Chateaubriand, Mémoires d'outre-tombe (livre III).
Publié le 07/05/2013
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Chateaubriand, Mémoires d'outre-tombe (livre III). Dans la première partie des Mémoires d'outre-tombe, consacrée à la jeunesse de l'auteur, une anecdote -- le chant d'une grive entendu lors d'une promenade à Montboissier -- est l'occasion d'une réminiscence nostalgique et émue. Par la magie du chant, l'auteur revient à son enfance ; divers lieux (Montboissier, Combourg), divers moments se superposent : le temps du souvenir, celui de la promenade, celui de l'écriture... Pour être sauvée, cette magie doit cependant être relayée par celle de l'écriture, capable de la fixer sans la dénaturer ; en témoigne cette page célèbre, où le mouvement de l'écriture et celui du souvenir sont indissociables. Mémoires d'outre-tombe, de Chateaubriand (Livre III, chapitre 6) Hier au soir je me promenais seul ; le ciel ressemblait à un ciel d'automne ; un vent froid soufflait par intervalles. À la percée d'un fourré, je m'arrêtai pour regarder le soleil : il s'enfonçait dans des nuages au-dessus de la tour d'Alluye, d'où Gabrielle, habitante de cette tour, avait vu comme moi le soleil se coucher il y a deux cents ans. Que sont devenus Henri et Gabrielle ? Ce que je serai devenu quand ces Mémoires seront publiés. Je fus tiré de mes réflexions par le gazouillement d'une grive perchée sur la plus haute branche d'un bouleau. À l'instant, ce son magique fit reparaître à mes yeux le domaine paternel ; j'oubliai les catastrophes dont je venais d'être le témoin, et, transporté subitement dans le passé, je revis ces campagnes où j'entendis si souvent siffler la grive. Quand je l'écoutais alors, j'étais triste de même aujourd'hui ; mais cette première tristesse était celle qui naît d'un désir vague de bonheur, lorsqu'on est sans expérience ; la tristesse que j'éprouve actuellement vient de la connaissance des choses appréciées et jugées. Le chant de l'oiseau dans les bois de Combourg m'entretenait d'une félicité que je croyais atteindre ; le même chant dans le parc de Montboissier me rappelait des jours perdus à la poursuite de cette félicité insaisissable. Je n'ai plus rien à apprendre, j'ai marché plus vite qu'un autre, et j'ai fait le tour de la vie. Les heures fuient et m'entraînent ; je n'ai pas même la certitude de pouvoir achever ces Mémoires. Dans combien de lieux ai-je déjà commencé à les écrire, et dans quel lieu les finirai-je ? Combien de temps me promènerai-je au bord des bois ? Mettons à profit le peu d'instants qui me restent ; hâtons-nous de peindre ma jeunesse, tandis que j'y touche encore : le navigateur, abandonnant pour jamais un rivage enchanté, écrit son journal à la vue de la terre qui s'éloigne et qui va bientôt disparaître. Source : Nony (Daniel) et André (Alain), Littérature française : histoire et anthologie, Paris, Hatier, 1990. Microsoft ® Encarta ® 2009. © 1993-2008 Microsoft Corporation. Tous droits réservés.
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