Büchner, la Mort de Danton (extrait).
Publié le 07/05/2013
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Büchner, la Mort de Danton (extrait). Malgré un sujet emprunté à l'histoire, la Mort de Danton de Georg Büchner est davantage une pièce déterministe interrogeant les rapports que tissent la volonté et l'ennui, qu'un drame historique. Accusé par Robespierre d'avoir trahi la Révolution et ses idéaux, Danton « le sanguinaire «, aux derniers jours de sa vie, est en effet devenu un homme las, aussi aboulique qu'il fut fougueux et audacieux dans ses combats populaires. Devant le Tribunal révolutionnaire, Danton se sait vaincu et consent à se laisser gagner par la culpabilité. La Mort de Danton de Georg Büchner (acte III, scène 4) LE TRIBUNAL RÉVOLUTIONNAIRE HERMAN (à Danton) : Votre nom, citoyen. DANTON : La Révolution indique mon nom. Ma demeure sera bientôt le néant et mon nom dans le Panthéon de l'histoire. HERMAN : Danton, la Convention vous accuse d'avoir conspiré avec Mirabeau, avec Dumouriez, avec Orléans, avec les Girondins, les étrangers et la faction de Louis XVII. DANTON : Ma voix, que j'ai fait retentir si souvent pour la cause du peuple, repoussera sans peine cette calomnie. Que les misérables qui m'accusent comparaissent ici, et je les couvrirai de honte ! Que les comités se rendent ici, je ne répondrai que devant eux ! J'ai besoin d'eux, comme accusateurs et comme témoins. Qu'ils se montrent ! D'ailleurs, que m'importent vous et votre verdict. Je vous l'ai déjà dit : le néant sera bientôt mon refuge, la vie est pour moi un fardeau. Qu'on me l'arrache. Il me tarde de m'en débarrasser. HERMAN : Danton, l'audace est le propre du crime, le calme, celui de l'innocence. DANTON : L'audace dans le domaine privé est sans aucun doute blâmable, mais cette audace pour la cause nationale dont j'ai si souvent fait preuve, et avec laquelle j'ai si souvent combattu pour la liberté, celle-là est de toutes les vertus la plus méritoire. Telle est mon audace à moi. C'est elle dont je me sers ici, dans l'intérêt de la République, et contre mes pitoyables accusateurs. Puis-je rester calme quand je me vois calomnié aussi vilement ? D'un révolutionnaire comme moi, on ne saurait attendre une défense froide. Des hommes de ma trempe sont d'une valeur inestimable dans les révolutions. Sur leur front plane le génie de la liberté. (Des signes d'approbation dans l'auditoire.) C'est moi qu'on accuse d'avoir conspiré avec Mirabeau, avec Dumouriez, avec Orléans, d'avoir rampé aux pieds de misérables despotes. C'est moi qu'on somme de répondre devant l'inéluctable et inflexible justice. C'est toi, misérable Saint-Just, qui porteras devant la postérité la responsabilité de cet outrage ! HERMAN : Je vous demande de répondre avec calme. Pensez à Marat. Il comparut avec respect devant ses juges. DANTON : C'est à ma vie entière qu'ils s'en prennent, qu'elle se dresse donc contre eux ! Je les écraserai sous le poids de chacun de mes actes. Je n'en tire aucune fierté. C'est le destin qui guide notre main, mais seules les natures puissantes sont ses outils. Sur le Champ-de-Mars, j'ai déclaré la guerre à la royauté ; le 10 août, je l'ai battue ; le 21 janvier, je l'ai tuée, et le défi que j'ai lancé aux rois, fut une tête royale (Marques d'approbation répétées. Il saisit l'acte d'accusation.) Un seul regard sur ce papier infâme, et je sens tout mon être frémir. Quels sont donc ceux qui auraient dû pousser Danton à se montrer en ce jour mémorable (le 10 août) ? Quels sont donc ces êtres privilégiés auxquels il aurait emprunté son énergie ? Que mes accusateurs apparaissent ! Je suis en pleine possession de mes sens en demandant cela. Je démasquerai ces plats coquins, je les replongerai dans le néant d'où ils n'auraient jamais dû émerger. HERMAN (agitant la sonnette) : N'entendez-vous pas la sonnette ? DANTON : La voix d'un homme qui défend son honneur et sa vie doit couvrir le bruit de ton grelot. En septembre, j'ai nourri la jeune couvée de la Révolution avec les corps dépecés des aristocrates. De l'or des aristocrates et des riches, ma voix a forgé des armes pour le peuple. Ma voix fut l'ouragan qui ensevelit les satellites du despotisme sous les flots des baïonnettes. (Applaudissements bruyants.) HERMAN : Danton, votre voix est épuisée. Vous êtes trop ému. Vous terminerez votre défense la prochaine fois. Vous avez besoin de repos. La séance est levée. DANTON : À présent, vous connaissez Danton. Quelques heures encore, et il s'endormira dans les bras de la gloire. Source : Büchner (Georg), la Mort de Danton, trad. par R. Thiéberger, Paris, Aubier, coll. « bilingue «, 1972. Microsoft ® Encarta ® 2009. © 1993-2008 Microsoft Corporation. Tous droits réservés.
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