Chapitre 8 L’adaptation de la relation de travail par le droit négocié L’essentiel du cours Dans un contexte de concurrence accrue, la relation de travail se définit de plus en plus par la négociation collective, qui vise à aboutir à des accords sur les conditions d’emploi et de travail des salariés. De plus en plus, la négociation collective a tendance à prendre le pas sur la règle générale : en effet, le législateur intervient pour donner force de loi à des textes élaborés par les partenaires sociaux. Il s’agit là d’une évolution importante du droit français, porteuse de conséquences souvent favorables au salarié. I. La négociation collective La négociation collective est l’ensemble des discussions entre représentants des employeurs ou des organisations professionnelles, d’une part, et syndicats de salariés, d’autre part, en vue de conclure une convention collective. C’est donc une production normative issue du milieu professionnel. Cet échange entre représentants employeurs et salariés porte sur les conditions de travail, de formation professionnelle, d’emploi et de garanties sociales. Si la loi régit les relations de travail, une grande partie de la réglementation est issue de cette action normative des partenaires sociaux. A. Les acteurs de la négociation collective Les négociations collectives sont réalisées entre les partenaires sociaux, représentants employeurs et salariés. 1. Les partenaires sociaux employeurs Les employeurs peuvent participer aux négociations isolément ou par l’intermédiaire de leurs groupements, tels le MEDEF (Mouvement des entreprises de France) ou la CGPME (Confédération générale des petites et moyennes entreprises). 2. Les partenaires sociaux salariés La loi du 20 août 2008 de démocratie sociale a modifié les règles de représentativité des syndicats, qui sont désormais les suivantes : – condition de respect des valeurs républicaines ; – condition d’effectif adhérent et de cotisations à jour ; – condition d’influence caractérisée par l’activité et l’expérience du syndicat ; – condition d’indépendance à l’égard de l’employeur ; – condition d’ancienneté (au moins deux ans dans le champ professionnel et géographique de la négociation) ; – transparence financière ; – audience électorale (un syndicat est dit « représentatif « dès lors que ses candidats aux élections professionnelles ont obtenu au moins 10 % des voix au niveau de l’entreprise et au moins 8 % au niveau de la branche). Dans les entreprises pourvues de délégués syndicaux En ce qui concerne les partenaires sociaux salariés, les conventions et accords collectifs négociés au niveau interprofessionnel de la branche et de l’entreprise doivent respecter les dispositions de la loi du 1er janvier 2009 (voir ci-dessous, « E. Les procédures d’adoption «). Dans les entreprises dépourvues de délégués syndicaux Dans ces entreprises, l’employeur est désormais en droit de conclure des accords collectifs avec un représentant du personnel (membre élu du comité d’entreprise ou délégué du personnel) ou, à défaut, avec un salarié mandaté par une organisation syndicale. En outre, la loi a créé un acteur de la négociation collective en la personne du représentant de la section syndicale (RSS), habilité à négocier en l’absence de délégué syndical au sein de l’entreprise, ou s’il n’a pas été possible de conclure d’accord avec un représentant du personnel ou un salarié mandaté. B. Les objets de la négociation collective On distingue la convention collective et l’accord collectif. – La convention collective traite de l’ensemble des relations de travail entre employeurs et salariés (conditions d’emploi, formation professionnelle, garanties sociales des salariés…). Elle complète les dispositions du Code du travail et les adapte aux situations particulières d’un secteur d’activité (bâtiment, automobile, métallurgie…). Elle s’applique aux salariés de toutes les branches professionnelles ou seulement à ceux d’un secteur d’activité, à tous les salariés de France ou seulement à ceux d’une zone géographique déterminée. – L’accord collectif, quant à lui, ne porte que sur certains thèmes particuliers choisis par les négociateurs (par exemple, un accord sur la réduction du temps de travail). C. Les champs d’application Chaque convention ou accord indique clairement son champ d’application géographique (national, régional, départemental) et son domaine professionnel (interprofessionnel, branche, entreprise, établissement, groupe). Ces textes peuvent être conclus à trois niveaux : au niveau interprofessionnel, au niveau de la branche ou au niveau de l’entreprise. 1. Les accords interprofessionnels Les accords signés dans ce cadre sont les accords nationaux interprofessionnels. Ils se situent au sommet de la pyramide et ont pour vocation de couvrir tous les secteurs d’activité et tous les emplois au niveau national. Ce type d’accord a pour objet de traiter les grands problèmes sociaux communs à tous les secteurs d’activité (par exemple, la formation). 2. Les accords de branche Les conventions de branche régissent les conditions de travail au niveau du secteur d’activité. Elles constituent une véritable loi pour la profession concernée. On dénombre environ 300 branches professionnelles en France (ex. : la branche de la métallurgie ou celle de la chimie). Le Code du travail impose une négociation annuelle sur les salaires, une négociation triennale sur la formation, l’égalité professionnelle, la gestion de l’emploi, des compétences, et le handicap, et une négociation quinquennale sur les classifications professionnelles. 3. Les accords d’entreprise, d’établissement ou de groupe Il s’agit ici d’adapter les règles du Code du travail aux spécificités de l’entreprise. Les négociations peuvent être spontanées, à l’initiative du chef d’entreprise ou des syndicats, qui peuvent à tout moment décider de négocier sur un thème librement choisi. Remarque : on retiendra que chaque niveau de négociation joue un rôle différent : les accords interprofessionnels assurent la cohérence d’ensemble des niveaux de négociation ; la branche joue un rôle structurant d’encadrement et d’impulsion de la négociation d’entreprise à travers l’existence de règles communes à la profession (ex. : salaires minima, classification professionnelle…) ; enfin, la négociation d’entreprise permet de mettre en œuvre des solutions tenant compte des caractéristiques et des besoins de chaque entreprise. D. Le principe de faveur et le principe majoritaire 1. Le principe de faveur Le principe de faveur est un principe fondamental du droit du travail selon lequel il est toujours possible de déroger à une règle hiérarchiquement supérieure, pourvu que ce soit dans un sens favorable aux salariés, le but étant de leur assurer une protection maximale. Il permet de régler les conflits de normes au profit de la disposition la plus avantageuse pour le salarié (une convention d’un rang hiérarchique inférieur peut toujours améliorer les dispositions prévues par une convention d’un rang hiérarchique supérieur). La convention ou l’accord collectif peuvent ainsi comporter des dispositions plus favorables aux salariés que celles des lois et règlements en vigueur, sans pouvoir déroger aux dispositions d’ordre public. De même, le contrat de travail peut prévoir des dispositions plus favorables que l’accord ou la convention applicable à l’entreprise. Ainsi, le principe de faveur qui régissait les rapports entre la loi et les normes conventionnelles et entre les différents niveaux de normes conventionnelles bouscule la hiérarchie des normes en droit du travail. Remarque : en cas de conflit de normes, le principe de faveur commande d’appliquer la norme la plus avantageuse pour le salarié, et non la norme la plus haute. 2. La mise en question du principe de faveur : les accords dérogatoires Il est aujourd’hui possible, en dehors de cas limitativement énumérés (salaires minima, classification professionnelle), de conclure des accords dits « dérogatoires « qui permettent de déroger aux conventions et accords de niveau supérieur. 3. Le principe majoritaire Depuis le 1er janvier 2009, tout accord collectif, quel que soit le niveau de négociation, doit, pour être valide, avoir été signé par un ou plusieurs des syndicats représentatifs qui ont recueilli au moins 30 % des suffrages au premier tour de l’élection professionnelle, et qui n’ont pas fait l’objet d’opposition de la part de syndicats ayant recueilli une majorité de suffrages. On constate donc que le principe majoritaire est présent à tous les niveaux de négociation et se traduit : – soit par une majorité d’engagement, c’est-à-dire qu’une convention ou un accord ne peut entrer en vigueur que s’il est signé par une ou plusieurs organisations syndicales représentant la majorité des salariés ; – soit en majorité d’opposition, c’est-à-dire qu’un accord, bien que signé par une seule organisation syndicale, est valable s’il ne fait pas l’objet d’une opposition de la part de la majorité des organisations représentatives dans le champ de l’accord ou d’organisations représentant la majorité des salariés. II. Les enjeux du droit négocié A. Progrès social ? La négociation collective permet d’adapter les règles du Code du travail aux réalités des entreprises en tenant compte des besoins et des spécificités du secteur concerné. Si la loi prévoit un socle minimal applicable à tous les salariés, la négociation permet ainsi des aménagements par branche, acteur ou entreprise. Le contexte économique exerce une influence sur la sphère juridique car, dans un monde instable et en perpétuelle évolution, la négociation collective permet des adaptations rapides et pallie les lenteurs et les rigidités de la loi. Il s’agit bien de créer un droit négocié par les parties et non imposé par la loi. La négociation collective contribue ainsi aux avancées sociales, en accordant des avantages (jours fériés, par exemple) qui se diffusent souvent à d’autres branches et finissent par être généralisés par la loi. Un texte élaboré par les partenaires sociaux peut prendre force de loi. En effet, le ministre du Travail peut décider d’appliquer des conventions à des entreprises non signataires et qui en deviennent ainsi bénéficiaires. Cette possibilité correspond à deux procédures distinctes : l’extension et l’élargissement. 1. L’extension La procédure d’extension rend la convention ou l’accord obligatoirement applicable à l’ensemble des entreprises de la branche ou du secteur géographique, même si les entreprises n’adhèrent pas à une organisation signataire. 2. L’élargissement La procédure d’élargissement rend la convention ou l’accord obligatoirement applicable à d’autres professions ou d’autres régions que celles qui étaient impliquées initialement. L’élargissement intervient après l’extension. Remarque : l’extension et l’élargissement permettent d’améliorer les conditions de travail de tous les salariés à partir des acquis sociaux d’une entreprise ou d’une branche. Ce sont donc des moyens de progrès social. B. Régression sociale ? L’État ne détenant pas le monopole de la production des normes sociales, le droit du travail cède de plus en plus la place au droit négocié, mieux adapté aux particularités et aux contraintes des entreprises. Cependant, cette tendance n’est pas sans risque, compte tenu de la faible présence des syndicats dans l’entreprise et de la recherche constante de flexibilité. Un phénomène de « flexicurité « (contraction des termes « flexibilité « et « sécurité «) a ainsi tendance à se développer, censé allier flexibilité des entreprises et sécurité des salariés, concept réclamé par certains et redouté par d’autres.