Sujet : Le travail s’oppose-t-il à la nature humaine ?
Publié le 17/02/2016
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Sujet : Le travail s’oppose-t-il à la nature humaine ? Le travail est une activité, mais également le résultat de cette activité, ce à quoi elle aboutit. La nature humaine représente l’ensemble des traits qui caractérisent le genre humain. Mais pourquoi il est dans la nature de l’homme de travailler ? Travailler veut dire gagner sa vie et subvenir à ses besoins, mais également dépense d’énergie vitale, perte de temps. Alors comment penser la positivité du travail ? Autant les animaux sont adaptés au milieu naturel, autant l'homme lui est inadapté à ce milieu. L'animal est par nature et sous peine de disparition, adapté au milieu naturel: il dispose des moyens physiques et instinctuels nécessaires à sa survie et le milieu lui offre ce dont il a besoin. Toute inadaptation causée soit par une modification du milieu soit par une mutation se traduit par une disparition rapide de l'espèce. C'est la sélection naturelle des espèces. Or, en ce qui concerne l'homme, une telle adaptation ne s'observe pas. Dans les trois usages du mot culture : l’usage agricole, la formation de l’homme ainsi que culture chinoise, un donné primitif antérieur a été radicalement transformé par un travail. L'homme n'est pas chez lui dans la nature : il a des besoins auxquels il ne peut pas subvenir avec les moyens. L’Homme ne travaille pas pour s’adapter à la Nature, il travaille pour adapter la nature à ses besoins et ainsi assurer sa survie. L'homme est l'être qui produit lui-même ses conditions d'existence parce qu'elles ne sont pas immédiatement présentes dans la nature. C’est le travail qui transforme une clairière en champ, et un inculte en esprit cultivé. Le travail ne laisse pas les choses en l’état mais, en bouleversant un ordre donné, il permet l’émergence et le développement de ce qui était seulement virtuel. En ce sens, le travail est surtout l’activité par laquelle l’homme modifie les processus naturels pour en tirer profit, lui permettant ainsi d’entretenir sa vie, d’assurer sa subsistance. En effet, si la nature est force de croissance, le travail va être l’activité par laquelle l’homme fait croître lui-même les produits naturels dont il a besoin. C’est précisément le sens que l’on retrouve dans le mot « agriculture » : l’homme au lieu d’être soumis aux aléas de ce que produit la terre elle-même, se met à en contrôler les processus, compensant ainsi en partie les inconvénients des intempéries, et allant jusqu’à créer par hybridation de nouvelles espèces végétales et animales plus profitables pour lui, c’est-à-dire plus résistantes, plus productives. C’est ainsi, en travaillant, que l’homme s’affirme contre sa nature animale, il veut la dominer. Le point de vue du travail en tant que tel montre qu’il est nécessaire, donc une contrainte indépassable, mais du point de vue de ce qu'il offre ou permet, il est libérateur: il ne permet pas seulement de subvenir à nos besoins, il nous permet aussi de devenir indépendant à l'égard de la nature, au point d'ailleurs de devenir un danger pour les équilibres écologiques. Le travail constitue une médiation entre la nature et la culture humaine. Il confère à l'homme le statut d'humain, capable de transformer la nature et ainsi de se transformer lui-même continuellement. Cette dialectique met bien en évidence qu'il n'y a pas de nature humaine, ou plutôt, que s'il y a une nature, elle doit se transformer en une culture. Dans cette transformation de la nature par le travail, l'homme se reconnaît et reconnaît sa propre nature ; il y construit sa liberté. Le travail exprime la relation primordiale de l'homme à la nature: pour survivre l'espèce humaine dépend de son milieu naturel, qu'elle transforme pour produire des biens utiles à l'existence des hommes. Aussi en même temps qu'il est le signe de la dépendance ou de la servitude de l'homme, le travail est aussi le remède à cette dépendance, le moyen de son dépassement. L'homme doit travailler, transformer les choses de la nature pour produire des biens utiles à son existence car bien qu'il soit un être naturel comme les autres espèces vivantes, sa façon d'être au monde fait de lui un étranger, un être extérieur à la nature. Or par cette activité de transformation, il va progressivement rendre familier ce qui était étranger, il va donner une forme et une signification à ce qui était informe et dépourvu de sens. Ainsi, en travaillant, l’homme s’humanise et découvre qui il est vraiment. Hegel développa alors cette thématique du travail comme instrument de libération dans sa célèbre "dialectique du maître et de l'esclave". Pour essayer de décrire le mouvement par lequel l'humanité se réalise dans le monde, il imagine la rencontre de deux êtres dotés d'une conscience de soi et désirant s'affirmer dans le monde. Ces deux êtres ne peuvent s'affirmer que dans la confrontation à l'autre, car ils ont besoin de trouver en face d'eux une résistance qui leur permette de s'éprouver comme désir d'affirmation. En ces deux consciences de soi s'engage une lutte à mort. L'homme libre est l'homme qui n'est asservi à aucun déterminisme et plus particulièrement qui n'est pas asservi à la nécessité de survivre. Celui-là acceptera de risquer sa vie dans le combat. L'autre préfère survivre en esclave plutôt que de prendre le risque de mourir. Il choisit donc de se soumettre. Le vainqueur ne tue son prisonnier car celui-ci est le reflet permanent de sa victoire. IL a besoin de la soumission de l'autre pour affirmer sa liberté. Le maître contraint donc l'esclave au travail, pendant que lui profite des agréments de l'existence. L'esclave subvient donc aux besoins du maître : il cultive la terre, entretient le foyer, tisse les vêtements, fabrique les outils et les armes... Le maître ne connaît donc pas les rigueurs du monde matériel. Il a l'esclave pour cela qui s'interpose entre lui et le monde. Mais le maître dont la seule occupation est la guerre, est progressivement gagné par l'oisiveté. Il ne sait plus rien faire et devient dépendant du savoir-faire de l'esclave. Par contre l'esclave, sans cesse occupé à travailler, apprend à connaître la nature, à la maîtriser en utilisant son savoir, et conquiert progressivement une certaine forme de liberté en se découvrant lui-même. Par un retournement dialectique, le travail servile lui rend donc sa liberté : Lui qui par lâcheté avait renoncé à sa liberté, par crainte de mourir, il reconquiert sa liberté en s'affirmant comme une liberté ingénieuse contre la nature, qu'il dompte au moment même où le maître, qui ne sait plus travailler, devient lui en quelque sorte esclave de son esclave. Le travail est ici l'expression de la liberté reconquise, de la redécouverte de soi et de l’affirmation de son identité. Le travail est une nécessité liée à la survie générale de l'espèce humaine. En tant qu'il est nécessaire, il est pour nous une contrainte. Cette contrainte est le plus souvent mal vécue par les individus et lorsqu'ils en ont la possibilité, ils préfèrent s'y soustraire. Mais, si on cherche à s'y soustraire, ce n'est pas seulement parce qu'il est une contrainte, c'est aussi parce qu'on peut le trouver dégradant, indigne de soi, incompatible avec la dignité l'homme libre, contraire à la destination de l'homme. Telle était du moins la conception que les Grecs avaient du travail : une activité bonne pour un être qui par nature ne pouvait pas prétendre à l'exercice d'une activité pus noble. Car, contrairement à une idée répandue, si les Grecs ne travaillaient pas, ce n'était pas parce qu'ils avaient des esclaves pour faire le travail à leur place, mais c'était bien plutôt parce que le travail était tenu pour une activité sans noblesse, sans intérêt, seulement tournée vers la subsistance physique ou vers le gain financier qu'il était réservé aux esclaves. Si en effet, ils avaient jugés le travail comme étant une activité enrichissante, qui permet l'accomplissement de soi, ils auraient travaillés et empêcher les esclaves de le faire. Parmi l'ensemble des activités ou des actions qui requièrent le corps, Aristote distingue la praxis de la poiésis. La praxis (ou action au sens strict) correspond aux actes politiques et moraux, tous les actes qui ont pour fin l'accomplissement d'un bien quelconque, et la poiésis correspond aux activités productives, au travail compris comme production de valeur d'usage, de biens et de services utiles à la vie. C’est la fin de l'action, de l'acte qui distingue les deux types d’activités. La finalité de l'action, de la praxis est interne à l'action, elle n'est pas séparable de l'action: « Le fait de bien agir est le but même de l'action». On peut dire aussi que le but de l'action est interne à l'agent, à celui qui agit. Donc la pratique régulière de certaines actions qui ont leurs fins en elles-mêmes ne permettent pas simplement d'accomplir ces actions, mais en outre et surtout permet de rendre ce type d'action plus aisé, plus facile, plus spontané. Elles ont des effets sur l'agent. Par exemple, c'est en répétant des gestes précis que le sportif ou l'instrumentiste finissent par les accomplir de manière spontanée, de manière "naturelle", aisée, qui semble sans effort. Comme le dit Aristote, on a affaire à une série d'actes qui crée une puissance, celle de les accomplir sans effort. En somme, par la praxis, on peut se transformer et de telle sorte que cette transformation nous rende plus estimable, plus digne, plus excellent. En général, il est possible de devenir vertueux, c'est-à-dire exceller dans un domaine quelconque ou comme homme par la praxis. C'est du côté de la pratique que l'on peut espérer une humanisation, un accomplissement de soi. Cette idée nous la retrouvons paradoxalement dans le travail sur soi, qui est bien une activité par laquelle on se transforme soi-même par des exercices qu'ils soient intellectuels ou physiques. Le paradoxe, c'est que l'on emploie le mot travail pour ce qui est pour Aristote le contraire du travail puisque la fin de l'action se trouve dans le cas du travail sur soi en nous et non hors de nous. A l'inverse, la production, parce qu'elle a une fin extérieure à celui qui agit et à son action n'a aucun effet sur lui. Elle est une pure dépense d'énergie, et de surcroît, une dépense qui doit sans cesse être répétée puisque les mêmes besoins ne cessent pas de se faire sentir et d'exiger d'être satisfaits. Elle n'apporte rien humainement à celui qui travaille et elle lui fait perdre sa vie à l'entretenir. On peut donc soutenir que le travail est une activité qui fait perdre son temps et sa vie et qu'il est donc une activité qui non seulement peut-être en elle-même pénible, mais qui de surcroît ne rend pas plus accompli, meilleur, plus digne, plus estimable, plus heureux donc celui qui l'accomplit. La vie est ailleurs, dans la praxis et non dans le travail. Ce qui rejoint une remarque de Arendt, comme quoi le travail n'a pour but que d'assurer la satisfaction des besoins sans cesse renaissants tandis que l'action elle n'est liée à aucune nécessité biologique ou sociale, n'est pas soumise à des impératifs vitaux. Comme le démontre également Karl Marx, au travail l’homme aliéné perd le sens de sa vie, il n’est plus libre. Il perd de vue le fruit du travail. Le travail ne lui sert qu’à faire survivre sa force de travail, et de ce fait l’homme aliéné revient au stade animal. Travailler est donc le seul moyen pour l’homme d’assurer sa survie, même si cela lui contraint à arracher sa subsistance à une Nature marâtre par tous les moyens de l’artifice technique. La vie a été donnée à l’Homme, et travailler représente le droit de rester en vie il faut donc qu’il l’entretienne, la conserve. Pourtant, en travaillant, l’homme consume sa vie, dans le sens où tout travail est d’abord inévitablement une dépense d’énergie. Heureusement, même si le travail est aliénation, il permet aussi à l’homme de progresser et de se découvrir lui-même.
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