Bérénice Acte II scène 4 - analyse littéraire
Publié le 21/09/2018
Extrait du document
Bérénice Acte II scène 4
Introduction : Bérénice a été créée en 1670 après Britannicus dont l’intrigue est complexe et Racine veut faire une pièce au sujet extrêmement simple. Titus, successeur de Vespasien qui vient de mourir, s’apprête à épouser Bérénice, la reine de Judée. Mais devenu empereur, il ne peut, selon les lois de Rome, se marier avec une reine étrangère. Tout au long de la pièce, nous assistons aux hésitations, aux espérances, aux craintes et au désespoir des personnages.
A l’acte II scène 2, Titus a dit à Paulin qu’il aimait profondément Bérénice mais que la décision de se séparer de Bérénice était prise depuis la mort de son père. Il s’agit ici de l’acte II scène 4 et nous sommes témoin d’une des rares entrevues entre Titus et Bérénice. La reine attend un aveu d’un amour réciproque alors que le spectateur sait déjà qu’il ne peut en être ainsi.
Une entrevue passionnée :
Une femme amoureuse
Elle commence par une entrée en matière respectueuse s’excusant de son intrusion par une tournure négative v 557 « ne vous offensez pas » mais très vite la plainte affleure
insiste sur le nombre de ses attentions envers elle par l’enjambement du v 559 sur le v 560 mais le verbe est au passé composé ce qui marque une époque déjà révolue
nombreuses structures syntaxiques qui font se mêler « moi » et « vous » par ex v 566, 567, 568 « vous restez seul enfin et ne me cherchez pas » mais qui montrent aussi les difficultés de communication.
Elle parle d’amour « amour » v 571, 573 et affirme cet amour « tout ce que j’adore » v 612. Elle n’est plus qu’un « cœur » par la métonymie du v 577. Mais elle parle aussi de son « trouble » et son « tourment » v 613
Elle quémande de l’attention et de l’affection
elle constate sa froideur avec le rythme binaire v 562 « sans voix et sans ressentiment »
le manque de communication directe par l’opposition « j’entends / ne puis vous entendre » v 567, 568 et par tout un voc de la parole qui n’a pas lieu « mot, bouche, dire, parliez, discours ». On voit aussi le reproche avec la rime antithétique « ardeur / froideur » v 589-590
ce qu’elle désire est marqué par la gradation v 576 « un soupir, un regard, un mot » et la diérèse sur « ambition » v577.
elle veut simplement le voir avec l’antithèse entre « rien » et « tout » v 578
elle se demande ce qui peut bien se passer avec de nombreux connecteurs inverseurs « mais » v 563, 582, 603 qui montrent la froideur de Titus
elle veut être rassurée au v 569 par la phrase nominale et l’antithèse « plus de repos, seigneur, et moins d’éclat »
Un Titus embarrassé
En effet Titus parle peu : 10 vers sur 66 alors que Bérénice multiplie les questions (17 points d’interrogation en fin de vers). Les points de suspension v 595 et 623 montrent aussi ses difficultés à parler.
Il tente maladroitement de la rassurer v 585 « n’en doutez point madame / Bérénice est toujours présente à mes yeux ». Il parle de Bérénice à la troisième personne marquant une distance également visible par l’opposition « présente / absence » v 586, 587, distance physique qui a été installée dès le début de la pièce puisque Bérénice se plaint de n’avoir pas vu Titus depuis « huit jours » v 580.
Il a jusqu’ici évité d’approcher Bérénice se réfugiant derrière sa nouvelle fonction avec un voc de l’état « sénat » v 570, « Empire » v 579, « Rome » v604.
Il souhaiterait que son père soit encore vivant pour n’avoir pas à régner marqué par l’imparfait du subjonctif v 600-601 « Plût au ciel que mon père, Hélas ! vécût encore ! Que je vivais heureux ! ». En effet, il pouvait s’aveugler, croire qu’il pourrait épouser Bérénice, mais maintenant cela n’est plus possible. Il a brusquement compris les exigences de sa « gloire » v604, gloire qui fait qu’il doit être parfaitement en accord avec les règles de l’Etat et ne pas faire passer sa vie personnelle en premier : il ne peut pas commencer son règne en changeant les lois. Or il ne parvient pas à le dire à Bérénice.
Les prémices d’une rupture annoncée
l’abnégation d’une reine
Bérénice a tout donné à Titus et son abnégation est sans limite. Elle a toujours été là « Bérénice autrefois pouvait vous consoler » v 606
Elle ose à peine le mentionner « de mon propre intérêt je n’ose vous parler » v 605 et pourtant elle a « tout sacrifié » v 609 mis en valeur par la diérèse.
Le voc employé « malheur, persécutée, sacrifié, pleurs » montre qu’elle a beaucoup enduré pour Titus et que celui-ci semble bien ingrat
La longue suite de questions indique bien par 6 négations que Titus ne fait rien et ne dit rien par ex V 566, 578, 597 alors que l’anaphore de « moi » v 611, 613 et 615 montre que sa douleur n’est rien à côté de la sienne. D’ailleurs, pour le faire réagir, elle parle de sa mort probable au conditionnel v 615 « moi, qui mourrais le jour qu’on voudrait m’interdire »
Un passage fondé sur un quiproquo : Bérénice pense que Titus est contrarié par son deuil « mais vos pleurs ont assez honoré sa mémoire » v 603 « vous regrettez un père » v 610, alors que le spectateur sait qu’il n’en est rien.
Titus n’a rien à reprocher à Bérénice et lui avoue son affection « ce cœur qui vous adore » v588 ou « mon cœur de plus de feu ne se sentir brûler » v 622
le tragique de la situation
l’interjection « hélas » propre au registre tragique apparaît trois fois : annonciateur d’une entrevue compliquée v 569, indicateur d’une liaison qui s’enlise, mis en valeur à la césure du v 610 et symptomatique d’une impasse v 624, lorsque Titus ne peut parler.
Même la dernière phrase de Titus est négative « je ne puis rien lui dire »v 623. Titus est aphasique et part. C’est donc un entretien particulier duquel rien ne sort. Il s’agit d’un dialogue de sourd.
La fin de l’extrait utilise la stichomythie et montre bien le malaise de la scène : Bérénice pousse Titus dans ses retranchements avec les impératifs « achevez, parlez » v 623
Titus ne peut répondre que de manière évasive « Rome…l’Empire » v 623 : deux mots qui sont lourds de sens pour le spectateur mais qui n’explique rien pour Bérénice. Il lui dit pourtant qu’il va choisir Rome et sa gloire plutôt que son amour.
Titus tente de faire comprendre à Bérénice un enjeu qui les dépasse tous les deux : le tragique de la situation fait que la vie doit les séparer « invitus, invitam » (malgré lui, malgré elle) selon les mots de l’historien latin Suétone. Titus se déprécie volontairement et dit qu’il est « un ingrat » v 618, un être qui n’est pas digne de gratitude, de reconnaissance ou de confiance et Titus la somme de ne plus le considérer comme un honnête homme sûr de leur avenir : il ne mérite pas tant de bontés avec l’impératif « de grâce, arrêtez » qui tend à supplier.
Conclusion : Il s’agit donc d’une scène toute en tension où le rythme des répliques s’accélère et qui donne l’impression que l’étau se resserre autour de Titus qui semble ne plus pouvoir se dérober aux questions insistantes de Bérénice. L’échange final oppressant provoque l’aphasie de Titus et sa brusque sortie. Bérénice est incapable de deviner l’évolution de Titus et sa transformation irréversible. Elle n’est plus l’amoureuse sûre de son bonheur et est profondément destabilisée.
Cette pièce est originale car elle ne donne lieu à aucune mort, mais Racine veut montrer sa fidélité aux règles de la tragédie en parlant de mort morale car il faudra que Titus et Bérénice vivent déchirés loin l’un de l’autre, lorsque Titus aura enfin parlé, contraint par une loi qui le dépasse.
«
Bérénice a tout donné à Titus et son abnégation est sans limite.
Elle a toujours été là « Bérénice autrefois pouvait vous consoler » v 606
Elle ose à peine le mentionner « de mon propre intérêt je n’ose vous parler » v 605 et pourtant elle a « tout sacrifié » v 609 mis en valeur par la
diérèse.
Le voc employé « malheur, persécutée, sacrifié, pleurs » montre qu’elle a beaucoup enduré pour Titus et que celui- ci semble bien ingrat
La longue suite de questions indique bien par 6 négations que Titus ne fait rien et ne dit rien par ex V 566, 578, 597 alors que l’anaphore de « moi »
v 611, 613 et 615 montre que sa douleur n’est rien à côté de la sienne.
D’ailleurs, pour le faire réagir, elle parle de sa mort probable au conditionnel v
615 « moi, qui mourrais le jour qu’on voudrait m’interdire »
Un passage fondé sur un quiproquo : Bérénice pense que Titus est contrarié par son deuil « mais vos pleurs ont assez honoré sa mémoire » v 603
« vous regrettez un père » v 610, alors que le spectateur sait qu’il n’en est rien.
Titus n’a rien à reprocher à Bérénice et lui avoue son affection « ce cœur qui vous adore » v588 ou « mon cœur de plus de feu ne se sentir brûler »
v 622
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le tragique de la situation
l’interjection « hélas » propre au registre tragique apparaît trois fois : annonciateur d’une entrevue compliquée v 569, indicateur d’une liaison qui
s’enlise, mis en valeur à la césure du v 610 et symptomatique d’une impasse v 624, lorsque Titus ne peut parler.
Même la dernière phrase de Titus est négative « je ne puis rien lui dire »v 623.
Titus est aphasique et part.
C’est donc un entretien particulier duquel
rien ne sort.
Il s’agit d’un dialogue de sourd.
La fin de l’extrait utilise la stichomythie et montre bien le malaise de la scène : Bérénice pousse Titus dans ses retranchements avec les impératifs
« achevez, parlez » v 623
Titus ne peut répondre que de manière évasive « Rome…l’Empire » v 623 : deux mots qui sont lourds de sens pour le spectateur mais qui
n’explique rien pour Bérénice.
Il lui dit pourtant qu’il va choisir Rome et sa gloire plutôt que son amour.
Titus tente de faire comprendre à Bérénice un enjeu qui les dépasse tous les deux : le tragique de la situation fait que la vie doit les séparer « invitus,
invitam » (malgré lui, malgré elle) selon les mots de l’historien latin Suétone.
Titus se déprécie volontairement et dit qu’il est « un ingrat » v 618, un
être qui n’est pas digne de gratitude, de reconnaissance ou de confiance et Titus la somme de ne plus le considérer comme un honnête homme sûr
de leur avenir : il ne mérite pas tant de bontés avec l’impératif « de grâce, arrêtez » qui tend à supplier.
Conclusion : Il s’agit donc d’une scène toute en tension où le rythme des répliques s’accélère et qui
donne l’impression que l’étau se resserre autour de Titus qui semble ne plus pouvoir se dérober aux
questions insistantes de Bérénice.
L’échange final oppressant provoque l’aphasie de Titus et sa brusque
sortie.
Bérénice est incapable de deviner l’évolution de Titus et sa transformation irréversible.
Elle n’est plus
l’amoureuse sûre de son bonheur et est profondément destabilisée.
Cette pièce est originale car elle ne donne lieu à aucune mort, mais Racine veut montrer sa fidélité
aux règles de la tragédie en parlant de mort morale car il faudra que Titus et Bérénice vivent déchirés loin
l’un de l’autre, lorsque Titus aura enfin parlé, contraint par une loi qui le dépasse..
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