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Comment les auteurs de notre corpus assignent-ils au personnage de roman un rôle utile aux lecteurs ?

Publié le 05/06/2011

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Hormis l’autofiction ou les biographies romancées et autres fictions historiques, le personnage de roman est une créature de papier née de fantaisies créatrices. Que peut apporter au lecteur la fréquentation de ce phantasme fixé sur le papier, tout réfléchi qu’il soit ? En vertu de cette virtualité du personnage, le roman jusqu’au dix-huitième siècle passait pour un genre futile mais au siècle suivant des auteurs ont développé une théorie des personnages qui produirait des œuvres monumentales et affirmerait fermement l’utilité de ces derniers pour le lecteur. Ce fut le cas de Balzac dans L’Avant-propos à la Comédie humaine, d’Emile Zola dans Le Roman expérimental, respectivement en 1842 et 1880 ; en  1972, François Mauriac évoquera Le romancier et ses personnages alors que Nathalie Sarraute avait marqué une rupture relativement à la conception des héros de romans dans les années 1947-1956 avec L’ère du soupçon. Nous étudierons par quelles stratégies les auteurs de notre corpus établissent une utilité du personnage de roman.

 

Tout d’abord, notre corpus témoigne du fait que la preuve de l’utilité du personnage romanesque passe par la revendication de sa dimension scientifique. Trois des auteurs de notre corpus font ainsi du personnage le résultat d’une démarche scientifique. Cela fait même le cœur de la doctrine de Balzac, et sa conception du personnage s’inscrit dans un « système « qui emprunte son lexique et ses méthode à celui, [« le système « l. 1], d’un biologiste du XIXe siècle : un naturaliste. C’est la célèbre Histoire naturelle de Buffon qui offre sa caution scientifique à la méthode de Balzac. L’auteur use tout à la fois d’une analogie et d’un argument d’autorité, formulés dans une question rhétorique qui vise à remporter l’adhésion du lecteur :« Si Buffon a fait un magnifique ouvrage en essayant de représenter dans un livre l’ensemble de la zoologie, n’y avait-il pas une œuvre de ce genre à faire pour la société ? « (l. 11 à 13) Ainsi, imitant Buffon, Balzac se propose de faire la « description des espèces sociales « (l. 22) Emile Zola s’inscrit directement dans cette lignée une cinquantaine d’années plus tard. D’une part, il prend son génial précurseur comme exemple illustrant son développement théorique, d’autre part il présente les méthodes expérimentales qui seraient celles du romancier, « observateur «, doublé d’un « expérimentateur «, ce sont les termes mêmes du physiologiste, alors « naturaliste «, Claude Bernard, autre modèle, qui présente cette méthode expérimentale comme la pratique rigoureuse et fiable de sa science. Tout comme les espèces animales évoluent selon le « déterminisme « de leur « milieu «, ainsi en serait-il des diverses catégories d’hommes : transposant ce lexique au roman, Zola rejoint le système de Balzac. Quoique dans une moindre mesure, François Mauriac emprunte aussi à la biologie son lexique, et jusqu’à la métaphore, puisque selon lui les romanciers « isolent [les sentiments confus et indistincts des hommes] de l’immense contexte vivant et les observent au microscope «. D’après lui, bien que prêtant artificiellement aux personnages une propension à s’épancher peu réaliste, l’auteur « serre la réalité du plus près possible «, en fournissant des  « planches d’anatomie morale « (l. 1), autre métaphore qui désigne cette fois l’analyse psychologique des personnages de roman. Nathalie Sarraute, qui commente les pratiques d’écriture romanesques héritées du dix-neuvième siècle, confirme que le romancier y reconstituait un être tel qu’il se définit dans la société, elle présente ironiquement cette construction ordonnée du personnage par la longue énumération de ce dont il était « richement pourvu « de sorte qu’il était pour l’auteur et le lecteur une « base solide « leur offrant « des recherches et des découvertes nouvelles. « (l. 34- 35). A l’opposé, elle constate que son actualité littéraire est fertile en héros « « indéfinissable[s], insaisissable[s], invisible[s] « et cette accumulation au rythme ternaire dit bien comment ils échappent totalement à la reconstitution prétendument rigoureuse d’une personnalité.  Si elle qualifie cette nouvelle tendance de « maladie juvénile «, c’est par antiphrase, l’ironie laisse plutôt supposer une maturité littéraire puisqu’elle ajoute que les nouveaux romanciers font plus que jamais preuve de « maîtrise «. Pourtant ce n’est plus pour nous faire entrer dans une ère de vérité et de fiabilité scientifique mais au contraire pour faire pénétrer lecteurs et auteurs dans une « ère du soupçon «. [Ainsi, si la science a inspiré les modes d’écriture romanesque et fait du personnage le résultat d’un travail scientifique aux dix-neuvième et vingtième siècle, les années cinquante marquent un tournant dans lequel la création littéraire semble se défaire de ses prétentions de scientificité pour explorer artistiquement le terrain du doute qui, au contraire des vérités scientifiques, se dérobe.]

 

            La majorité de ces auteurs, forts de l’observation rigoureuse du réel dont ils font leur outil, soutient que par ce moyen le romancier aide le lecteur à mieux connaître l’homme et la société. Balzac les réunit dans l’expression « l’état social « : « la Nature plus la Société «. La connaissance de l’être humain dont se targue le romancier est manifeste dans l’utilisation du présent de vérité générale et du terme générique « l’homme «, lorsque Balzac nous dit par exemple que «l’homme […] tend à représenter […]  sa pensée et sa vie dans tout ce qu’il approprie à ses besoins « (l. 34). Ce que Balzac fait entendre, Zola l’affirme, en usant du même procédé lexical « Au bout, il y a la connaissance de l’homme « (l. 29). La fonction didactique du roman est mise en avant dans ces textes par des termes du champ lexical de la connaissance comme nous venons de le voir dans cette citation de Zola, qui affirme aussi que dans le roman, « le problème est de savoir « ( L ; 23) tandis que Mauriac évoque l’hypertrophie d’un sentiment du personnage par le romancier« pour que nous soyons mieux à même de l’étudier « (l. 27). Deux de nos auteurs désignent ce que le personnage nous montre de l’homme :  ses « passions « (L21 et 23 pour Zola, l. 26 chez Mauriac), c'est-à-dire ce qui le meut et dont parfois il meurt. Si Nathalie Sarraute affirme au contraire que dans le nouveau roman le personnage n’est plus qu’un « un « je « anonyme qui est tout et qui n’est rien « (16-17), elle évoque néanmoins  des phénomènes qui témoignent de la psyché humaine : « visions, rêves, cauchemars, illusions, reflets « de ce « « je « tout puissant «, voilà ce que sont pour le héros les autres personnages. (l.21) Du personnage décrit de manière exhaustive à l’instance narrative insaisissable, nous avons toujours affaire à la psychologie humaine ou aux interactions sociales.

 

Par voie de conséquence, cette connaissance de l’homme permettrait d’accéder aussi à une connaissance de soi-même. Mais c’est surtout François Mauriac qui l’affirme. Dans Le romancier et ses personnages, il procède aussi par assertions au présent de vérité générale. Pour lui, les héros nous éduquent à la vie puisque « leur destinée comporte une leçon, une morale s’en dégage « ; ils « détiennent une vérité […] qu’il appartient à chacun de nous de découvrir et de s’appliquer « (l. 33 et 35). Grâce à eux « les hommes vivants voient plus clairs dans leur propre cœur « (l. 33, 34). Les mots que nous soulignons définissent  une fonction maïeutique[1] du roman. Mais cette révélation à soi-même engendre une transformation du lecteur. L’art du romancier fournirait une noble éducation qui s’adresse à tous les « êtres vivants «. Mauriac souligne par la modalité verbale l’injonction morale qui leur est faite d’en tirer profit, au point que le personnage est un modèle auquel « ils doivent […] se conformer «(l.21). Il y aurait donc un devoir de lire intelligemment et de devenir meilleur grâce aux « analyses « (l.22) des romanciers. Ainsi, alors que Balzac et Zola affirmaient apporter une connaissance de la société, pour Mauriac, le roman a même le pouvoir de la modifier, puisque par ses enseignements les hommes « peuvent se témoigner les uns aux autres plus de compréhension et de pitié « (l. 38, 39) l’utilisation de la locution pronominale dénote la réciprocité, l’échange social. En revanche, au lieu d’une pacification, qu’affirme Mauriac, c’est un conflit fécond que Nathalie Sarraute voit dans les termes de l’échange permis par la littérature. Lecteur et auteur  « se méfient « (l. 33) , « s’affrontent «( l. 37). Ce que  l’écrivain révèle de complexe, « reflet de l’auteur lui-même « (l. 18), en quoi cela est-il porteur d’une valeur pour le lecteur ? A-t-il affaire  à une vérité sur l’homme et sur lui-même ? Les nouveaux romanciers détruisent les certitudes, si l’on en croit la métaphore du « terrain dévasté « que serait selon Sarraute le roman. Cela témoigne de recherches des hommes de lettres sur les flux de conscience mais cela correspond aussi, après le traumatisme de la seconde guerre mondiale, à un désarroi sur la question du sens de la vie humaine, qui n’est plus désormais vouée au progrès inéluctable ni confiée aux mains d’un Dieu providentiel.

 

Valeur scientifique du personnage, fonction didactique, fonctions éthique et maïeutique, et parfois même fonction sociale, éveil de l’esprit critique enfin, le personnage est présenté dans tous les textes du corpus comme ayant une utilité intellectuelle ou morale pour les lecteurs, à des degrés divers. Jamais, cet être de pure fiction ne tirerait de son caractère illusoire celui d’une vanité. Il ne serait donc pas simple divertissement. L’écrivain latin  Horace (1er siècle av. JC.) a donné sa formule à la fonction de la littérature : « placere et docere « (plaire et instruire), c’est cette association qui fonde la noblesse de l’art. Est-ce que la fascination pour un personnage réduite à son seul plaisir ne saurait être tolérée par notre société ou bien est-ce que le plaisir lui-même n’atteint sa pleine saveur que lorsqu’il comble aussi notre insatiable soif de connaissance ?

 

 

[1] Maïeutique : PHILOS. Méthode socratique reposant apparemment sur l'interrogation et se proposant d'amener un interlocuteur à prendre conscience de ce qu'il sait implicitement, à l'exprimer et à le juger

« La majorité de ces auteurs, forts de l’observation rigoureuse du réel dont ils font leur outil, soutient que par ce moyen leromancier aide le lecteur à mieux connaître l’homme et la société.

Balzac les réunit dans l’expression « l’état social » : « la Natureplus la Société ».

La connaissance de l’être humain dont se targue le romancier est manifeste dans l’utilisation du présent de véritégénérale et du terme générique « l’homme », lorsque Balzac nous dit par exemple que «l’homme […] tend à représenter […] sapensée et sa vie dans tout ce qu’il approprie à ses besoins » (l.

34).

Ce que Balzac fait entendre, Zola l’affirme, en usant dumême procédé lexical « Au bout, il y a la connaissance de l’homme » (l.

29).

La fonction didactique du roman est mise en avantdans ces textes par des termes du champ lexical de la connaissance comme nous venons de le voir dans cette citation de Zola,qui affirme aussi que dans le roman, « le problème est de savoir » ( L ; 23) tandis que Mauriac évoque l’hypertrophie d’un sentiment du personnage par le romancier« pour que nous soyons mieux à même de l’ étudier » (l.

27).

Deux de nos auteurs désignent ce que le personnage nous montre de l’homme : ses « passions » (L21 et 23 pour Zola, l.

26 chez Mauriac), c'est-à-dire ce qui le meut et dont parfois il meurt.

Si Nathalie Sarraute affirme au contraire que dans le nouveau roman le personnagen’est plus qu’un « un « je » anonyme qui est tout et qui n’est rien » (16-17), elle évoque néanmoins des phénomènes quitémoignent de la psyché humaine : « visions, rêves, cauchemars, illusions, reflets » de ce « « je » tout puissant », voilà ce que sontpour le héros les autres personnages.

(l.21) Du personnage décrit de manière exhaustive à l’instance narrative insaisissable, nousavons toujours affaire à la psychologie humaine ou aux interactions sociales. Par voie de conséquence, cette connaissance de l’homme permettrait d’accéder aussi à une connaissance de soi-même. Mais c’est surtout François Mauriac qui l’affirme.

Dans Le romancier et ses personnages , il procède aussi par assertions au présent de vérité générale.

Pour lui, les héros nous éduquent à la vie puisque « leur destinée comporte une leçon, une morale s’endégage » ; ils « détiennent une vérité […] qu’il appartient à chacun de nous de découvrir et de s’appliquer » (l.

33 et 35).

Grâce à eux « les hommes vivants voient plus clairs dans leur propre cœur » (l.

33, 34).

Les mots que nous soulignons définissent une fonction maïeutique [1] du roman.

Mais cette révélation à soi-même engendre une transformation du lecteur.

L’art du romancier fournirait une noble éducation qui s’adresse à tous les « êtres vivants ».

Mauriac souligne par la modalité verbale l’injonctionmorale qui leur est faite d’en tirer profit, au point que le personnage est un modèle auquel « ils doivent […] se conformer »(l.21). Il y aurait donc un devoir de lire intelligemment et de devenir meilleur grâce aux « analyses » (l.22) des romanciers.

Ainsi, alorsque Balzac et Zola affirmaient apporter une connaissance de la société, pour Mauriac, le roman a même le pouvoir de la modifier,puisque par ses enseignements les hommes « peuvent se témoigner les uns aux autres plus de compréhension et de pitié » (l.

38,39) l’utilisation de la locution pronominale dénote la réciprocité, l’échange social.

En revanche, au lieu d’une pacification,qu’affirme Mauriac, c’est un conflit fécond que Nathalie Sarraute voit dans les termes de l’échange permis par la littérature.Lecteur et auteur « se méfient » (l.

33) , « s’affrontent »( l.

37).

Ce que l’écrivain révèle de complexe, « reflet de l’auteur lui-même » (l.

18), en quoi cela est-il porteur d’une valeur pour le lecteur ? A-t-il affaire à une vérité sur l’homme et sur lui-même ?Les nouveaux romanciers détruisent les certitudes, si l’on en croit la métaphore du « terrain dévasté » que serait selon Sarraute leroman.

Cela témoigne de recherches des hommes de lettres sur les flux de conscience mais cela correspond aussi, après letraumatisme de la seconde guerre mondiale, à un désarroi sur la question du sens de la vie humaine, qui n’est plus désormaisvouée au progrès inéluctable ni confiée aux mains d’un Dieu providentiel. Valeur scientifique du personnage, fonction didactique, fonctions éthique et maïeutique, et parfois même fonction sociale, éveil de l’esprit critique enfin, le personnage est présenté dans tous les textes du corpus comme ayant une utilité intellectuelle oumorale pour les lecteurs, à des degrés divers.

Jamais, cet être de pure fiction ne tirerait de son caractère illusoire celui d’unevanité.

Il ne serait donc pas simple divertissement.

L’écrivain latin Horace (1 er siècle av.

JC.) a donné sa formule à la fonction de la littérature : « placere et docere » (plaire et instruire), c’est cette association qui fonde la noblesse de l’art.

Est-ce que lafascination pour un personnage réduite à son seul plaisir ne saurait être tolérée par notre société ou bien est-ce que le plaisir lui-même n’atteint sa pleine saveur que lorsqu’il comble aussi notre insatiable soif de connaissance ? [1] Maïeutique : PHILOS. Méthode socratique reposant apparemment sur l'interrogation et se proposant d'amener un interlocuteur à prendre conscience de ce qu'il sait implicitement, à l'exprimer et à le juger. »

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