BAUDELAIRE - Voyage
Publié le 08/05/2015
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Marion THOMASMardi 6 novembre 2012 L2 LMO Baudelaire - Les Fleurs du mal « Voyage » En 1841, alors âgé de vingt ans, le jeune Baudelaire est poussé par sa famille à embarquer sur le Paquebot-des-mers-du-sud et se dirige ainsi vers l'Île Maurice. Ce dernier ressent ce voyage comme un exil. Cependant, il en garda des images exotiques qui alimenteront sa poésie et seront source d'inspiration pour « L'Albatros », « A une dame créole » ou encore « La Vie antérieure » Le thème du voyage est traditionnel dans la littérature quand il est initiatique. Ici, Baudelaire en démontre la vanité et clôture son oeuvre Les Fleurs du mal par le poème « Voyage » qui marque l'aboutissement du parcours mené par le poète. Après avoir songé à toutes les solutions envisageables pour « échapper au spleen et atteindre l'idéal » une seule issue reste possible : la mort (nom et thème développé dans la dernière partie du recueil). Dans les premières sections, I à VI, Baudelaire énumère les raisons qui poussent les hommes à partir en voyage mais, dans les parties VII et VIII, le poète constate l'échec qui résulte de cette expérience. En étudiant les deux dernières parties du poème « Voyage », nous nous demanderons quelle conception Baudelaire se fait de celui-ci. Pour commencer, nous appréhenderons l'idée d'une certaine échappatoire émergente, puis nous remarquerons l'aspect illusoire que prend le voyage et, pour conclure, nous mettrons en évidence la mort comme ultime expérience. Pour Charles Baudelaire, le voyage semble être un moyen de s'échapper de ce monde qui ne lui convient pas ou plus ; il nous en informe dès le début du poème « Le monde, monotone et petit, aujourd'hui », mais il ne parvient cependant pas à s'en détacher. L'échec est flagrant. Le champ lexical que l'on y trouve est négatif, en particulier dans les trois premières strophes, et, généralement, les termes employés sont mis en avant de par leur disposition : « Amer » est placé en tête de vers, l'expression « monotone et petit » se trouve au centre. De plus, le premier terme est un paronyme de « monde » qui se situe juste avant. L'expression marque également la déception et l'évolution des idées du poète car dans la partie I du poème, vers 3, Baudelaire s'exclamait que « le monde est grand à la clarté des lampes ! ». Nous retrouvons, au vers 4, un oxymore « une oasis d'horreur dans un désert d'ennui ! » ; l'oasis est normalement vue comme un endroit fertile au milieu du désert, grâce à un point d'eau, un refuge, un endroit agréable dans un environnement qui l'est moins, mais aussi, au sens figuré, comme un moment paisible au sein d'une situation pénible, rien ne l'associe théoriquement à l'horreur. Nous retrouvons également plus loin des termes tels que « funeste » (vers 7) « infâme » (vers 11) « tuer » (vers 12) « funèbre » (vers 19) « spectre » (vers 25) « noirs » (vers 30) « poison » (vers 32) « feu » (vers 31) et « gouffre » (vers 32). Tout démontre que Baudelaire ne supporte plus le monde dans lequel il vit et qu'il se doit d'entreprendre un voyage plus important. Au vers 13, ce dernier exprime son empressement « Lorsque, enfin, il mettra le pied sur notre échine, Nous pourrons espérer et crier : En avant ! » Le sujet « il » dans ce vers désigne « le rétiaire infâme » évoqué précédemment dans le poème ; il s'agit d'un type de gladiateur qui combattait armé d'un filet plombé, d'un poignard et d'un trident. Son manque de protection était compensé par son agilité et sa vitesse. Nous pouvons supposer qu'il représente la mort personnifiée qui viendrait chercher ce « nous » utilisé tout le long du poème, « nous » de majesté ou bien « nous » représentant Baudelaire et les voyageurs l'escortant, ce « nous » attendant ce rapt avec impatience, d'où l'utilisation du verbe « espérer » . Le voyage est une quête de vérité, de paix, d'immortalité dans la recherche et la découverte d'un centre spirituel. Il exprime un désir profond de changement intérieur, un besoin d'expériences nouvelles. Selon Jung (médecin, psychiatre, psychologue et essayiste suisse du XIXème siècle), le voyage témoigne d'une insatisfaction qui pousse à la recherche et à la découverte de nouveaux horizons. La recherche n'est, au fond, qu'une quête et, le plus souvent, une fuite de soi. Le voyage devient alors le signe et le symbole d'un perpétuel refus de soi-même. Baudelaire énonce souvent une vision du bonheur, mais celui-ci ne peut se trouver ailleurs que dans ses songes. Grâce à différents procédés, le poète parvient à rendre cet échec singulièrement émouvant. La construction strophique ne correspond pas toujours à la construction syntaxique ; de ce fait, les vers sont déstructurés. Les exclamations montrent l'émoi du poète « Le Temps ! Il est, hélas ! Des coureurs sans répit » (vers 8), le vers est disloqué par le désaccord entre les groupes rythmiques et les groupes de sens, le rejet produisant toujours cet effet, l'ordre normal étant abandonné dans un souci d'expressivité : ici, c'est « le Temps » qui est à l'enjambement, c'est à dire qui déborde du groupement de la phrase par rapport à celui du mètre. De plus, deux sons se rencontrent et l'effet est accentué par l'expiration du « h » : il s'agit du son « é » de « il est » et « hélas » (qui se trouve à l'hémistiche du vers). Ce hiatus exprime moins la souffrance que la mélancolie et l'angoisse. Le poète ne sait que faire « Faut-il partir ? Rester ? Si tu peux rester, reste ; Pars s'il le faut. » (vers 5 - 6) ; l'hésitation entre les rythmes binaires et les rythmes décroissants marque la décision, mais celle-ci est de courte durée car le retour à l'indécision et à l'agitation revient très vite en laissant ensuite place à un calme apparent. Baudelaire démontre que le voyage n'est qu'une illusion. Partout la conscience se bute à des limites. « Rester » semble être sensé et « partir » ne doit être envisagé que si rester s'avère être trop difficile. Il y a une gradation entre les verbes pouvoir et falloir. Le premier reflète une possibilité tandis que le second renvoie à une nécessité. De plus, ce vers possède un polyptote, le verbe « rester » est répété sous différentes formes. L'effet visé est souvent lyrique mais on peut aussi l'utiliser pour créer une insistance sur une qualité ou, comme ici, sur un aspect temporel. Le Temps décrit souvent le cycle de la vie, il symbolise une limite dans la durée et la distinction la plus sentie d'avec le monde de l'Au-delà. Il fait peur mais crée un paradoxe car celui-ci fascine simultanément. Ici, le Temps est une allégorie et est matérialisé comme étant un « ennemi vigilant et funeste » (vers 7), il apporte le malheur et donc la mort. Baudelaire exprime alors sa tristesse devant des voyageurs compulsifs, inapaisés, qui cherchent à le fuir et qui se consument intérieurement d'un feu maudit, « juif errant » (vers 9), ou prosélyte, « les apôtres » (vers 9), personnages qui ne peuvent trouver le repos. Baudelaire fait essentiellement référence à des personnages mythiques ou légendaires, ce qui a pour effet de renforcer l'aspect illusoire du poème. Il est tout d'abord question du « juif errant ». Cet être fait son apparition dès le XIIIème siècle ; il s'agit d'un cordonnier juif condamné à l'errance perpétuelle pour avoir refusé un instant de repos au Christ portant la croix. Il se voit donc obligé de parcourir le monde, son corps se renouvelant à chaque siècle. C'est un personnage dramatique et tragique, il incarne le peuple déicide. Il sert, comme ici, de prétexte poétique pour des complaintes et des ballades. A celui-ci s'opposent « les apôtres », ils étaient douze et tous disciples du Christ, chacun chargés de prêcher l'Evangile. Les « coureurs sans répit » (vers 8) sont comparés à ces hommes qui pourraient être assimilés comme des antonymes tant leurs rapports vis à vis du Christ, qui dicteront le reste de leur vie, sont opposés. A ces personnages mythiques s'ajoute celui de Pylade, le poète en fait une antonomase, « Nos Pylades là-bas tendent leurs bras vers nous. » (vers 26). D'après la mythologie grecque, ce dernier était le cousin d'Oreste. L'amitié qui lie les deux héros est si fidèle qu'elle en deviendra proverbiale. Pylade est, par ailleurs, le mari d'Electre, soeur de son ami. Celle-ci est également évoquée dans ce poème, « Pour rafraîchir ton coeur, nage vers ton Electre ! » et représente la figure de l'éternelle endeuillée, morte vivante qui ne s'est jamais séparée de son père mort. L'auteur mentionne brièvement L'Odyssée d'Homère et s'emploie, par deux éléments, à faire le parallèle avec le voyage d'Ulysse : le chant des sirènes « Entendez-vous ces voix, charmantes et funèbres » (vers 19), leur voix, bien que ravissante, n'apporte que la mort (Odyssée, Chant 12 : « D'abord tu rencontreras les Sirènes, séductrices de tous les hommes qui s'approchent d'elles : celui qui, poussé par son imprudence, écoutera la voix des Sirènes, ne verra plus son épouse ni ses enfants chéris qui seraient cependant charmés de son retour ; les Sirènes couchées dans une prairie captiveront ce guerrier de leurs voix harmonieuses. Autour d'elles sont les ossements et les chairs desséchées des victimes qu'elles ont fait périr. ») et le séjour chez le peuple mangeur de lotus, les lotophages « Le Lotus parfumé ! C'est ici qu'on vendange les fruits miraculeux dont votre coeur a faim » (Odyssée, Chant 9 : « Mes gens, ayant goûté à ce fruit doux comme le miel, ne voulaient plus rentrer nous informer mais ne rêvaient que de rester parmi ce peuple et, gorgés de lotus, ils en oubliaient le retour. ») Comme nous avons pu le voir précédemment, la mort est attendue avec hâte par Baudelaire. La dernière partie du poème « Voyage » s'avère être la concrétisation de son attente. Elle est présentée comme une sorte d'ode en l'honneur de cette « Mort », figure allégorique, tant désirée. Nous retrouvons deux fois la particule vocative « Ô », employée lorsqu'on s'adresse à une divinité ou un élément personnifié. Le poète s'adresse dès le début directement à la mort avec une sorte de familiarité « Ô Mort, vieux capitaine » (vers 29), la tutoyant comme une vieille amie. Un voyage est évoqué dans le poème, celui que le poète aurait fait jusqu'en Chine « De même qu'autrefois nous partions pour la Chine » (vers 15) peut-être lorsqu'il était jeune, d'où l'excitation qui en ressort due à la nouvelle expérience qu'est celle de partir loin de tout. Baudelaire le compare à l'ultime voyage qu'il s'apprête à faire « avec le coeur joyeux d'un jeune passager » (vers 18) ; il ressent le même sentiment, comme s'il s'agissait d'une seconde première fois. Cet engouement s'oppose à « la mer des Ténèbres » évoquée au vers précédent. Il s'agit du nom médiéval de l'Océan Atlantique, inaccessible aux marins de l'époque car il était trop dangereux. Le poète y va sans crainte, ignorant ses dangers. Il est prêt à embarquer dans le bateau piloté par la Mort « il est temps ! Levons l'ancre ! » (vers 29) Tout est à présent sombre dans le monde qui entoure Baudelaire « Si le ciel et la mer sont noirs comme de l'encre » (rime avec l'homonyme « ancre »). L'encre peut renvoyer à l'encre de Chine, échos au premier voyage du poète, ou bien à l'encre lui permettant d'écrire mais aussi à l'encre de la mélancolie, la bile noire : le spleen. Cette noirceur s'oppose à « nos coeurs que tu connais sont remplis de rayons ! » (vers 32). Les voyageurs sont heureux et joyeux, n'ont pas peur de ce qui va leur arriver. Pourtant rien de bon ni d'agréable ne semble les attendre. Le deuxième et dernier quatrain qui compose cette partie VIII du poème est l'aboutissement de la vie. Les voyageurs réclament à la Mort du « poison » afin de les réconforter et ils souhaitent « plonger au fond du gouffre » (vers 34). Ce sont habituellement des éléments craints par les hommes et non pas désirés. Cependant, pour eux, la vie apparaît comme une terrible souffrance « tant ce feu nous brûle le cerveau » (vers 33) à tel point que ce qui peut nous sembler douloureux leur est attrayant. Il n'est pas question dans cette fin d'une mort chrétienne « Enfer ou Ciel, qu'importe ? » (vers 34) leur destination leur est égale tant qu'ils peuvent quitter la terre et découvrir quelque chose d'inédit « Au fond de l'Inconnu pour trouver du nouveau » (vers 35), qui semble être une action attrayante et séduisante. La Mort n'est donc pas effrayante car elle n'est peut-être pas une fin en soi mais le début d'une autre vie, meilleure soit-elle. Baudelaire cherche à montrer et expliquer les raisons pour lesquelles la mort est ce qu'il y a de préférable dans la vie ; il a une vision positive de celle-ci pour une destinée négative. Au terme de cette étude, il apparaît clairement que Baudelaire nous invite à le suivre dans ce « Voyage » qui est sans retour. Tout lui semble décevant sur cette terre qui ne lui ressemble et ne lui convient plus. Le besoin de fuir est plus fort que tout. Le fait que le poète clôture son oeuvre Les Fleurs du mal par la section « La Mort » n'est pas anodin. Ce poème a toute son importance. Le dernier texte du recueil est le point d'aboutissement du poète mais aussi celui du lecteur. C'est exactement là que Baudelaire voulait nous conduire, la mort est matérialisée à travers la métaphore du voyage tout au long de ce poème. Le philosophe latin Sénèque a dit « Toute la vie n'est qu'un voyage vers la mort ».
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