Une oeuvre d’art peut-elle être périssable ?
Publié le 01/05/2016
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Une oeuvre d’art peut-elle être périssable ? Selon Hannah Arendt, les oeuvres d’art se distinguent de tout autre produit humain par leur durabilité et leur inutilité. L’oeuvre d’art est, par définition, un élément physique, esthétique et artistique, tandis que l’objet du quotidien est lui quelque chose considéré comme fabriqué par l’Homme et destiné à avoir une utilité propre, un certain usage. Le fait qu’il soit périssable ou non relève du fait qu’il puisse s’abîmer, se détériorer, ce qui peut aussi bien être le cas d’un objet que d’une oeuvre d’art. Or, contrairement à l’objet d’usage, on cherche à conserver l’oeuvre d’art. Ce qui nous amène à nous demander pour quelles raisons l’Homme ressent-il le besoin de conserver l’oeuvre d’art, en sachant que celle-ci n’a aucune utilité particulière. Mais alors pourquoi l’art s’il ne sert à rien ? Comment une oeuvre d’art peut-elle durer dans le temps s’il n’y aucune utilité à l’entretenir ou à s’en souvenir ? Une oeuvre d’art ne serait-elle donc pas dans ce cas, en suivant cette logique, périssable ? En quoi l’inutilité de l’oeuvre d’art pourrait-elle conduire à penser son impérissabilité ? Y a-t-il un lien entre les deux ? Dire d’une oeuvre d’art qu’elle est périssable, c’est l’assimiler à tout autre objet du quotidien que l’on jète sans considération particulière. Mais alors qu’est-ce qui différencie l’objet d’usage de l’oeuvre d’art ? Pourquoi ne les confondons-nous pas ? Il n’est pas rare de constater que certaines oeuvres d’art, aussi périssable soit-elles, laissent trace de par l’impact, le message qu’elles apportent à leur public, c’est par exemple le principe d’une performance. Cette performance, objet de l'action, ne sera œuvre d'art que le temps qu'elle a durée, elle restera cependant existante tant que quelqu'un sera capable de s'en souvenir et tant qu'elle projettera son message. Elle restera mémorable car elle est originale, qu'elle fait origine. Peut-on alors, à ce stade, qualifier une œuvre d'art d'impérissable ? Peut-on dire d'une œuvre d'art qu'elle est éternelle ? Nous constaterons que si l'oeuvre d'art n'est pas dans tous les cas quelque chose d'impérissable, il existe une possibilité de décider de sa durabilité dans le temps. Nous verrons que c'est l'oeuvre elle même qui détermine ça propre durabilité de par son essence, son caractère original. Nous devrons alors examiner quels critères il est nécessaire de prendre en compte pour caractériser la durabilité de l'oeuvre d'art. L'oeuvre d'art est, de fait, périssable puisqu'elle est en premier lieu, objet, production humaine. L'oeuvre d'art est avant tout artificiel et, par opposition avec la Nature, ne peut se renouveler de lui-même et nécessite d'être entretenu par l'homme. En effet, une œuvre d'art et un objet d'usage peuvent, par plusieurs points, être similaires. Cependant, qu'est-ce qui fait que nous ne les confondons pas ? Tout d'abord, un objet d'usage est lui considéré comme utile à la société, alors que, par opposition, une œuvre d'art n'a aucune utilité particulière dans la vie quotidienne, elle n'est assimilée à aucun besoin matériel spécifique. On distingue donc l'oeuvre d'art est l'objet d'usage de par leur durée qui va d'un instant très court, pour les objets d'usages « dont la durée au monde excède à peine le temps nécessaire à les préparer », à « une immortalité potentielle dans le cas de l'oeuvre d'art ». En effet, pour H. Arendt, l'objet d'usage, produit de consommation, à une durée déterminée par l'homme et ne dure que le temps qu'on lui a donné. Il est donc, par définition, destiné à se détruire, à être jeter et oublié avant d'être remplacer par un objet identique ou similaire au précédent. L'oeuvre d'art, comme tout objet de la culture, est soumise au temps. Elle a une naissance et une mort. Mais pour quelles raisons l'homme veut-il protéger ces œuvres des méfaits du temps et non les remplacer sans cesse comme il le ferait avec un objet technique ? Qu'est-ce qui le pousse à vouloir la conserver, la muséifier ? Tout d'abord parce qu'elles ne sont pas quelque chose de vivant dans le sens physique, elles ne sont donc pas amenées à renaître, à se régénérer comme le fait la nature. Il est donc nécessaire pour l'homme de les conserver puisqu'elles ne se conservent pas toutes seules. De plus, ce qui pousse l'homme à conserver les œuvres d'art est le fait que l'oeuvre d'art n'est pas seulement un objet technique, une réalité mais une reproduction de celle-ci, et montre le message ou le point de vue de l'artiste. Par exemple, si un artiste peint un paysage, cette peinture ne sera pas le paysage lui- même mais le paysage vu par l'artiste et peint, décrit à travers son regard, ainsi, le tableau représente une réalité différente, tout comme le fait René Magritte avec le tableau Ceci n'est pas une pipe. Une œuvre est quelque chose d'original, de nouveau, ce qui lui donne un caractère sacré et la différencie de l'objet technique. Walter benjamin dit de l'oeuvre d'art qu'elle possède une aura, ce qui donne son caractère sacré à l'art. Une œuvre d'art, bien qu'elle soit inutile, inutilisable puisqu'on est placé dans le cadre des musée dans une position d'observateur, nous apporte quelque chose de commun à chacun, l'expérience qu'elle nous fait vivre. Cependant, ce vécu reste quelque chose de personnel, chaque fois que quelqu'un est touché par une œuvre, cette œuvre le ramène à un vécu personnel, un souvenir ou une sensation qui résonne en lui. C'est en cela même que se défini l'aura de l'oeuvre d'art, plus l'écho qu'elle porte en nous est grand plus son aura sera grande. Certaines œuvres d'art sont par ailleurs vouées à se détériorer plus vite que d'autre, comme c'est le cas par exemple du Land Art, courant artistique qui consiste à mettre en place une œuvre dont le principe de destruction fera partie intégrante de celle-ci. Dans ces œuvres, l'éphémère est la caractéristique la plus importante. L'artiste érige une œuvre dans un lieu public, généralement en extérieur comme par exemple l'oeuvre Fish, de Wolfgang Buntrock. Au lieu de la muséifier on va donc s'emparer de ce caractère éphémère pour en faire quelque chose de spectaculaire. Ce n'est donc plus le musée qui définie la valeur de l'oeuvre mais l'oeuvre qui définie le musée. Le fait de savoir que celle-ci sera vouée à disparaître la rend d'autant plus unique et originale et l'aura de l'oeuvre en est d'autant plus importante, l'oeuvre aurait donc une plus forte aura sur un temps plus court. Une œuvre d'art est donc, puisqu'elle est matérielle, forcément périssable physiquement parlant. Cependant, ces œuvres, plus ou moins éphémères et donc périssable, ne peuvent-elles pas d'une certaine façon devenir impérissable ? C'est la dimension spirituelle de l'oeuvre d'art qui semble la rendre impérissable. Dans ce contexte, nous allons plutôt parler de forme que de matière puisqu'il est ici question de l'oeuvre qui, par définition, n'est rien sans l'idée qui est à son origine et qui détermine sa forme. La forme de l'oeuvre est quelque chose qui demeure au-delà de l'oeuvre elle-même, car l'oeuvre d'art, si elle semble être un produit, n'est-elle pas avant tout une création ? Selon Kant dans La Critique de la faculté de juger, l'art vient du génie, le génie étant : « un talent, qui consiste à produire ce dont on ne saurait donner aucune règle déterminée », c'est-à-dire que l'art est plutôt une création qu'une production ou une reproduction de quelque chose, ce qui le différencie de l'application mécanique de règles. On peut donc avoir une maîtrise de l'art sans pour autant être un artiste car, l'art impliquant quelque chose de naturelle, le génie de l'artiste serait donc également quelque chose de naturel. D'après Kant donc, le génie ne s'apprend pas, il est inné. « L'absurde aussi pouvant être original, ces produits doivent en même temps être des modèles », c'est-à-dire qu'une œuvre d'art, en plus de faire origine, doit également apporter quelque chose qui la distingue des autres œuvres d'art, une nouvelle façon de voir par exemple, afin d'être prise comme modèle, et donc, ne pas être elles-même des imitations de quelque chose. Son processus de création n'est donc pas réductible à l'application de règles puisque que l'oeuvre en crée de nouvelles, qui lui sont propres. L'Œuvre d'art devient alors quelque chose de vivant, qui « discute » avec le public. D'après Hegel dans Esthétique Tome 1 : « Eveiller l'âme : tel est, dit-on, le but final de l'art, tel l'effet qu'il doit chercher à obtenir. » L'œuvre d'art possède donc une idée esthétique qui la rend géniale, lui donne une âme. Elle nous fait ressentir quelque chose et produit en nous quelque chose qui nous fait vibrer, comme c'est le cas par exemple des performances, œuvres ponctuelles qui n'existent que le temps du spectacle mais qui, de part leur vivacité dure dans les esprits. Hegel à écrit : « les évènements arrivent mais, aussitôt arrivés, ils s'évanouissent : l'œuvre d'art leur confère de la durée, les représentations dans leur vérité impérissable » Ce qui nous montre qu'une œuvre d'art nous montre sa propre réalité, et que, à travers cette réalité, elle nous montre quelque chose de nouvelle, d'original, qui va nous amener à nous en souvenir. Prenons l'exemple des performances, qu'elles soient de rue ou non, c'est performances font, de la façon la plus transparente et pure, ressortir ces évènements, importants, percutants ou non, en leur donnant la forme d'oeuvre d'art et en montrant dans ce cas leur propre réalité. Ces œuvres ponctuelles vont alors continuer à « vivre » dans l'esprit du public, dans sont imagination. Le spectateur a donc, pendant cette courte durée, put donner un sens à l'oeuvre, sens qui sera propre à cette œuvre, à cette instant, mais aussi sens qui sera propre au spectateur lui-même en l'associant à d'autres images, d'autres souvenirs qui proviennent de son vécu. C'est donc le caractère génial et non reproductible de l'œuvre qui la rendent, aux yeux de l'homme, impérissable. Cependant, si l'œuvre n'est pas impérissable physiquement mais spirituellement, c'est bien qu'il faut des esprits pour l'entretenir. Mais alors quel est le rôle du public, du spectateur, dans la conservation de l'œuvre ? Comment, par quels moyens l'homme peut-il faire en sorte d'entretenir une œuvre d'art pour l'éternité ? Une œuvre d'art n'étant pas d'elle même impérissable, elle le devient spirituellement parlant. Mais qu'est-ce qui lui donne ce côté spirituel ? Cette sacralité ? L'œuvre d'art possède une sorte de vitalité supérieur, elle vit de l'artiste qui selon Bergson, serait une prophète, un visionnaire qui donnerai une vision singulière mais également universelle à travers son œuvre. L'art étant un production de figures qui incarnent des idées, l'œuvre à travers l'actualisation d'idées présentes en chacun de nous. C'est ici que la mémoire du public, du spectateur, prend toute son importance. D'après Racine dans Avant propos : « la réponse c'est chacun de nous qui la donne, y apportant son histoire, son langage, sa liberté ; mais comme histoire, langage et liberté changent infiniment […] on ne cesse jamais de répondre à ce qui a été écrit hors de toute réponse : affirmés, puis mis en réalité, puis remplacés, les sens passent, la question demeure. » l'œuvre d'art serait alors une question au monde que celui-ci ne cesse d'essayer de comprendre et à laquelle il tente de répondre, les réponses se modifiant sans cesse, le spectateur apportant toujours une interprétation nouvelle qui lui est propre, à lui et à son époque. L'œuvre d'art est alors quelque chose de toujours vivant puisqu'elle perdure à travers les âges. D'après Hegel, l'œuvre d'art est une expression de l'esprit, la représentation sensible d'un idée, idée dans le sens d'un idéal, une représentation mentale. Elle est géniale ce qui veut dire qu'elle précède l'idée esthétique qui est, selon Kant dans le paragraphe 49 de La critique de la faculté de juger est : « une représentation de l'imagination qui donne beaucoup à penser ». L'imagination étant la faculté de produire des images qui donne à penser ce avec quoi il y a un rapport rationnel, elle fonctionne pas association d'idées par opposition à la raison qui elle est la faculté de connaître en construisant des rapports entre les choses. L'oeuvre d'art produit une forme qui donne le public à penser pas images, par symbole, ce que la raison ne peut pas connaître. Une œuvre d'art, pour perdurer dans le temps et devenir impérissable doit donc amener le spectateur à ressentir quelque chose, l'âme de l'œuvre fait donc vibrer l'âme du spectateur en réponse à celle-ci. La différence entre l'objet d'usage et l'œuvre d'art est donc évidente dans le sens où l'art, bien que production humaine, est avant tout création originale, création du génie. Elle possède une essence, une âme, une aura qui lui permet de durée dans les esprits au delà de sa durabilité physique. Elle peut donc, grâce à cette aura et au génie de l'artiste, prendre une position spirituelle et amener le public à cultiver cet esprit, cette position spirituelle par le souvenir et l'imagination. C'est donc en la pensée de chacun que se trouve la finalité de l'œuvre d'art, son caractère éternel.
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