Article de presse: Crise interne et enjeu internationale
Publié le 22/02/2012
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29 septembre 1985 - La partie qui se joue en Nouvelle-Calédonie déborde le cadre de ce caillou de nickel peuplé d'un peu moins de cent cinquante mille habitants, situé au large de l'Australie, dans cet océan Pacifique qui est désormais décrit comme le futur centre de gravité économique et politique du globe. Le sort de ce territoire intéresse donc les pays riverains du Pacifique, et d'abord les Etats-Unis et leurs alliés australien et néo-zélandais : il est aussi devenu une occasion supplémentaire d'affrontements entre les socialistes et l'opposition en France même.
Ce sont les Etats-Unis et la seconde guerre mondiale qui ont fait entrer la Nouvelle-Calédonie dans l'histoire moderne. Le passage d'un million de soldats américains entre 1942 et 1945, le retour du " bataillon du Pacifique ", qui s'était, avec ses tirailleurs autochtones, illustrés à Bir-Hakeim, ont fait éclater les contradictions de cette île. Colonie pénitentiaire à l'origine de la prise de possession française, le 24 septembre 1853, la Nouvelle-Calédonie a connu des révoltes canaques jusqu'en 1917.
L'autonomie coloniale dont ont bénéficié par la suite, à travers leur conseil général, les dix-huit mille Européens installés dans l'île leur avait évité toute politique libérale venue de la métropole. Ce n'est qu'en 1946 que le code de l'indigénat est supprimé et que le travail forcé pour les indigènes est aboli. Ce n'est qu'en 1952 que lesdits indigènes-d'ethnie mélanésienne, au nombre de trente-deux mille et vivant en réserves-se voient reconnaître le droit de vote.
Le passage, en 1956, du statut de colonie à celui de territoire d'outre-mer (c'est-à-dire de territoire ayant vocation à l'indépendance), est remis en cause en 1963, 1965 et 1969 par des lois qui rendent le pouvoir politique et économique à la métropole.
On spécule alors beaucoup sur l'avenir de l'exploitation du minerai de nickel. Ces textes, dont l'un crée les communes, sont en outre destinés à battre en brèche l'influence alors dominante de l'Union calédonienne, mouvement dirigé par un pharmacien métropolitain, Maurice Lenormand, qui avec l'appui des missions catholique et protestante, encadre les Mélanésiens et se propose de forger une nation calédonienne sous le slogan " deux couleurs, un seul peuple ".
Dans le même temps, le boom du nickel (le territoire se classe au deuxième rang en ce qui concerne les réserves mondiales) provoque un afflux d'émigrants métropolitains et polynésiens. Vingt-cinq mille personnes s'installent en Nouvelle-Calédonie entre 1969 et 1976, pour une population de cent mille personnes en 1969. Cette année-là, les Mélanésiens cessent d'être majoritaires. Cette année-là, la première revendication indépendantiste apparaît, sous l'impulsion des premiers étudiants canaques.
La lutte politique se bipolarise progressivement entre les partis dits " nationaux ", de plus en plus représentatifs de la population européenne, et l'Union calédonienne, qui se transforme en Front indépendantiste dans les années 1976, de plus en plus représentative de la population mélanésienne.
Le retour, en 1976, à un statut d'autonomie interne fait de celle-ci et du contrôle du gouvernement territorial l'enjeu de la lutte politique. Tout l'effort des gouvernements qui se succèdent jusqu'en 1981 est de donner aux partis " nationaux " (le RPCR à partir de sa fondation en 1967) la maîtrise de l'autonomie et d'engager en même temps une politique de " promotion mélanésienne ".
Le changement de majorité nationale de 1981 marque l'engagement de la métropole en faveur d'une politique clairement affirmée de décolonisation. Un référendum d'autodétermination était prévu en 1989, après cinq ans d'application du nouveau statut d'autonomie, plus large, voté en septembre 1984. Mais le boycottage par le FLNKS des élections territoriales du 18 novembre 1984 a précipité le mouvement.
Dans ce territoire où la France a toujours, selon l'expression de M. Laurent Fabius, " agi trop peu et trop tard ", tout se passe comme si l'enjeu de politique intérieure avait pris le pas sur la nécessité de conduire les deux communautés, européenne et mélanésienne, à dialoguer sur leur avenir.
A l'heure où certains extrémistes caressent l'espoir de renvoyer M. Pisani, comme ils avaient renvoyé l'amiral Thierry d'Argenlieu (nommé par le général de Gaulle) en 1944 et comme ils avaient fait sécession en 1958 pour hâter la mise en place du pouvoir gaulliste, qui ne voit que, faute de faciliter ce dialogue à partir de la seule perspective qui paraisse viable à terme, l'indépendance, l'affrontement, de larvé qu'il est depuis l'apparition indépendantiste, deviendrait alors frontal et plus meurtrier encore que ne l'ont été ces derniers mois.
JEAN-MARIE COLOMBANI
Mars 1985
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