Cesare BECCARIA (1738-1794) Les moyens de prévenir les délits
Publié le 19/10/2016
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Cesare BECCARIA (1738-1794)
Les moyens de prévenir les délits
Il vaut mieux prévenir les crimes que d'avoir à les punir ; tel est le but principal de toute bonne législation, laquelle est l'art de rendre les hommes le plus heureux possible ou, disons pour tenir compte également des biens et des maux de la vie, le moins malheureux possible. Mais les moyens employés jusqu'ici sont pour la plupart absurdes et opposés à ce but. Il n'est pas possible de réduire l'activité tumultueuse des humains à un ordre géométrique exempt d'irrégularité et de confusion. De même que les lois simples et constantes de la nature ne peuvent éviter les perturbations qui surviennent dans le cours des planètes, les lois humaines sont incapables d'empêcher le trouble et le désordre résultant des forces d'attraction innombrables et opposées du plaisir et de la douleur. C'est pourtant la chimère que poursuivent les hommes aux facultés limitées quand ils ont en main le pouvoir. Lorsqu'on défend une foule d'actes indifférents, on ne prévient pas des délits qui ne sauraient en résulter, mais on en crée de nouveaux en déplaçant arbitrairement, entre le vice et la vertu, des limites que l'on proclame cependant éternelles et immuables. À quoi serions-nous réduits, si tout ce qui peut être une occasion de délits nous était interdit ? Il faudrait alors priver l'homme de l'usage de ses sens. Pour un motif qui pousse à commettre un véritable délit, il y en a mille qui mènent à des actions indifférentes que seules les mauvaises lois appellent délits. Plus on augmente le nombre des délits possibles, plus on accroît les chances d'en commettre. La plupart des lois ne représentent d'ailleurs que des privilèges et ne sont qu'un tribut imposé à tous en faveur d'un petit nombre.
Si l'on veut prévenir les délits, il faut faire en sorte que les lois soient claires et simples, et que tous les membres de la nation unissent leurs forces pour les défendre, sans qu'aucun puisse travailler à les détruire. Il faut qu'elles favorisent moins les classes que les hommes , que ceux-ci les craignent, et ne craignent qu'elles. La crainte des lois est salutaire, la crainte des hommes est funeste et fertile en crimes. Les hommes asservis sont plus enclins à la volupté, au libertinage, à la cruauté que les hommes libres. Ces derniers s'adonnent aux sciences, méditent sur les intérêts des nations, voient de grands exemples et les imitent, tandis que les autres se bornent au moment présent et cherchent dans le bruit de la débauche à se consoler de l'avilissement où ils se voient réduits. L'incertitude des lois les accoutume au doute quant à l'issue de toutes choses et de leurs crimes en particulier, ce qui ne peut que renforcer les passions qui les y poussent. Dans une nation que le climat rend indolente, le caractère indécis des lois entretient et augmente la nonchalance et l'inertie. Chez un peuple voluptueux mais actif, la même cause disperse l'activité en une foule de petites cabales et de menues intrigues qui sèment la défiance dans tous les cœurs, et la prudence devient trahison et hypocrisie. Si le peuple est fort et courageux, l'incertitude finit par être éliminée, non sans avoir causé d'abord de nombreuses oscillations entre la servitude et la liberté.
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