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"Aucun secret, aucun retrait, aucun détour; tout est mis en lumière, en valeur, et rien à attendre de plus; sans doute, c'est le comble de l'art : un nec plus ultra sans issue" André Gide

Publié le 25/09/2010

Extrait du document

gide

 

Gide observe aucun secret aucun retrait aucun détour dans l'écriture. Ne s'appliquait pas au plan de la fiction. 

Après le point virgule, cela s'applique aussi à l'art de l'écrivain. Un récit qui met tout en lumière, tout en valeur. "Rien à attendre de plus" signifie que là est sa limite. Equivaut à "cela laisse quelque peu insatisfait". Ne signifie pas qu'il n'y a rien à attendre après la retraite de la princesse. 

Sans doute, c'est le comble de l'art. Quand on dit "sans doute", c'est que précisément, on a un doute. Si on le croit vraiment, on dit "sans aucun doute". 

"Sans issue" était plus délicat à interpréter. Mme de La Fayette a atteint une réussite indépassable, mais il n'y a pas d'issue au sens où il n'y a pas de postérité à cette réussite, qu'il est vain de vouloir imiter, de refaire une seconde Princesse de Clèves (??). 

 

Fait-il un éloge ou une critique? Cela apparaît comme un éloge hyperbolique, mais il y a des restrictions : "rien à attendre de plus", "sans issu". Cette parfait clarté peut sembler un peu sèche et insatisfaisante. C'est donc l'ensemble qu'il fallait commenter. La problématique était l'ensemble.

Problématique : Ce récit, qui ne laisse rien dans l'ombre et qui atteint une sorte de perfection dans son genre, n'est-il pas par certains côtés insatisfaisant? 

"Qu'en pensez-vous" signifie "composez sur cette citation en éclairant la thèse, mais aussi en apportant des contre-arguments". 

 

Inventio : il faut se demander si on peut pleinement donner raison à Gide. 

 

Fausse piste : le sujet porte sur la Princesse de Clèves. Ne pas se demander si le roman de La Fayette est le comble de l'art et s'il n'y a pas d'autre roman supérieur. Premièrement, ce n'est pas dans les règles, car c'est un devoir sur la Princesse de Clèves. D'autre part, il est un peu vain de faire des hiérarchies entre les romans. 

 

Introduction : Le principe dans l'intro est d'amener la citation. Rien n'est plus mauvais que de l'amener d'une manière illogique. 

 

1 - Un récit gouverné par la nécessité ; ni hasard, ni ombre

a) La motivation des actions : "tout est mis en lumière"

Les motivations d'agir sont éclairées sous tous leurs angles. L'auteur veut fuir la gratuité brillante, l'invraisemblance du roman héroïque. par réaction, elle tend à surdéterminer les décisions de son héroïne, et donc de crédibiliser le caractère exceptionnel de certains décisions clés. Prenons le cas de l'aveu. Il est triplement motivé : trois niveaux différents sont parfaitement mis en lumière : l'exigence de sincérité absolue qui fait le fond du caractère de Mme de Clèves. D'autre part, par la confidence échappée au mari, narration des amours de Sancerre. Le mari est disposé à écouter sa femme. Enfin, troisième motivation, motif conjoncturel : l'impossibilité de Mme de Clèves à se dérober un peu longtemps à la Cour. La scène de l'aveu était longuement préparée dans l'économie du récit avec un souci de vraisemblance qui met en lumière la nécessité dans la fiction d'un acte qui est jugé extraordinaire dans la vie réelle. Prenons un autre exemple : la décision finale, qui est le refus du mariage, et pas la retraite en elle-même. La retraite est la conséquence du refus du mariage. La décision finale réunit en faisceaux plusieurs séries de motivations internes. Au plan moral, plan du devoir, nous trouvons le scrupule, le remords, la fidélité posthume à un mari qui est un mari que la mort permet d'idéaliser. Au plan psychologique, plan du repos, la peur de la déception, des affres de la jeune vie. Enfin, troisième plan, plan circonstanciel mais décisif, l'expérience de la maladie qui amène la réflexion sur la finitude, cela facilitant (le texte le met en lumière) la décision : se soustraire au tourbillon de la vie galante. Si Gide entend par "secret" ou "détour" une zone obscure, non éclairée par le récit, où se prennent les grandes décisions dans certains univers romanesque (Conrad, Dostoïevski), alors Lafayette est assurément à l'opposé, incarnant le cartésianisme dans le récit, et mettant en lumière les raisons claires et distincts d'agir, le trouble une fois surmonté. 

 

b) Echos et symétries très lisibles entre l'histoire principale et les histoires annexes, mettant en valeur le thème central des dangers mortifères de la passion.

Le récit, à-travers les histoire annexes, construit de petits miroirs où est mis en valeur de thème central de l'histoire principale. Dégradation de l'être moral par l'amour, la jalousie, etc. (cf. cours). Dans le même ordre d'idée, il construit des symétries dans l'histoires à valeur symboliques, symétries si évidentes et habiles que c'est en effet une autre forme de mise en lumière selon Gide. En effet, deux morts : la mort de la mère et la mort du mari ont pour point d'insertion un même stade psychologique. La mort de la mère, quand elle devient certaine de l'inclination de sa fille, et la mort du mari lorsqu'il se croit certain de l'infidélité de sa femme. On observe aussi que la chronique de cour connaît une césure majeure inscrite dans les astres, qui est donc un véritable fatum antique, qui vient condamner l'adultère royale : mort violente du roi en pleine force, roi qui a légitimé l'adultère. Il se trouve châtié d'avoir engagé son dernier duel galant, puisqu'il court pour les beaux yeux de sa favorie. Toutes les analepses et prolepses narratives, même réduites à une ligne mettent en parfaite lumière le thème de la passion destructrice (mise à mort de la femme d'H8, la mort quasi-suicidaire du chevalier de Guise, dépité, en une ligne, la fin tragique évoquée en filigrane du Vidame de Chartres, qui a cru pouvoir échapper à la jalousie de la reine, etc.). Ce thème majeur du danger de la passion est maillé à-travers tout le récit, récit qui multiplie les illustration particulières, ce qui peut être considéré comme "le comble de l'art". 

 

2 - Une étude psychologique qui satisfait l'intelligence plus qu'elle ne sollicite l'imagination ; une apparente élimination de l'ambiguïté à la lumière de l'analyse 

Il n'y a rien à attendre de plus que ce que le récit seul a mis en lumière. 

a) Psychologie développant un caractère (essentiellement psychologique)

A l'exception de l'héroïne elle développe un type, de sorte que le comportement du personnage est largement prévisible. M de Clèves est le gentilhomme jaloux. L'essence romanesque du personnage est la jalousie. C'est une sorte de démonstration des ravages de la passion sur un être noble. Evidemment, on ne peut qu'approuver Gide : cela ne laisse guère de place à des ambivalences secrètes, à des zones frontières telles que Gide a lui-meêm excellé à les mettre en récit, qui aime le mensonge à soi-même. Le personnage est ici en un sorte chimiquement pur. Mme de Chartres se confond entièrement avec le discours moral qu'elle tient. 

 

b) Abstraction et intellectualisation

Il y a dans ce récit une abstraction un peu sèche qui dirige la lumière exclusivement sur l'univers moral, et prive le personnage d'un certain enracinement dans la complexité du monde concret. Mais cela est à replacer dans le contexte de l'esthétique classique, qui est l'étude du coeur humain, régi par des lois éternelles et qui n'a que faire de la représentation du contingent. S'y ajoute l'idéalisation que l'auteur hérite du roman parfait. Toute trace de médiocrité est exclue du trio. Pas de compromis avec des solutions moyennes. Absence du monde concret autre que symbolique. Il n'y a pas d'arrière-plan, de paysage, de perspective, de retrait, qui fasse corps avec les personnages, comme le paysage italien fait corps avec les héros de la Chartreuse de Parme ou le cadre maritime avec les personnages de Proust. Ici, on a une toile peinte qui hausse la dignité des personnages mais qui n'enrichit pas leur portrait d'une épaisseur poétique. Mais cette profondeur qui enrichit les personnages n'existe qu'à partir du 19ème siècle. 

 

c) L'art de l'analyse ou : "aucun secret, aucun retrait"

Mais là où il n'y a ni secret ni retrait, c'est dans l'étude psychologique de l'héroïne. Tout d'abord, en raison de l'omniscience, dont la romancière cependant n'abuse pas. Elle rectifie certes des erreurs d'appréciation de son personnage, ou, d'une manière très fine, elle suggère ce que l'héroïne perçoit à peine. Il y a aussi une perspicacité des personnages secondaires : la mère, le chevalier de Guise, le mari également, qui font office de délégation d'omniscience. Des personnages comme le mari et la Dauphine sont à l'affût des moindres signes que manifeste Mme de Clèves. En-dehors même de toute omniscience sont sans cesse braqués sur ses moindres réactions des projecteurs latéraux. Il est vrai que nous sommes sur le plan de la fiction, mais nous glissons de l'un à l'autre : il n'y a rien qui ne soit espionné par la Cour, notamment par la Dauphine, qui la représente, et qui ne soit retranscrit dans le récit. La psychologie de l'héroïne est cernée de tous côtés. Mais le plus original est l'analyse réflexive : le récit épouse le raisonnement moral de l'héroïne. Mais ce récit de pensée n'est pas flux de conscience ("le trouble ne parle pas le langage du trouble") et lui fait ordonner, hiérarchiser, récapituler ce qu'elle a vécu, subi, éprouvé. Il n'y a aucun secret, aucun retrait. Le modèle est celui de l'examen de conscience, selon lequel il faut avoir examiné avec scrupules le contenu de sa conscience sans y laisser subsister de zone d'ombre pour recevoir l'absolution. Ajoutons que la rhétorique a pour fonction de clarifier de désarroi. Quelquefois, ça apporte la réponse en même temps que la princesse pose la question (veux-je épouser... etc etc? (= non)). Comme le dit Jean Rousset, nous lisons dans ce coeur comme s'il était de verre. Par deux voies différentes : La narratrice rend le lecteur complice de sa clairvoyance, lui permet d'être un peu en avance sur l'héroïne, qui ne sait pas toujours nommer ce qu'elle éprouve, mais cela surtout dans les premières et deuxièmes parties. D'autre part, surtout dans les parties 3 et 4, le soliloque réflexif reflète une conscience organisée qui voit de plus en plus clair dans son trouble. Il est certain que la combinaison de la rhétorique de l'examen de conscience, l'exigence janséniste de sincérité (venu de la mère), la distinction des moindres nuances du sentiment (venu de la préciosité) laisse fort peu de place à l'inavoué, au détour, à la suggestion. On dirait même que plus le récit avance, plus l'obscure pour la princesse a vocation à être mis en lumière par l'analyse et par l'intellectualisation. 

 

 

3 - Les limites de l'affirmation de Gide

a) L'art de la suggestion, vu sous l'angle stylistique 

Au plan stylistique, le texte est rempli d'euphémismes et de litotes, qu'on peut considérer comme des traits galants de l'époque, et aussi de périphrases abstraites à propos de l'émotion, pour enrober toute expression du sentiment et surtout de la sensualité dans la bienséance. Mais ces mêmes expressions relèvent de l'art de la suggestion, créatrice d'un air de mystère. Ainsi, après son dernier entretien avec Nemours, il est fait allusion à une période de temps indéterminée, où la princesse est en lutte avec elle-même. Et nous lisons à ce moment là "il se passa un assez grand combat en elle-même". Il y a ici abstraction de l'expression. Atténuation. On est tenté de lire cela comme une pudeur de la narratrice qui suggère, en restant "en retrait" de la réalité, une lutte intérieure violente. Litote, donc. Mais on peut très bien penser aussi que le "assez" marque un progrès de la raison. Ce n'est plus qu'une lutte assez grande, puisque la raison est déjà intervenue et elle atténue la lutte contre la passion. Même remarque lorsqu'elle refuse de voir Nemours pour ne pas être tentée. On lit : "Monsieur de Nemours n'était pas effacé de son coeur". Litote? Est-ce le moins pour suggérer le plus? Ou faut-il le prendre au pied de la lettre? Un résidu d'amour demeure, que la raison a du mal à vaincre? On ne sait pas. Prenons des remarques semblables sur le lexique. Un traducteur anglais observe que le sens des mots les plus fréquents est si fluctuant, selon le contexte, qu'il faut deux ou trois équivalents en anglais pour le traduire en contexte. Ainsi, les mots "trouble" (véritable joker. Paravent de bienséance. Si l'on regarde le spectre sémantique, cela va de l'émotion à peine consciente d'elle même assortie de rougeur souvent, cela passe par la gêne (souvent assorti d'"embarras"), mais peut aussi être senti comme un euphémisme bienséant pour "bouleversement intérieur amoureux face à l'amant") ou "galanterie" (courtoisie / intrigue amoureuse / liaison charnelle. Mais entre les deux, il y a tout un halo d'incertitude). On a donc typiquement une écriture du retrait. 

 

b) La rareté des indications concrètes ayant vertu e suggestion 

Pauvreté des indications concrètes (cf. exposé sur le corps). L'imagination est sollicitée. Cocteau, dans une préface de 1956, dit sur ce mystère d'un texte qui évoque au sens magique sans décrire : "cette faculté de peindre sans dépeindre, atmosphériquement, pour ainsi dire, est une énigme." Si l'on prend des lieux, à peine esquissés, ou même pas décrits du tout ("sans dépeindre"), la riche demeure du joaillier, ou la salle de bal, pas décrite du tout, ou l'allée dans la forêt, qui conduit au pavillon, qui, seule, a droit à une description, ou, encore plus vague, "cette grande terre qu'elle avait près des Pyrénées, cela s'imprègne de l'élégance retenue qui est l'atmosphère morale du livre. Ne sont pas de sèches abstractions, mais des lieux qui s'ouvrent à l'imaginaire du lecteur, parce qu'ils sont contaminés par des atmosphères d'élégance morale qui baignent le livre. De plus, "en retrait", modèles du conte merveilleux : la belle s'échappant de chez le joaillier comme Cendrillon du bal, l'allée dans la for^t qui conduit le cavalier égaré chez la belle, ou alors la Dame, inaccessible au centre du jardin e la rose. Tout ceci dote d'un arrière plan mystérieux et ambivalent ce récit si intellectualité. Cartésianisme moral allié à la poésie de Perrault. D'où une densité poétique étonnante, d'après Butor. Ce dernier analyse chez l'héroïne la place de l'imagination à la logique obscure du subconscience. Analyse de la nuit à Coulommiers. "C'est comme en rêve qu'elle noue les rubans" "Son rêve se précise peu à peu, et elle part à la recherche de ce visage qui la hante, puis, celui dont elle rêve lui apparaît réellement" "elle peut croire à une hallucination". Mais si elle croit l'avoir vu, c'est qu'elle est hantée par lui, puisqu'elle sait qu'il est à Chambord. D'autant que ceci se passe dans le lieu qui est celui de l'aveu, comme si le lieu, ce fameux pavillon, était hanté par le fantôme de l'absent. Il y a là, comme sous le texte, des images cachées. 

 

c) Mystère et ambiguïté : la fin de l'histoire

La fin est un comble d'ambiguïté, d'autant que soudain, la conscience de l'héroïne n'est plus éclairée par une narratrice, qui se retire, sur la point des pieds. Retrait et retraite. L'ambiguïté vient principalement de ce que cette retraite est commandée par le devoir, le désir de repos. D'autres éléments peuvent intervenir, explicites : la peur de l'infidélité, l'impossibilité de retrouver l'équivalent du mari. Implicites : fantasme d'amour constant, pur, parfait, quelque chose qui survivrait au temps dans la mémoire et qui serait spirituel et épuré. Mais on ne sait pas non plus si cette retraite ne sera pas malgré son extérieur si pieux, cette vertu si inimitable, le conservatoire de la passion dans toute sa pureté. Ce qui d'ailleurs, de chagrin, abrègera cette vie. Clair-obscure : vertu montrée au monde / secret final. Le récit est aussi mystérieux que la décision qui a été prise : il se tait. 

 

Conclusion : 

Gide avoue lui-même que son jugement n'a rien que de très classique, puisqu'il fait précéder les mots par "La Princesse de Clèves, rien de neuf à en dire, ni qui ait été fort bien dit". En effet, identifiant clarté et surface, ce jugement repose sur un postulat, à savoir qu'une oeuvre trop limpide manque de profondeur. Gide lui-même voudra conjuguer écriture classique et ambiguïté, double sens, mauvaise foi inconsciente, en adoptant le récit à la première personne. Jugement assez rapide, donc, et unilatéral, d'un auteur qui pense que la voix du roman moderne est l'exploration des détours de l'inconscient, des refus qui sont en réalité des désirs secrets, des profondeurs irrationnels, auteur tourné vers Conrad, Dostoïevski, les romanciers américains qui emploieront des techniques issues du béhaviorisme (pas d'accès aux pensées du personnage). Roman d'analyse à la française, cérébral, subtil, rationnel. Butor expliquera au contraire que c'est un livre brûlant, parfois difficile et, selon Cocteau, c'est tout le contraire de ce que dit Gide : c'est le livre des non-dits, des ombres inquiétantes. Il rêve sur ce que rêvent les personnages. "Sade et Freud s'ébauchent dans ces âmes qui se croyaient si simples".

 

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