Article de presse: Le triple péché des lois Auroux
Publié le 22/02/2012
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18 décembre 1982 - 1982 sera vraisemblablement considérée comme une des années les plus riches en réformes du droit du travail au même titre que les années 1936, 1945-1946 et dans une moindre mesure 1968. En l'espace d'un an, le gouvernement et le Parlement ont adopté et promulgué une série d'ordonnances et de lois qui ont considérablement modifié le droit du travail.
Les textes, selon l'un des principaux auteurs, Jean Auroux, ministre du travail, visent trois objectifs : 1-Rééquilibrer le capital et le travail en donnant au salarié une dimension plus grande et plus responsable dans son entreprise.
2-Reconnaître à chaque acteur de la vie sociale (employeur, cadres, travailleurs, organisations syndicales) son rôle propre et ses missions.
3-Confier à la négociation et au contrat l'organisation des relations du travail.
D'importantes modifications ont ainsi été apportées à la durée du travail-la semaine des trente-neuf heures-en faisant sauter le " verrou " de quarante heures,-au comité d'entreprise, au contenu des contrats du travail intérimaire, partiel ou à durée déterminée, etc.
Mais c'est un droit nouveau, le droit d'expression directe des salariés affirmé par la loi du 4 août 1982, qui a provoqué les débats les plus passionnés.
Ce texte a reconnu aux salariés un droit nouveau : celui de se réunir sur le lieu et pendant le temps de travail, pour aborder les questions touchant au contenu et aux conditions de travail. Elle a confié aux partenaires sociaux, notamment dans les entreprises de deux cents salariés et plus, le soin d'arrêter les modalités pratiques d'application de ce droit.
Ce droit à l'expression des salariés est bien une revendication des syndicats ouvriers, mais, à l'exception de la CFDT, cette demande a rarement figuré parmi les thèmes prioritaires des confédérations.
Certains syndicats comme FO ont même toujours manifesté une réticence certaine. En revanche, le patronat et l'ancienne majorité ont, au lendemain des événements de 1968, mis l'accent sur cette amélioration à apporter dans les relations sociales. Qu'on se souvienne des objectifs de Valéry Giscard d'Estaing, du rapport de Pierre Sudreau sur la réforme de l'entreprise et de la lettre de Raymond Barre demandant aux partenaires sociaux une négociation sur ce thème.
Le CNPF fut loin d'être le dernier à préconiser cette réforme, sur l'initiative de mouvements d'action patronale plus dynamiques comme Entreprise et Progrès.
Faut-il alors s'étonner des protestations véhémentes quand la gauche venue au pouvoir a prétendu agir dans ce sens ?
Les lois Auroux sont en fait accusées d'un triple péché. Une conception antinaturelle, puisqu'elles furent élaborées par un ministre cégétiste, même si on oublie son réalisme et son refus, à l'Assemblée nationale, de céder à certaines propositions plus contraignantes des députés. Une méthode d'accouchement détestable selon le patronat, puisque la thèse des employeurs était de procéder progressivement et par voie contractuelle à cette réforme alors que le gouvernement Mauroy a opté pour la loi... même si on oublie que ce texte législatif laisse aux partenaires sociaux une grande marge de manoeuvre pour codifier le droit à l'expression des travailleurs.
Enfin, une " gestion familiale " douteuse puisque la loi confie aux chefs d'entreprise mais aussi aux syndicats le pouvoir de négocier et d'appliquer ensemble cette réforme, alors que le CNPF voulait absolument se passer de cet intermédiaire syndical.
Faut-il pour autant en conclure que ce nouveau droit sera peu ou mal appliqué ? La liberté de manoeuvre des partenaires sociaux permet d'espérer que l'expression des salariés prendra forme, lentement certes, mais assurément. Les retombées économiques de ce nouveau droit peuvent amener les patrons les plus réticents à manifester imagination et ambition. En effet, les exemples étrangers démontrent que l'une des rares chances pour le monde industriel de surmonter ses difficultés est d'accroître sans cesse la productivité et de rechercher l'innovation. Or les réunions d'échange, les cercles de qualité, créés en France, au Japon, aux USA, révèlent que l'expression des salariés peut être un " gisement d'initiatives et de progrès ".
JEAN-PIERRE DUMONT
Juin 1983
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