Article de presse: Le Canada en quête d'identité
Publié le 22/02/2012
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23 juin 1990 - Un an après l'échec du processus qui aurait permis au Québec d'adhérer à la Constitution canadienne de 1982, le gouvernement fédéral et les dix provinces tentent d'imaginer de nouvelles structures politiques qui puissent à la fois répondre aux aspirations autonomistes déjà anciennes du Québec et permettre à une fédération aux rouages grippés de mieux s'adapter aux exigences économiques de cette fin de siècle.
Toutes les options sont étudiées, hormis le statu quo rejeté par l'ensemble des gouvernements. Las de voir le Canada anglais compter sur le temps pour résoudre provisoirement des conflits récurrents, le Québec menace d'opter pour la souveraineté politique si une formule satisfaisante n'est pas trouvée d'ici là. " Malade. Le fédéralisme canadien est sérieusement malade. " Dans toutes les facultés de droit ou de sciences politiques du pays, les docteurs qui se penchent sur ce grand corps à dix bras que la tête ne parvient plus à coordonner harmonieusement établissent le même diagnostic. Tous les symptômes d'une grave sclérose sont clairement apparus le 23 juin 1990, lorsque le processus visant à permettre au Québec, seule province à majorité francophone de la confédération, d'adhérer à la Constitution du Canada avec un vague statut de " société distincte " a échoué. Les remèdes, eux, sont si difficiles à élaborer qu'un an plus tard aucun d'entre eux ne s'est clairement imposé.
" Psychothérapie de masse "
Comment calmer le Québec, véritable " cas " particulier, sans enflammer les neuf autres provinces ? Comment éviter l'amputation de ce membre important qui affaiblirait le pays tout entier, surtout vis-à-vis de son puissant voisin américain ? Comment régler dans le même temps les problèmes des Amérindiens devenus tout aussi aigus ?
Pour satisfaire certaines des revendications du Québec, il faut amender la Constitution, mais la procédure est si complexe et si longue que toute province, fût-elle la plus petite, peut tout faire échouer au bout de trois ans.
Ottawa n'ayant pas le pouvoir de changer les règles du jeu, il faut donc essayer de trouver des consensus. Or le Canada " anglais ", mosaïque multiculturelle d'intérêts provinciaux ou locaux, est très divisé sur l'attitude à adopter vis-à-vis du Québec, dont la liste des exigences s'est considérablement allongée au cours des derniers mois.
Pour contourner ces blocages, le gouvernement fédéral a cherché à " jeter des ponts " entre les deux grandes communautés linguistiques du pays, qui continuent de s'ignorer superbement en dépit de plus de deux siècles de cohabitation. Dans un pays où 4 300 kilomètres séparent Montréal de Vancouver, nombre de Canadiens ne connaissent rien du Québec et assimilent ses habitants à des " insatisfaits chroniques ", qui n'ont jamais accepté la cession de la Nouvelle-France. De leur côté, les Québécois se préoccupent plus de ce qui se passe à l'étranger que dans le reste du Canada, où leurs médias n'ont que de rares correspondants, en dehors de la capitale fédérale. Les grands auteurs canadiens sont très peu connus au Québec et réciproquement.
Une expérience assez originale, présentée comme une " psychothérapie de masse ", a donc été lancée en novembre dernier. Un groupe de personnalités de tous les milieux a parcouru le Canada jusque dans ses villages les plus reculés et ses prisons, afin de permettre au commun des citoyens de " se vider le coeur " et d'esquisser des solutions aux problèmes soulevés.
Les tout premiers constats de ce " forum des citoyens " présidé par Keith Spicer n'ont pas été d'un grand secours, sauf dans le cas des Amérindiens, dont on estime que les revendications territoriales devraient être réglées au plus vite. Pas question, ont martelé les premières personnes consultées, d'accorder un traitement préférentiel au Québec et de remettre en question l'égalité des provinces au sein de la fédération. Plutôt que de déroger à ce principe devenu dogme, l'ancien premier ministre ( libéral) fédéral Pierre Elliott Trudeau avait d'ailleurs préféré se passer en 1982 de l'accord du Québec pour modifier et rapatrier de Londres la Constitution canadienne, pacte social demeuré boiteux sans l'approbation de l'un des peuples fondateurs du pays.
Le ton des discussions a commencé à changer lorsque la menace du Québec d'affirmer sa souveraineté est devenue plus tangible. D'autres types de questions, explique Keith Spicer, ont alors été soulevées : vaut-il la peine de laisser se démembrer un pays riche où il fait finalement si bon vivre, même avec les Québécois ? La politique de bilinguisme des institutions fédérales, si décriée pour ses coûts et son " inutilité " depuis 1969, ne contribue-t-elle pas à faire du Canada un pays unique ? " L'idée de reconnaître formellement au Québec un droit à la différence a fait des progrès ", conclut Keith Spicer.
Tous les obstacles sont loin d'être levés à travers ce début de décrispation. La controverse, aussi vieille que la fédération canadienne, sur le rôle d'Ottawa n'est pas réglée. Le Québec n'a cessé de dénoncer la centralisation accrue vers laquelle a évolué le Canada, à l'instar de la plupart des autres fédérations. Un mouvement qui a donné lieu, depuis 1968 surtout, à des interventions croissantes du gouvernement fédéral dans des domaines comme l'éducation, la culture, les affaires sociales, la santé, les ressources naturelles et la main-d'oeuvre, où les provinces détiennent, d'après la Constitution, des compétences exclusives.
En tout état de cause, le système de partage des compétences est devenu au fil des années si confus que tout le monde s'accorde sur la nécessité de le revoir, au moins pour éliminer les nombreux dédoublements de programmes, sources de gaspillage de fonds publics et de tracasseries administratives pour les citoyens. De là à accorder au Québec les pleins pouvoirs dans de nombreux secteurs, il y a encore un grand pas à franchir.
MARTINE JACOT
Le Monde du 25 juin 1991
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