premières lignes du texte,jusqu’à l’aveu de l’obsession.
Paradoxe de la pensée d’Aurélien qui se contredit elle-même.Constitution de la figure idéale d’une femme construite par remémoration.
Fonctionne sur le mode de « l’après-coup» : remodélisation par pensée de la figure amoureuse.
On a ici mis en valeur tout le processus psychique del’amoureux.C/ L’imagination autour du nom propre : une pensée errantele vers de Racine est problématique, et ne correspond à rien en particulier.
Analyser ce vers et dégager les diversessignifications qu’il peut avoir, en lui-même, dans la perspective de la tragédie racinienne, et, de façon plusintéressante, dans la perspective de cette première page du roman d’Aragon.Figement du personnage d’Antiochus (celui qui prononce ce vers dans la pièce Bérénice de Racine) ; expression defortes antithèses entre « demeurer » et « errer » ; cf.
les sonorités nasales du vers qui ralentissent la lecture([an]), par opposition à la fluidité du terme « Césarée ».
La poésie du vers en vient ainsi à porter sur Bérénice.? Dimension culturelle et littéraire qui est tout le problème d’Aurélien : il reste toujours dans une relation indirecteaux êtres et aux choses.
Le souvenir motive la fascination pour le prénom et réunit la femme réelle et la reine deJudée (alias Bérénice).
Sorte de thème musical sur la beauté obsédante du vers.pensée « errante » dans le temps qui par la littérature médite sur l’Histoire : tranchées.
Ratage de l’histoire d’amourqui est une absence au monde.Pensée « hantée » : importance de la mémoire qui erre elle aussi dans divers espaces en les mêlant : espacetemporel de la guerre, espace fictif de Césarée, espace réel de Paris (lieu où se déroule le roman).
Au cours duroman, Bérénice deviendra son Eurydice.? La pensée intérieure laisse la mémoire et l’imaginaire à l’œuvre, et ce malgré la réticence et la mauvaise foi dupersonnage.
Construction d’une histoire d’amour, tout en sachant qu’ « il n’y a pas d’amour heureux ».
III Entre distance ironique et identification à Aurélien : le narrateur.
Le retour du romanesque
A/ Figure féminine : proprement aragonienneautour du prénom se déroule l’imaginaire.
Dès la première ligne, apparaît la princesse d’Orient.
Effet d’ellipse dans laphrase « Mais Bérénice.
», où le prénom se trouve isolé de la phrase, comme s’il ne pouvait s’intégrer dans unestructure syntaxique.Entre ennui et obsession.
« Théorie des hommes doubles » qui apparaîtra plus tard dans le roman, lorsqu’Aurélientrouve un masque fait sur une noyée dans la Seine et qu’il devient très troublé parce qu’il y reconnaît Bérénice.Vision surréaliste de la femme, qui devient « médieuse » (terme d’Eluard)Romanesque de la femme qui retravaille le mythe de Manon Lescaut : la femme est insaisissable, et l’écriture vaconstruire ce mystère.
Une sorte de religion de l’amour, qui est superstition.Pressentiment de la force de Bérénice qui attire Aurélien : c’est en fait une vraie princesse : « beauté douteuse etinexplicable » de Bérénice..
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