Article de presse: L'échec du Monsieur propre indien
Publié le 02/08/2010
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21 mai 1991 - En une dizaine d'années à peine, la dynastie des Nehru a été décapitée : après Sanjay, son frère cadet, mort en 1980 dans un accident d'avion, après sa mère Indira, assassinée par des terroristes sikhs le 31 octobre 1984, c'est au tour de Rajiv Gandhi de succomber sous les coups des tueurs. Le nom même de Gandhi semble porter malheur en Inde puisque le mahatma-qui n'avait pourtant aucun lien de parenté avec la fille et les petits-fils de Nehru-avait lui-même été victime d'un extrémiste hindouiste en 1948.
La mort, à quarante-six ans, de Rajiv Gandhi met fin au règne d'une dynastie qui a gouverné l'Inde pendant la plupart de ses quarante-quatre années d'indépendance, à laquelle l'avaient conduite le mahatma Gandhi et le pandit Nehru. Déjà, cette indépendance-sous la forme d'une partition avec le Pakistan musulman-s'était effectuée dans une explosion de violence qui avait fait des morts par centaines de milliers.
Aujourd'hui, l'Inde semble être revenue à ses vieux démons, aux oppositions sanglantes entre castes, ethnies, religions et partis politiques. On est bien loin de l'image de l'homme à la rose qu'aimait projeter Nehru, ou de celle d'un pays paisible vivant sous les enseignements de " non-violence " de l'hindouisme. Lors de sa prestation de serment comme premier ministre, quelques jours après la mort de sa mère, Rajiv avait déclaré : " Cette violence, si elle n'est pas stoppée, nous détruira ( ...) Elle détruira tout ce en quoi l'Inde croit et espère... ".
" Aider maman "
Il était né le 20 août 1944, juste trois ans avant l'indépendance. Il avait passé son enfance dans l'entourage de son grand-père Nehru, dont Indira était à l'époque à la fois la " gouvernante " et le principal conseiller. Vite séparée de son mari, elle s'était consacrée à ses deux fils, Rajiv et Sanjay-son préféré,-et à la politique. Après des études en Inde, Rajiv obtint un diplôme d'ingénieur à Cambridge.
Trois ans plus tard, en 1968, ce jeune homme timide et porté à l'embonpoint épousait, après avoir triomphé de l'opposition de sa mère, une jeune Italienne, condisciple à Cambridge, Sonia Maino, qui allait lui donner deux enfants. Tandis que son cadet Sanjay se lançait à corps perdu dans la politique aux côtés d'Indira Gandhi, devenue premier ministre en 1966, il entrait à la compagnie aérienne intérieure Indian Airlines comme pilote. Discret, il se présentait alors à ses passagers comme le " Captain Rajiv ".
Cette carrière s'acheva brutalement en 1980. Il s'agissait de remplacer Sanjay, afin de perpétuer la dynastie, et d'effacer la mauvaise réputation laissée par cet enfant gâté de la vie politique indienne. Conscient de ses responsabilités- " Je ne ferai de politique que si ça peut aider maman ",-Rajiv finit par vaincre ses propres réticences et se présenta dans la circonscription familiale d'Amethi, en Uttar-Pradesh. Elu triomphalement député le 15 juin 1981, il était peu après nommé membre du comité exécutif des jeunesses du Congrès. En février 1983, Indira lui donnait encore du galon en le nommant cosecrétaire général de son parti.
Rajiv était un homme d'une autre trempe que le reste de sa famille, pour ne pas parler des autres politiciens indiens, traditionalistes, roués et experts à jouer des influences, des rivalités de clans, dénués de scrupules pour financer leurs entreprises. Il voulait incarner une nouvelle génération, formée à l'étranger, férue de modernisme, de progrès, de technologie.
Les amis de Rajiv étaient alors surnommés les " computer boys " ( les hommes de l'ordinateur) ou la " génération des Beatles ". Ils étaient jeunes, éduqués, enthousiastes. Universitaires, hommes d'affaires, technocrates, ces yuppies indiens voulaient changer l'Inde millénaire, la faire entrer dans le monde en secouant les pesanteurs du passé et les lourdeurs d'une bureaucratie engluée dans un " socialisme " paralysant. Pas étonnant que Rajiv, qui avait eu trois ans pour faire ses armes, sillonner le pays, prendre la mesure de la misère des campagnes arriérées, du sort déplorable des castes et tribus opprimées, ait suscité tant d'enthousiasme lorsqu'il succéda à sa mère à la tête du gouvernement et du parti du Congrès-I ( I pour Indira) le 1e novembre 1984.
Pour ses électeurs, il était tout simplement " M. Propre ", et surtout le petit-fils de Nehru et le fils d'Indira.
Elu avec la majorité la plus massive de l'histoire du pays-bien que son triomphe ait été un peu terni par la fraude et la violence,-Rajiv allait pouvoir mettre en oeuvre ses bonnes intentions, nettoyer les écuries d'Augias de la politique indienne, dynamiser une économie repliée derrière les murailles du protectionnisme et très liée au grand allié soviétique. Les " pourris " et les incompétents n'avaient qu'à bien se tenir face à la nouvelle équipe placée sous le signe de l' " efficacité " !
De fait, les cinq années de gouvernement Rajiv ont apporté un souffle nouveau dans la société urbaine indienne. Les tabous du dirigisme ont été ébranlés, l'économie s'est graduellement ouverte sur l'étranger, permettant l'émergence d'un secteur privé, d'une classe moyenne qui piaffait d'impatience et qui représente aujourd'hui cent millions de personnes.
Cette nouvelle société indienne représente sans doute l'acquis principal de l'ère Rajiv. Les progrès ont même atteint les campagnes, où les récoltes de céréales ont battu tous les records. Et pourtant, 50 % d'Indiens vivent encore avec moins de 100 francs par mois.
Mais " le plus anglais des premiers ministres indiens " allait vite se heurter aux dures réalités de la politique. Dès son arrivée au pouvoir, il dut faire face à la crise du Pendjab, où une minorité de sikhs extrémistes, déjà responsables de l'assassinat d'Indira Gandhi, s'étaient lancés dans une politique de terreur pour obtenir l'indépendance du " Khalistan ". L'accord conclu en 1985 entre Rajiv et les sikhs modérés fut rendu rapidement caduc par le meurtre de son principal interlocuteur, et la violence reprit de plus belle. En octobre 1986, il avait déjà échappé à un attentat.
Le sanglant engrenage terrorisme-répression fit des milliers de morts, sans qu'aucune solution apparaisse. Englué dans cette crise, Rajiv ne vit pas venir d'autres conflits ethniques et religieux qui allaient déchirer le pays, minant peu à peu son pouvoir : Assam, Cachemire, mais aussi heurts entre hindous et musulmans, encore aggravés par l'entrée en lice des extrémistes hindouistes du BJP.
De crise en crise, son pouvoir se délita rapidement. Le Congrès-I perdit le contrôle de nombreux Etats. Le gouvernement-après des épurations spectaculaires de politiciens corrompus-commença à se déchirer et à perdre sa popularité.
Rajiv Gandhi dut aussi faire face à un environnement régional délicat, dans un sous-continent où New-Delhi entendait renforcer sa prédominance. Les rapports avec le Pakistan, qui-comme l'Inde-s'efforçait de se doter de l'arme nucléaire, demeuraient difficiles en dépit des efforts de Rajiv et de Benazir Bhutto, qui avaient tous deux à coeur de consolider des relations normalisées en 1972 par leurs parents. Mais c'est surtout avec Sri-Lanka que Rajiv eut à faire puisqu'il y envoya, en juillet 1987, un corps expéditionnaire de quarante-cinq mille hommes qu'il dut retirer deux ans plus tard, après avoir subi de lourdes pertes mais sans être parvenu à rétablir un semblant de paix.
PATRICE DE BEER Le Monde du 23 mai 1991
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classe moyenne qui piaffait d'impatience et qui représente aujourd'hui cent millions de personnes.
Cette nouvelle société indienne représente sans doute l'acquis principal de l'ère Rajiv.
Les progrès ont même atteint lescampagnes, où les récoltes de céréales ont battu tous les records.
Et pourtant, 50 % d'Indiens vivent encore avec moins de 100francs par mois.
Mais " le plus anglais des premiers ministres indiens " allait vite se heurter aux dures réalités de la politique.
Dès son arrivée aupouvoir, il dut faire face à la crise du Pendjab, où une minorité de sikhs extrémistes, déjà responsables de l'assassinat d'IndiraGandhi, s'étaient lancés dans une politique de terreur pour obtenir l'indépendance du " Khalistan ".
L'accord conclu en 1985 entreRajiv et les sikhs modérés fut rendu rapidement caduc par le meurtre de son principal interlocuteur, et la violence reprit de plusbelle.
En octobre 1986, il avait déjà échappé à un attentat.
Le sanglant engrenage terrorisme-répression fit des milliers de morts, sans qu'aucune solution apparaisse.
Englué dans cettecrise, Rajiv ne vit pas venir d'autres conflits ethniques et religieux qui allaient déchirer le pays, minant peu à peu son pouvoir :Assam, Cachemire, mais aussi heurts entre hindous et musulmans, encore aggravés par l'entrée en lice des extrémistes hindouistesdu BJP.
De crise en crise, son pouvoir se délita rapidement.
Le Congrès-I perdit le contrôle de nombreux Etats.
Le gouvernement-après des épurations spectaculaires de politiciens corrompus-commença à se déchirer et à perdre sa popularité.
Rajiv Gandhi dut aussi faire face à un environnement régional délicat, dans un sous-continent où New-Delhi entendait renforcersa prédominance.
Les rapports avec le Pakistan, qui-comme l'Inde-s'efforçait de se doter de l'arme nucléaire, demeuraientdifficiles en dépit des efforts de Rajiv et de Benazir Bhutto, qui avaient tous deux à coeur de consolider des relations normaliséesen 1972 par leurs parents.
Mais c'est surtout avec Sri-Lanka que Rajiv eut à faire puisqu'il y envoya, en juillet 1987, un corpsexpéditionnaire de quarante-cinq mille hommes qu'il dut retirer deux ans plus tard, après avoir subi de lourdes pertes mais sansêtre parvenu à rétablir un semblant de paix.
PATRICE DE BEER Le Monde du 23 mai 1991.
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