Chateaubriand, le Génie du christianisme (extrait).
Publié le 07/05/2013
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Chateaubriand, le Génie du christianisme (extrait). Renouant personnellement avec la foi quand la France redécouvre l'Église avec le Concordat de 1801, Chateaubriand se fait l'apôtre, dans cet essai politique et moral -- que certains jugent même propagandiste --, de la religion chrétienne. Affirmant l'excellence de ses valeurs et de ses fondements, il fait du christianisme une pensée moderne où l'homme, débarrassé des vicissitudes de la Révolution, pourra se reconnaître et fonder enfin un ordre nouveau et naturel, à l'image du royaume de Dieu. Le Génie du christianisme de Chateaubriand On voit d'abord sortir de ce mystère la doctrine du péché originel, qui explique l'homme. Sans l'admission de cette vérité, connue par tradition de tous les peuples, une nuit impénétrable nous couvre. Comment, sans la tache primitive, rendre compte du penchant vicieux de notre nature, combattu par une voix qui nous annonce que nous fûmes formés pour la vertu ? Comment l'aptitude de l'homme à la douleur, comment ses sueurs qui fécondent un sillon terrible, comment les larmes, les chagrins, les malheurs du juste, comment les triomphes et les succès impunis du méchant, comment, dis-je, sans une chute première, tout cela pourroit-il s'expliquer ? C'est pour avoir méconnu cette dégénération, que les philosophes de l'antiquité tombèrent en d'étranges erreurs, et qu'ils inventèrent le dogme de la réminiscence. Pour nous convaincre de la fatale vérité d'où naît le mystère qui nous rachète, nous n'avons pas besoin d'autres preuves que la malédiction prononcée contre Ève, malédiction qui s'accomplit chaque jour sous nos yeux. Que de choses dans ces brisements d'entrailles, et pourtant dans ce bonheur de la maternité ! Quelles mystérieuses annonces de l'homme et de sa double destinée, prédite à la fois par la douleur et par la joie de la femme qui l'enfante ! On ne peut se méprendre sur les voies du Très-Haut, en retrouvant les deux grandes fins de l'homme dans le travail de sa mère, et il faut reconnoître un Dieu jusque dans une malédiction. Après tout, nous voyons chaque jour le fils puni pour le père, et le contre-coup du crime d'un méchant aller frapper un descendant vertueux : ce qui ne prouve que trop la doctrine du péché originel. Mais un Dieu de bonté et d'indulgence, sachant que nous périssions par cette chute, est venu nous sauver. Ne le demandons point à notre esprit, mais à notre coeur, nous tous foibles et coupables, comment un Dieu peut mourir. Si ce parfait modèle du bon fils, cet exemple des amis fidèles, si cette retraite au mont des Oliviers, ce calice amer, cette sueur de sang, cette douceur d'âme, cette sublimité d'esprit, cette croix, ce voile déchiré, ce rocher fendu, ces ténèbres de la nature, si ce Dieu enfin expirant pour les hommes, ne peut ni ravir notre coeur, ni enflammer nos pensées, il est à craindre qu'on ne trouve jamais dans nos ouvrages, comme dans ceux du Poëte, « des miracles éclatants «, Speciosa miracula. « Des images ne sont pas des raisons, dira-t-on peut-être ; nous sommes dans un siècle de lumière qui n'admet rien sans preuves. « Que nous soyons dans un siècle de lumière, c'est ce dont quelques personnes ont douté ; mais nous ne serons point étonné si l'on nous fait l'objection précédente. Quand on a voulu argumenter sérieusement contre le christianisme, les Origène, les Clarke, les Bossuet ont répondu. Pressé par ces redoutables adversaires, on cherchoit à leur échapper, en reprochant au christianisme ces mêmes disputes métaphysiques dans lesquelles on voudroit nous entraîner. On disoit, comme Arius, Celse et Porphyre, que notre religion est un tissu de subtilités qui n'offrent rien à l'imagination et au coeur, et qui n'ont pour sectaires que des fous et des imbéciles. Se présente-t-il quelqu'un qui, répondant à ces derniers reproches, cherche à démontrer que le culte évangélique est celui du poëte, de l'âme tendre, on ne manquera pas de s'écrier : Eh ! qu'est-ce que tout cela prouve, sinon que vous savez plus ou moins bien faire un tableau ? Ainsi, voulezvous peindre et toucher, on vous demande des axiomes et des corollaires. Prétendez-vous raisonner, il ne faut plus que des sentiments et des images. Il est difficile de joindre des ennemis aussi légers, et qui ne sont jamais au poste où ils vous défient. Nous hasarderons quelques mots sur la Rédemption, pour montrer que la théologie du christianisme n'est pas aussi absurde qu'on affecte de le penser. Une tradition universelle nous apprend que l'homme a été créé dans un état plus parfait que celui où il existe à présent, et qu'il y a eu une chute. Cette tradition se fortifie de l'opinion des philosophes de tous temps et de tous pays, qui n'ont jamais pu se rendre compte de l'homme moral, sans supposer un état primitif de perfection, d'où la nature humaine est ensuite déchue par sa faute. Source : Chateaubriand (François René, vicomte de), le Génie du christianisme, 1802. Microsoft ® Encarta ® 2009. © 1993-2008 Microsoft Corporation. Tous droits réservés.
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