Article de presse: La nuit de la fraternité
Publié le 22/02/2012
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15 juin 1985 - Pari gagné pour SOS-Racisme. Après avoir fait pâlir d'envie les professionnels de la publicité avec son badge, l'association présidée par Harlem Désir vient de démontrer qu'elle pouvait réunir trois cent mille personnes à Paris, dans un ordre exemplaire, pour défendre une idée.
Faut-il ergoter sur le chiffre ? L'attrait d'un concert gratuit, avec vingt-cinq artistes à l'affiche, par une belle nuit d'été à la Concorde, y est certainement pour quelque chose. Mais n'était-ce pas " une fête ", précisément ? Pour réunir un public aussi fervent, convaincre ces artistes de se produire sans cachet, s'assurer le concours financier et technique du ministère de la culture et bénéficier de l'appui exceptionnel de divers médias, il fallait viser juste, au bon moment, avec les mots adéquats-bref, répondre à un besoin de se mobiliser autrement.
1984 avait eu son " dimanche de la liberté ", avec le défilé d'un million de défenseurs de l'école privée à la Bastille. 1985 vient donc de s'offrir sa " nuit de la fraternité ", qui échappe tout autant aux clivages traditionnels. " Touche pas à mon pote ", proclamait dimanche une France de moins de quarante ans, gaie et grave à la fois. " Pas touche à nos enfants ", affichait la pancarte la plus significative du 24 juin 1984... Mais si la " prise de la Bastille " de l'an dernier était tournée contre la politique gouvernementale, la " prise de la Concorde ", approuvée par le gouvernement, n'exprime aucune revendication. C'est simplement un appel à la tolérance, et le témoignage qu'une " France de toutes les couleurs " est viable parce qu'elle existe déjà.
Ce " melting potes " est symbolisé par une musique sans frontières, devenue arme politique par excellence. Une musique dont on se sert aussi bien pour combattre le racisme que la faim dans le monde. We are the world, consacré à l'Ethiopie, a dominé le hit-parade, et pas seulement pour la qualité de cette chanson. " Aujourd'hui, on a, à la fois, des racines et des antennes ", remarque Harlem Désir, père martiniquais, mère alsacienne-et nom magique.
Contrairement à ce qu'on pourrait croire, les jeunes immigrés ne militent pas en masse à SOS-Racisme. C'est d'abord un mouvement de Français qui s'adresse aux Français. " Pour les protéger ", explique Bernard-Henri Lévy, l'un des parrains de l'association : la xénophobie ouverte, qui était entre parenthèses depuis la Libération, a fait son entrée en politique avec le Front national. C'est pour " rétablir cet interdit, colmater la brèche " qu'Harlem Désir et ses amis déclarent s'être mobilisés.
Leur succès spectaculaire tient à une nouvelle manière d'aborder le sujet. Un antiracisme joyeux, en quelque sorte. Le mouvement a provoqué de grossières tentatives de récupération politiques ou commerciales, suscité les réserves de groupes antiracistes plus anciens et la méfiance de certains beurs, tout en agaçant une partie des Français, étrangers à son langage, sinon à ses idées. Mais le seul vrai problème de SOS-Racisme est de durer, sans devenir un petit mouvement classique, à l'audience limitée. Pour cela, il lui faut " renaître " régulièrement, avec des initiatives frappantes, susceptibles d'être relayées par les médias. Le plus dur pour lui commence sans doute maintenant.
ROBERT SOLE
Le Monde du 18 juin 1985
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