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bac blanc

Publié le 17/02/2015

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BACCALAURÉAT GÉNÉRAL Session 2006 ÉPREUVE DE FRANÇAIS SÉRIE L Durée de l'épreuve : 4 heures Coefficient : 3 L'usage des calculatrices est interdit. Objets d'étude : Théâtre : texte et représentation. Convaincre, persuader, délibérer. Le sujet comprend : Texte A : Marivaux, L'île des esclaves (1725), scène 1 et scène 2 (extrait) Texte B : Jean Anouilh, Antigone (1944), extrait Texte C : Jean-Paul Sartre, Les Mains sales (1947), 6ème tableau, scène 2 (extrait) Texte D : Bernard-Marie Koltès, Le Retour au désert (1988), extrait Le candidat s'assurera qu'il est en possession du sujet correspondant à sa série. Texte B - Jean Anouilh (1910-1987), Antigone (1944) [?dipe a eu deux fils, Etéocle et Polynice, ainsi que deux filles, Antigone et Ismène. A sa mort ses deux fils se sont entretués pour prendre le pouvoir. Leur oncle, Créon, refuse d'enterrer Polynice qu'il considère comme un traître. Antigone décide de lui rendre malgré tout les honneurs funèbres. Ismène tente de l'en dissuader.] ISMÈNE - Tu sais, j'ai bien pensé, Antigone. ANTIGONE - Oui. ISMÈNE - J'ai bien pensé toute la nuit. Tu es folle. ANTIGONE - Oui. ISMÈNE - Nous ne pouvons pas. ANTIGONE, après un silence, de sa petite voix. - Pourquoi ? ISMÈNE - II1 nous ferait mourir. ANTIGONE - Bien sûr. A chacun son rôle. Lui, il doit nous faire mourir, et nous, nous devons aller enterrer notre frère. C'est comme cela que ç'a été distribué. Qu'est-ce que tu veux que nous y fassions ? ISMÈNE - Je ne veux pas mourir. ANTIGONE, doucement - Moi aussi j'aurais bien voulu ne pas mourir. ISMÈNE - Écoute, j'ai bien réfléchi toute la nuit. Je suis l'aînée. Je réfléchis plus que toi. Toi, c'est ce qui te passe par la tête tout de suite, et tant pis si c'est une bêtise. Moi, je suis plus pondérée. Je réfléchis. ANTIGONE - Il y a des fois où il ne faut pas trop réfléchir. ISMÈNE - Si, Antigone. D'abord c'est horrible, bien sûr, et j'ai pitié moi aussi de mon frère, mais je comprends un peu notre oncle. ANTIGONE - Moi je ne veux pas comprendre un peu. ISMÈNE - Il est le roi, il faut qu'il donne l'exemple. ANTIGONE - Moi, je ne suis pas le roi. Il ne faut pas que je donne l'exemple, moi... Ce qui lui passe par la tête, la petite Antigone, la sale bête, l'entêtée, la mauvaise, et puis on la met dans un coin ou dans un trou. Et c'est bien fait pour elle. Elle n'avait qu'à ne pas désobéir ! ISMÈNE - Allez ! Allez !... Tes sourcils joints, ton regard droit devant toi et te voilà lancée sans écouter personne. Écoute-moi. J'ai raison plus souvent que toi. ANTIGONE - Je ne veux pas avoir raison. ISMÈNE - Essaie de comprendre au moins ! ANTIGONE - Comprendre... Vous n'avez que ce mot-là dans la bouche, tous, depuis que je suis toute petite. II fallait comprendre qu'on ne peut pas toucher à l'eau, à la belle eau fuyante et froide parce que cela mouille les dalles, à la terre parce que cela tache les robes. II fallait comprendre qu'on ne doit pas manger tout à la fois, donner tout ce qu'on a dans ses poches au mendiant qu'on rencontre, courir, courir dans le vent jusqu'à ce qu'on tombe par terre et boire quand on a chaud et se baigner quand il est trop tôt ou trop tard, mais pas juste quand on en a envie ! Comprendre. Toujours comprendre. Moi, je ne veux pas comprendre. Je comprendrai quand je serai vieille. (Elle achève doucement.) Si je deviens vieille. Pas maintenant. 1.Créon. Texte A - Marivaux (1688-1763), L'île des esclaves (1725) 5 10 15 20 25 30 Scène 1 [La scène se passe sur une île ; Iphicrate, citoyen d'Athènes, vient d'y être jeté par la tempête en compagnie de son esclave Arlequin. Ils sont apparemment les seuls survivants du naufrage. Nous sommes dans une antiquité de convention.] IPHICRATE. Eh ! ne perdons point de temps, suis-moi, ne négligeons rien pour nous tirer d'ici ; si je ne me sauve, je suis perdu, je ne reverrai jamais Athènes, car nous sommes dans l'Île des Esclaves. ARLEQUIN. Oh, oh! Qu'est-ce que c'est que cette race-là ? IPHICRATE. Ce sont des esclaves de la Grèce révoltés contre leurs maîtres, et qui depuis cent ans sont venus s'établir dans une île, et je crois que c'est ici : tiens, voici sans doute quelques-unes de leurs cases ; et leur coutume, mon cher Arlequin, est de tuer tous les maîtres qu'ils rencontrent, ou de les jeter dans l'esclavage. ARLEQUIN. Eh ! chaque pays a sa coutume ; ils tuent les maîtres, à la bonne heure, je l'ai entendu dire aussi, mais on dit qu'ils ne font rien aux esclaves comme moi. IPHICRATE. Cela est vrai. ARLEQUIN. Eh ! encore vit-on. IPHICRATE. Mais je suis en danger de perdre la liberté, et peut-être la vie ; Arlequin, cela ne te suffit-il pas pour me plaindre ? ARLEQUIN, prenant sa bouteille pour boire. Ah! je vous plains de tout mon c?ur, cela est juste. IPHICRATE. Suis-moi donc. ARLEQUIN siffle. Hu, hu, hu. IPHICRATE. Comment donc, que veux-tu dire ? ARLEQUIN, distrait, chante. Tala ta lara. IPHICRATE. Parle donc, as-tu perdu l'esprit, à quoi penses-tu ? ARLEQUIN, riant. Ah ! ah ! ah ! Monsieur Iphicrate, la drôle d'aventure ; je vous plains, par ma foi, mais je ne saurais m'empêcher d'en rire. 35 40 45 50 55 60 65 70 IPHICRATE, à part les premiers mots. Le coquin abuse de ma situation, j'ai mal fait de lui dire où nous sommes. Arlequin, ta gaieté ne vient pas à propos, marchons de ce côté. ARLEQUIN. J'ai les jambes si engourdies. IPHICRATE. Avançons, je t'en prie. ARLEQUIN. Je t'en prie, je t'en prie ; comme vous êtes civil1 et poli ; c'est l'air du pays qui fait cela. IPHICRATE. Allons, hâtons-nous, faisons seulement une demi-lieue sur la côte pour chercher notre chaloupe, que nous trouverons peut-être avec une partie de nos gens ; et en ce cas-là, nous nous rembarquerons avec eux. ARLEQUIN, en badinant. Badin2, comme vous tournez cela ! Il chante. L'embarquement est divin. Quand on vogue, vogue, vogue, L'embarquement est divin. Quand on vogue avec Catin3. IPHICRATE, retenant sa colère. Mais je ne te comprends point, mon cher Arlequin. ARLEQUIN. Mon cher patron, vos compliments me charment ; vous avez coutume de m'en faire à coups de gourdin qui ne valent pas ceux-là, et le gourdin est dans la chaloupe. IPHICRATE. Eh ! ne sais-tu pas que je t'aime ? ARLEQUIN. Oui, mais les marques de votre amitié tombent toujours sur mes épaules, et cela est mal placé. Ainsi tenez, pour ce qui est de nos gens, que le ciel les bénisse ; s'ils sont morts, en voilà pour longtemps ; s'ils sont en vie, cela se passera, et je m'en goberge4. IPHICRATE, un peu ému. Mais j'ai besoin d'eux, moi. ARLEQUIN, indifféremment. Oh! cela se peut bien, chacun a ses affaires ; que je ne vous dérange pas ! IPHICRATE. Esclave insolent ! 75 80 85 90 95 100 ARLEQUIN, riant. Ah ! ah ! vous parlez la langue d'Athènes, mauvais jargon que je n'entends5 plus. IPHICRATE. Méconnais-tu ton maître, et n'es-tu plus mon esclave ? ARLEQUIN, se reculant d'un air sérieux. Je l'ai été, je le confesse à ta honte ; mais va, je te le pardonne : les hommes ne valent rien. Dans le pays d'Athènes j'étais ton esclave, tu me traitais comme un pauvre animal, et tu disais que cela était juste, parce que tu étais le plus fort : eh bien, Iphicrate, tu vas trouver ici plus fort que toi ; on va te faire esclave à ton tour ; on te dira aussi que cela est juste, et nous verrons ce que tu penseras de cette justice-là, tu m'en diras ton sentiment, je t'attends là. Quand tu auras souffert, tu seras plus raisonnable, tu sauras mieux ce qu'il est permis de faire souffrir aux autres. Tout en irait mieux dans le monde, si ceux qui te ressemblent recevaient la même leçon que toi. Adieu, mon ami, je vais trouver mes camarades et tes maîtres. (Il s'éloigne.) IPHICRATE, au désespoir, courant après lui l'épée à la main. Juste ciel ! peut-on être plus malheureux et plus outragé que je le suis ? Misérable, tu ne mérites pas de vivre. ARLEQUIN. Doucement ; tes forces sont bien diminuées, car je ne t'obéis plus, prends-y garde. Scène 2 TRIVELIN avec cinq ou six insulaires arrive conduisant une Dame et la Suivante, et ils accourent à IPHICRATE qu'ils voient l'épée à la main. TRIVELIN. Arrêtez, que voulez-vous faire ? IPHICRATE. Punir l'insolence de mon esclave. TRIVELIN. Votre esclave ? vous vous trompez, et l'on vous apprendra à corriger vos termes. (Il prend l'épée d'Iphicrate et la donne à Arlequin.) Prenez cette épée, mon camarade, elle est à vous. Texte C : Jean-Paul Sartre (1905-1980), Les Mains Sales (1947) [Hugo, jeune communiste idéaliste, est devenu secrétaire de Hoederer, dirigeant du parti considéré par certains comme trop modéré. Hugo a pour mission de le tuer et Hoederer l'a compris.] H?DERER - De toute façon, tu ne pourrais pas faire un tueur. C'est une affaire de vocation. HUGO - N'importe qui peut tuer si le Parti le commande. H?DERER. - Si le Parti te commandait de danser sur une corde raide, tu crois que tu pourrais y arriver ? On est tueur de naissance. Toi, tu réfléchis trop : tu ne pourrais pas. HUGO - Je pourrais si je l'avais décidé. H?DERER - Tu pourrais me descendre froidement d'une balle entre les deux yeux parce que je ne suis pas de ton avis sur la politique ? HUGO - Oui, si je l'avais décidé ou si le Parti me l'avait commandé. H?DERER - Tu m'étonnes. (Hugo va pour plonger la main dans sa poche mais H?derer la lui saisit et l'élève légèrement au-dessus de la table.) Suppose que cette main tienne une arme et que ce doigt-là soit posé sur la gâchette... HUGO - Lâchez ma main. H?DERER, sans le lâcher. - Suppose que je sois devant toi, exactement comme je suis et que tu me vises... HUGO - Lâchez-moi et travaillons. H?DERER - Tu me regardes et au moment de tirer, voilà que tu penses : « Si c'était lui qui avait raison ? » Tu te rends compte ? HUGO - Je n'y penserais pas. Je ne penserais à rien d'autre qu'à tuer. H?DERER - Tu y penserais : un intellectuel, il faut que ça pense. Avant même de presser sur la gâchette tu aurais déjà vu toutes les conséquences possibles de ton acte : tout le travail d'une vie en ruine, une politique flanquée par terre, personne pour me remplacer, le Parti condamné peut-être à ne jamais prendre le pouvoir... HUGO - Je vous dis que je n'y penserais pas ! H?DERER - Tu ne pourrais pas t'en empêcher. Et ça vaudrait mieux parce que, tel que tu es fait, si tu n'y pensais pas avant, tu n'aurais pas trop de toute ta vie pour y penser après. (Un temps). Quelle rage avez-vous tous de jouer aux tueurs ? Ce sont des types sans imagination : ça leur est égal de donner la mort parce qu'ils n'ont aucune idée de ce que c'est que la vie. Je préfère les gens qui ont peur de la mort des autres : c'est la preuve qu'ils savent vivre. HUGO - Je ne suis pas fait pour vivre, je ne sais pas ce que c'est que la vie et je n'ai pas besoin de le savoir. Je suis de trop, je n'ai pas ma place et je gêne tout le monde ; personne ne m'aime, personne ne me fait confiance. H?DERER - Moi, je te fais confiance. HUGO - Vous ? H?DERER - Bien sûr. Tu es un môme qui a de la peine à passer à l'âge d'homme mais tu feras un homme très acceptable si quelqu'un te facilite le passage. Si j'échappe à leurs pétards et à leurs bombes, je te garderai près de moi et je t'aiderai. Texte D : Bernard-Marie Koltès (1897-1982), Le Retour au désert (1988) [Pendant la guerre d'Algérie, Mathilde revient en France avec son fils Edouard dans l'intention de récupérer la maison familiale et de régler des comptes. Une violente dispute l'oppose à son frère Adrien, devant les serviteurs, Aziz et Madame Queuleu.] AZIZ - Qu'ils se tapent donc, et, quand ils seront calmés, Aziz ramassera les morceaux. Entre Edouard. MADAME QUEULEU - Edouard, je t'en supplie, je vais devenir folle Édouard retient sa mère, Aziz retient Adrien. ADRIEN - Tu crois, pauvre folle, que tu peux défier le monde ? Qui es-tu pour provoquer tous les gens honorables ? Qui penses-tu être pour bafouer les bonnes manières, critiquer les habitudes des autres, accuser, calomnier, injurier le monde entier ? Tu n'es qu'une femme, une femme sans fortune, une mère célibataire, une fille-mère, et, il y a peu de temps encore, tu aurais été bannie de la société, on te cracherait au visage et on t'enfermerait dans une pièce secrète pour faire comme si tu n'existais pas. Que viens-tu revendiquer ? Oui, notre père t'a forcée à dîner à genoux pendant un an à cause de ton péché, mais la peine n'était pas assez sévère, non. Aujourd'hui encore, c'est à genoux que tu devrais manger à notre table, à genoux que tu devrais me parler, à genoux devant ma femme, devant Madame Queuleu, devant tes enfants. Pour qui te prends-tu, pour qui nous prends-tu, pour sans cesse nous maudire et nous défier ? MATHILDE - Eh bien, oui, je te défie, Adrien ; et avec toi ton fils, et ce qui te sert de femme. Je vous défie, vous tous, dans cette maison, et je défie le jardin qui l'entoure et l'arbre sous lequel ma fille se damne, et le mur qui entoure le jardin. Je vous défie, l'air que vous respirez, la pluie qui tombe sur vos têtes, la terre sur laquelle vous marchez ; je défie cette ville, chacune de ses rues et chacune de ses maisons ; je défie le fleuve qui la traverse, le canal et les péniches sur le canal, je défie le ciel qui est au-dessus de vos têtes, les oiseaux dans le ciel, les morts dans la terre, les morts mélangés à la terre et les enfants dans le ventre de leurs mères. Et, si je le fais, c'est parce que je sais que je suis plus solide que vous tous, Adrien. Aziz entraîne Adrien, Édouard entraîne Mathilde. Mais ils s'échappent et reviennent. MATHILDE - Car sans doute l'usine ne m'appartient-elle pas, mais c'est parce que je n'en ai pas voulu, parce qu'une usine fait faillite plus vite qu'une maison ne tombe en ruine, et que cette maison tiendra encore après ma mort et après celle de mes enfants, tandis que ton enfant se promènera dans des hangars déserts où coulera la pluie en disant : C'est à moi, c'est à moi. Non, l'usine ne m'appartient pas, mais cette maison est à moi et, parce qu'elle est à moi, je décide que tu la quitteras demain. Tu prendras tes valises, ton fils, et le reste, surtout le reste, et tu iras vivre dans tes hangars, dans tes bureaux dont les murs se lézardent, dans le fouillis des stocks en pourriture. Demain je serai chez moi. ADRIEN - Quelle pourriture ? Quelles lézardes ? Quelles ruines ? Mon chiffre d'affaires est au plus haut. Crois-tu que j'ai besoin de cette maison ? Non. Je n'aimais y vivre qu'à cause de notre père, en mémoire de lui, par amour pour lui. MATHILDE - Notre père ? De l'amour pour notre père ? La mémoire de notre père, je l'ai mise aux ordures il y a bien longtemps. ADRIEN - Ne touche pas à cela, Mathilde. Respecte au moins cela. Cela au moins, ne le salis pas. MATHILDE - Non, je ne le salirai pas, cela est déjà très sale tout seul. ÉCRITURE I- Après avoir lu tous les textes du corpus, vous répondrez à la question suivante : (4 points) Après avoir rapidement défini l'enjeu de l'affrontement dans chacune de ces scènes, vous direz laquelle vous paraît la plus intense. Vous justifierez votre choix. II- Vous traiterez ensuite, au choix, l'un des sujets suivants : (16 points) 1. Commentaire Vous commenterez l'extrait de la pièce de Koltès, Le Retour au désert (texte D). 2. Dissertation En vous appuyant sur le corpus, vos lectures et éventuellement votre expérience de spectateur, vous vous demanderez de quelles ressources spécifiques dispose le théâtre pour représenter les conflits, les débats, les affrontements qui peuvent exister dans les rapports humains. 3. Invention Un metteur en scène s'adresse à l'ensemble de son équipe (acteurs, scénographe, costumiers, éclairagistes?) pour définir ses choix d'interprétation de l'extrait d'Antigone (Texte B) et donner ses consignes pour qu'elle devienne, lors du spectacle, une grande scène d'affrontement. Vous rédigerez son intervention.

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