Aventure du pèlerin (Jacques Cazotte)
Publié le 12/09/2006
Extrait du document
Le fait que le mot apologue regroupe différentes formes et renvoie à plusieurs termes comme "fable", "allégorie", "proverbe", "parabole" ou "conte" souligne une grande diversité du contenu et des modes de fonctionnement. Par ailleurs, il semble que ce que l'histoire des idées a appelé Les Lumières ait permis à une de ces formes, le conte, d'exploiter au maximum ses capacités en matière de conviction. C'était en effet la forme privilégiée de certains écrivains universellement reconnus tels Voltaire ou les frères Grimm. Cependant l'écriture de contes n'était pas réservée uniquement à ces élites reconnues et l'on trouve nombre de textes moins célèbres mais tous aussi talentueux. Par exemple, l'écrivain Jacques Cazotte publia au début de la seconde moitié du XVIIIème siècle, en 1763, l'ouvrage intitulé Ollivier d'où est tiré cet extrait : Aventure du pèlerin. L'extrait, situé à la fin du texte, raconte l'histoire d'un roi piégeant sa cour avec un faux miroir magique afin d'en vérifier la sincérité. Comment l'auteur parvient-il à clore ce conte d'une manière à marquer le lecteur? Le dynamisme de ce dénouement ne confère-t-il pas à ce texte un intérêt pour le lecteur? L'ancrage de ce texte dans la philosophie des Lumières n'entraîne-t-il pas une réflexion chez le lecteur?
Tout d'abord, cette page comporte tous les éléments d'un dénouement de conte.
Premièrement, on peut relever dans ce texte de nombreuses caractéristiques du conte. On remarque la présence de personnages communs, des personnages traditionnels : un "pèlerin", un Roi et sa "cour" composée de "gens" et plus particulièrement d'un "ministre", une "maîtresse" et un "favori". De plus, on remarque un cadre spatio-temporel typique du conte : une époque presque intemporelle soulignée par l'absence de compléments circonstanciels de temps(hormis "le lendemain") et un lieu indéfini : le lieu habituel du château ("palais"). Il est également fait référence à deux lieux existants mais très éloignés l'un de l'autre : "Naples" et "Constantinople". Enfin, on note l'omniprésence des éléments du merveilleux : le champ lexical de la sorcellerie d'abord avec "deux mots chaldéens" qui s'apparentent à une formule magique, "magicien" et "sorcier". On remarque également le champ lexical du rêve, de l'imaginaire : "air rêveur", "les spéculatifs", "ces souhaits, ou imaginations, ou rêves". La présence de l'objet magique habituel du miroir fait infailliblement penser à Blanche-neige et renforce l'idée d'un conte merveilleux.
Secondement, il s'agit d'un dénouement pour trois raisons. Tout d'abord, le complément circonstanciel de temps "le lendemain" fait présager d'un fait important, d'une rupture. Cette impression est soulignée par la succession de verbes d'action dans le premier paragraphe : "se présente", "reçoit', "ordonne", ... Ensuite, si l'on fait l'analogie avec le schéma narratif, ce texte représenterait l'élément de résolution avec le 'test du miroir' et la situation finale avec la conclusion du roi. Enfin, élément caractéristique d'un dénouement de conte, la morale délivrée implicitement par le texte : le roi doit se méfier de sa cour.
On a donc affaire à l'excipit d'un conte, qu'est-ce qui, dans ce texte, donne un intérêt pour le lecteur?
En premier lieu, le rythme du texte lui confère une vivacité, un dynamisme qui maintient l'attention du lecteur. Le premier paragraphe est important, son rythme est soutenu et assure l'intérêt du lecteur. On assiste en effet à une succession d'actions dont les verbes sont conjugués au présent de narration, ce qui donne une impression d'importance de l'action. Par ailleurs, la parataxe et les deux rythmes ternaires composés l'un d'adjectifs, l'autre de noms ("rêveur, embarrassé, capable" et "le ministre, la maîtresse, le favori") soulignent l'impression de vitesse dans le récit. Dans le second paragraphe, on assiste à un rapport de paroles au discours direct qui donne l'impression au lecteur d'assister réellement à la scène. On relève notamment une gradation : "ces souhaits, ou imaginations, ces rêves" qui, associée à la parataxe accélère le rythme. Les paragraphes trois et quatre sont semblables : courts, concis, composés d'une suite d'actions au passé simple dans un premier temps, et d'une citation au discours direct dans un second temps. Enfin, le dernier paragraphe ressemble à une chute, il s'achève sur les paroles du roi, sui tombent comme un jugement.
En second lieu, on remarque dans ce texte une réelle histoire dans l'histoire : chaque paragraphe du texte correspond à une étape ou deux du schéma narratif. En effet, la situation initiale n'est pas réellement développée dans le premier paragraphe et on pourrait penser à un début in medias res : "Le lendemain le pèlerin se présente...". Les paragraphes deux, trois et quatre correspondraient aux péripéties du protagoniste (le roi) : le 'test' en lui-même. Enfin, le dernier paragraphe ferait office de résolution et de situation finale avec la conclusion du roi.
Ainsi, ce texte plaît par le rythme de l'action et la présence d'une histoire dans l'histoire, voyons s'il instruit son lecteur.
Ce texte, écrit au milieu du siècle des Lumières en est assez représentatif. On observe tout d'abord une critique de la religion. En effet, on remarque un champ lexical de la religion composé de : "diabolique", "sacrilège", "pieuse" et "damnable". De plus, la phrase "il faut brûler le pèlerin et son miroir" fait allusion aux bûchers organisés par le clergé contre les sorcières. L'attitude des courtisans qui, notons-le, n'ont jamais vu l'utilisation du miroir, est tournée en ridicule par le roi à la fin du texte : il indique à la cour qu'elle a voulu brûler un miroir "acheté dans une boutique de Naples [...] pour deux carolus". Ceci prouve donc la stupidité et le dogmatisme des courtisans du roi qui utilisent l'argument religieux pour se sortir d'une mauvaise passe.
On assiste également à une forte critique de l'aristocratie à travers la morale délivrée par le conte : il ne faut pas faire confiance à la cour. Cette critique est rendue le plus crédible possible par l'expérience faite par le roi mais également par la focalisation externe du texte qui assure une objectivité des points de vue. Par ailleurs, la critique de la religion est aussi celle du monde aristocratique à travers les courtisans qui invoquent stupidement la sorcellerie pour éviter de dévoiler leur hypocrisie au roi. On note également la surenchère marquée par "déguisait assez bien son embarras" qui souligne leur talent pour le mensonge et la trahison.
Enfin, on remarque que l'utilisation de cette forme d'apologue permet à l'écrivain d'échapper à la censure. En effet le choix d'un cadre spatio-temporel flou, de personnages communs et surtout d'un voyageur supprime les entraves à la liberté d'expression de l'auteur et lui permettent de faire passer ses idées : celles des Lumières.
On a donc affaire à un texte qui s'inscrit dans la philosophie des Lumières dans les idées et dans les contraintes qui en découlent.
Ainsi, le dynamisme de ce dénouement et sa tendance polémique due à son ancrage dans la philosophie des Lumières permettent à cet excipit de jouer pleinement son rôle : conclure en délivrant une morale qui provoque une réflexion du lecteur sur la société et la nature humaine. Par ailleurs, il semble intéressant du point de vue des idées de faire le lien avec l'incipit du conte de Voltaire Candide qui, lui aussi, critique fortement le monde aristocratique du XVIIIème siècle, et plus généralement la société toute entière.
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