CHRONIQUE ET HISTOIRE
Publié le 16/12/2018
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CHRONIQUE ET HISTOIRE
LES DÉBUTS DE L’HISTOIRE EN FRANCE
Pendant des siècles, l’histoire fut en France un genre savant, réservé aux clercs, qui écrivaient leurs œuvres en latin.
Puis, sous l’influence des chansons de geste et en rapport étroit avec elles, l’histoire évolua dans le sens de l’épopée. Les œuvres furent alors rédigées en français, mais en vers.
Les croisades eurent sur l’évolution du genre historique une influence décisive. On était avide en France d’entendre des récits authentiques composés par ceux qui avaient participé aux grandes aventures orientales. Ainsi ce sont maintenant des témoins oculaires, des combattants, qui vont raconter leurs souvenirs : cessant d’être un travail d’érudit ou un arrangement romancé des événements, l’histoire va tout naturellement trouver sa langue définitive, la prose française.
LES CHRONIQUEURS
Villehardouin et, après lui, Joinville et Froissart sont des chroniqueurs. Leur souci essentiel est de composer le récit des événements auxquels ils ont assisté ou que leur ont racontés des témoins oculaires. Ce sont des faits contemporains qu’ils nous rapportent. Ils ne distinguent pas toujours l’essentiel de l’accessoire, et plus d’une fois leur sens critique se trouve en défaut. Mais nous verrons d’autres tendances, plus modernes, s’esquisser parfois chez Froissart, puis se révéler nettement avec Commynes.
VILLEHARDOUIN
Sa vie (1150-2 1212)
La IVe croisade
Geoffroi de Villehardouin joua un rôle important, comme chef militaire et plus encore comme diplomate, dans la IVe croisade. Cette croisade, détournée de son but dès l’origine, aboutit en 1204 à la fondation de l’Empire latin de Constantinople, qui devait durer jusqu’en 1261. C’est à Messinople (en Thrace), fief dont il avait été pourvu, qu’il rédigea son Histoire de la conquête de Constantinople et mourut, en 1212 ou 1213.
Son œuvre Partie pour la Terre Sainte, la croisade avait complè-
tement dévié, ce qui avait scandalisé beaucoup d’âmes pieuses. Les croisés, au lieu de combattre les infidèles, s’étaient mis d’abord au service des Vénitiens, puis, intervenant dans les affaires des Grecs, s’étaient emparés à deux reprises de Constantinople, établissant finalement leur domination sur des populations schismatiques sans doute, mais chrétiennes. Il s’agit donc avant tout de montrer que, si la croisade a ainsi dévié, cela tient à des nécessités matérielles (impossibilité de remplir les engagements financiers pris envers les Vénitiens), et à l’insubordination d’un trop grand nombre de croisés.
Du même coup apparaissent les intentions morales et pieuses. L’auteur fait ressortir les fautes des hommes ainsi que la toute-puissance de la Providence.
Il s’agit donc d’une histoire orientée. L’auteur plaide une cause. Sa chronique est un récit clair et méthodique d’événements rigoureusement datés et rapportés dans leur exacte succession. Chef et plus encore diplomate, Villehardouin voit les choses de haut et ne se perd jamais dans le détail. Son œuvre est donc très lucide et nettement composée. Mais elle manque généralement de pittoresque et parfois de couleur ; elle laisse une certaine impression de monotonie. Les scènes vivantes et dramatiques sont rares. Pourtant, outre son intérêt documentaire et historique, la Conquête de Constantinople présente une grande valeur littéraire et humaine.
Cette chronique marque les débuts de la prose française. Villehardouin est parvenu à un style clair, empreint de noblesse, qui sait traduire de riches réflexions psychologiques.
L’auteur connaît les passions des hommes, la complexité de leur nature et de leurs desseins. Il a bien vu le vice qui cause l’échec de ces expéditions lointaines : indiscipline, rivalités de personnes. Enfin il nous fait sentir avec une réelle intensité la situation si souvent tragique des croisés, trop peu nombreux, désunis, fort peu soutenus dans le cas présent par l’idéal mystique, isolés au milieu de populations hostiles et sans cesse menacés d’un anéantissement total.
La IVe croisade A la fin du XI Ie siècle, sous le pontificat D’Innocent III
et le règne de Philippe Auguste, un saint prêtre, Foulque de Neuilly, prêche la croisade en France. Thibaut, comte de Champagne, et Louis, comte de Blois, prennent la tête du mouvement. Les croisés envoient à Venise une ambassade, dont Villehardouin fait partie, pour s'assurer le concours de la flotte vénitienne. Un traité est conclu avec le Doge (Henri Dandolo). Cependant Thibaut meurt avant le départ : on choisit pour le remplacer Boniface, marquis de Montferrât.
En juin 1202, Vexpédition se met en route ; mais beaucoup de croisés manquent au rendez-vous de Venise. Ainsi la somme promise ne peut être payée aux Vénitiens. Ceux-ci accordent des facilités de paiement à condition que les croisés les aident à recouvrer Znrn (sur la côte dalmate). Sans doute le doge se croise, avec de nombreux Vénitiens, mais en dépit de certaines protestations, la croisade dévie une première fois de son but. — Prise de TjNRN.
Nouvelle déviation à la suite du traité conclu entre les croisés et le jeune prince Alexis Comnène, fils D’Isaac empereur de Constantinople détrôné par son frère (qui se nomme également Alexis) : les croisés l'aideront à chasser l'usurpateur, en échange de quoi « il mettra tout l'empire de Romanie en l'obéissance de Rome» (le schisme d'Orient1 est consommé depuis 1054), paiera deux cent mille marcs d'argent et participera à la croisade. La flotte gagne donc les Dardanelles : malgré de beaux prétextes, les Lieux Saints sont bel et bien oubliés.
LES CROISÉS EN VUE DE CONSTANTINOPLE
Voici un moment important dans l’histoire de la croisade. Les croisés sont émerveillés à la vue de Constantinople. Cependant les chefs délibèrent, et, le plan du doge une fois adopté, chacun se prépare pour le débarquement. Ce texte présente un intérêt à la fois psychologique et historique.
Alors ils quittèrent le port d’Abydos 2 tous ensemble. Vous auriez pu voir le Bras de Saint-Georges 3 fleuri, en amont, de nefs, de galères et d’« huissiers » 4, et c’était très grande merveille que la beauté du coup d’œil. Et ils remontèrent ainsi le Bras de Saint-Georges jusqu’au moment où ils arrivèrent, la veille de la Saint-Jean-Baptiste en juin 5, à Saint-Étienne 6, abbaye qui se trouvait à trois lieues de Constantinople. Et alors ceux des nefs, des galères et des « huissiers » eurent pleine vue sur Constantinople ; et ils firent escale et ancrèrent leurs vaisseaux.
Or croyez bien qu’ils regardèrent beaucoup Constantinople, ceux 1o qui jamais encore ne l’avaient vue ; car ils ne pouvaient penser qu’il pût y avoir ville si riche dans le monde entier, quand ils virent ces hauts murs et ces riches tours dont elle était close à la ronde tout alentour, et ces riches palais et ces hautes églises, dont il y avait tant que nul ne l’eût pu croire, s’il ne l’eût vu de ses yeux, et la longueur et la largeur de la ville qui entre toutes les autres était souveraine. Et sachez qu’il n’y eut homme, si hardi fût-il, à qui la chair ne frémît ; et ce n’était pas merveille, car jamais aussi grande entreprise n’avait été tentée par personne, depuis la création du monde.
Alors descendirent à terre les comtes et les barons et le doge de 20 Venise, et le conseil se tint au monastère de Saint-Etienne. Là maint avis fut pris et donné. Toutes les paroles qui y furent dites, le livre ne vous les contera point, mais le conseil aboutit à ceci, que le doge de Venise se leva tout droit et leur dit :
« Seigneurs, je connais mieux que vous ne faites les conditions de ce pays, car j’y ai déjà été. Vous avez entrepris la plus grande et la plus périlleuse affaire qui jamais fut entreprise ; aussi conviendrait-il que l’on procédât sagement. Sachez, si nous gagnons la terre ferme, que cette terre est grande et vaste, et nos gens pauvres et démunis de vivres. Ils se répandront donc à travers la contrée pour chercher des 30 vivres ; et il y a une très grande quantité de gens dans le pays ; ainsi nous ne pourrions faire si bonne garde que nous ne perdions des nôtres. Et il ne s’agit pas que nous en perdions, car nous avons fort peu de gens pour ce que nous voulons faire.
Il y a des îles tout près, que vous pouvez voir d’ici, habitées par des populations, et productrices de blé, de vivres et d’autres biens. Allons y mouiller, et amassons les blés et les vivres du pays ; puis, quand nous aurons amassé les vivres, allons devant la ville, et faisons ce que Notre-Seigneur aura décidé. Car plus sûrement guerroie tel qui a des vivres que tel qui n’en a point. » A cet avis se rallièrent les comtes et 40 les barons, et tous s’en retournèrent, chacun à sa nef et à son vaisseau.
Ils reposèrent ainsi cette nuit, et au matin, le jour de la fête de Mgr saint Jean-Baptiste, en juin, furent hissés les bannières et les gonfanons 7 sur les châteaux des nefs, et les housses des écus ôtées et le bord des nefs garni 8. Chacun était attentif à ses armes, comme il devait les avoir ; car ils savaient bien que d’ici peu ils en auraient besoin.
«
Pourtant,
outre son intérêt documentaire et historique, la Conquête de Constantinople
présente une grande valeur littéraire et humaine.
Cette chronique marque les débuts de la prose française.
VILLEHARDOUIN est parvenu à
un style clair, empreint de noblesse, qui sait traduire de riches réflexions psychologiques.
L'auteur connaît les passions des hommes, la complexité de leur nature et de leurs
desseins.
Il a bien vu le vice qui cause l'échec de ces expéditions lointaines : indiscipline,
rivalités de personnes.
Enfin il nous fait sentir avec une réelle intensité la situation si
souvent tragique des croisés, trop peu nombreux, désunis, fort peu soutenus dans le cas
présent par l'idéal mystique, isolés au milieu de populations hostiles et sans cesse menacés
d'un anéantissement total.
La JVe croisade A
la fin du XI Je siècle, sous le pontificat d'INNOCENT 11 1
et le règne de PHILIPPE AuGUSTE, un saint prêtre, FouLQUE
DE NEUILLY, prêche la croisade en France.
THIBAUT, comte de Champagne, et Loms, comte
de Blois, prennent la tête du mouvement.
Les croisés envoient à VENISE une ambassade, dont
VILLEHARDOUIN fait partie, pour s'assurer le concours de la flotte ·vénitienne.
Un traité est
conclu avec le DoGE (Henri Dandolo).
Cependant THIBAUT meurt avant le départ : on choisit
pour le remplacer BoNIFACE, marquis de Mon�ferrat.
En juin 1202, l'expédition se met en route; mais beaucoup de croisés manquent au rendez
vous de VENISE.
Ainsi la somme promise ne peut être payée aux Vénitiens.
Ceux-ci accordent
des facilités de paiement à condition que les croisés les aident à recouvrer ZARA (sur la côte
dalmate).
Sans doute le doge se croise, avec de nombreux Vénitiens, mais en dépit de certaines
protestations, la croisade dévie une première fois de son but.
-Prise de ZARA.
Nouvelle déviation à la suite du traité conclu entre les croisés et le jeune prince ALEXIS
COMNÈNE, fils d'ISAAC empereur de CoNSTANTINOPLE détrôné par son frère (qui se nomme
également ALEXIS) :les croisés l'aideront à chasser l'usurpateur, en échange de quoi « il mettra
tout l'empire de RoMANIE en l'obéissance de RoME" (le schisme d'Orient 1 est consommé
depuis 1054), paiera deux cent mille marcs d'argent et participera à la croisade.
La flott e
gagne donc les DARDANELLES : malgré de beaux prétextes, les LIEUX SAINTS sont bel et bien
oubliés.
LES CROISÉS EN VUE DE CONSTANTINOPLE
Voici un moment important dans l'histoire de la croisade.
Les croisés sont émerveillés
à la vue de Constantinople.
Cependant les chefs délibèrent, et, le plan du doge une fois
adopté, chacun se prépare pour le débarquement.
Ce texte présente un intérêt à la fois
psychologique et historique.
A lors ils quittèrent le port d'Abydos 2 tous ensemble.
Vous auriez pu
voir le Bras de Saint-Georges 3 fleuri, en amont, de nefs, de galères
et d'.
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