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Aragon, le Fou d'Elsa (extrait).

Publié le 07/05/2013

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Aragon, le Fou d'Elsa (extrait). Compagne de toute une vie d'écriture, Elsa Triolet est encore au centre du dernier recueil de poésie d'Aragon. Mais dans cet hymne à la culture arabo-andalouse, mêlant prose cadencée et poésie libre, c'est un autre fou -- prophète et hérétique -- qui la chante comme une femme à venir, une déesse pure. En relayant sa parole et en la démultipliant aux confins du monde et des temps qui se mélangent dans le récit, Aragon reprend les chemins de son expérience poétique et médite sur le rôle du poète, voyeur universel et voyant illuminé. Le Fou d'Elsa de Louis Aragon D'Elsa qui est une mosquée à ma folie Toute figure murale et la crête solaire et le feston de la porte et ce réseau qui réduit l'espace Et rend le monument raisonnable à la taille des respirations humaines Toute floraison de la pierre et le narcisse en est jaloux Comme la bouche est jalouse de la répétition des baisers Jalouse l'arcade parfaite au-dessus de l'oeil de la femme Toute mosaïque avec son étrange régularité des motifs comme si J'avais bleui de mes lèvres une chair également où saignent ici et là les traces de ma cruauté Toute constellation céramique où les yeux prennent un plaisir plus grand qu'à la contemplation de la nudité Et les salles sont de fausses portes et d'arcatures comme la peau du lézard Où les plafonds façonnés d'ombre écrivent là-haut dans une langue inconnue Les secrets de fornication profondément cachés dans le coeur des dignitaires Tout semble à l'instant lavé d'un meurtre avec la rapidité des esclaves Et le jaune et le vert ont tant d'éclat que je baisse le regard Ô beauté de marbre et de faïence où rien ne rappelle la luxure J'ai tout loisir à la compliquer de fallacieuses géométries Ses enlacements qui se font et se défont à plaisir je puis Les regarder devant tous sans qu'on rougisse et personne Après tout ne songe à me soupçonner dans ma force et n'y voit Mon étreinte et ma sueur Comme le cuir parfait de l'homme cache les mouvements de l'âme et du sang dans le monde intérieur Ou l'écorce dans son dessin sait dissimuler l'arbre Et même l'arbre ici secrètement imité Je puis le décrire à voix haute arbre qui n'est plus un arbre avec l'ordonnance des feuillages Qui ne fut jamais un oiseau ni la fleur parfumée Je puis décrire ce cheminement de caresses vers le ciel Comme des mains remontant la candeur des jambes La gorge aux étoiles renversée Les épaules de nuages tout ce qu'il Est licite de montrer ici dans l'élan de l'architecture Je puis te décrire ô mosquée ainsi qu'une robe jamais revêtue Un voile abandonné L'oubli de ce qui respire Je puis te décrire à mon envie et nul ne peut entendre à mes paroles le péché Mais comment seulement effleurer la couleur de ton front Comment parler de ton souffle ou ton pas ma bien-aimée Que dire qui ne soit aussitôt profanation qui ne soit blasphème ou massacre Offense offense à la lumière Comment un instant prétendre à tracer par les mots ta semblance Ô dissemblante ô fugitive ô toujours changeante et transformée Toi que rien n'a pu fixer dans mes yeux ni la passion ni les années Toujours neuve et surprenante amour amour au portrait qui échappes Au trait de la parole et du pinceau Comme la forme incernable du rire incernable comme un sanglot Rebelle au temps rebelle aux bras qui croyaient t'enserrer dans leurs limites musculaires Et toute comparaison pèche de pauvreté s'il s'agit de dire ta fuite Eau qui n'es point humide et ne laisses ni trace ni reflet Souvenir sans la mémoire et blessure sans poignard Or s'il n'est point permis de dire la beauté vivante Où trouver l'accord des tons à quoi se reconnaisse le sommeil Un miroir un miroir pour l'oubli Pour la beauté troublante et pure de l'oubli À celui qui craint de brûler il ne reste que parler d'une flamme abstraite Il ne reste au peintre que céder le pas à l'écriture De droite à gauche au fronton des fenêtres À la frondaison du pilastre Où le calame forme sur la blancheur un caractère de jais Comme une chevauchée au désert un profil bondissant d'armes brandies Et chaque lettre est un pied sur le sable un départ de léopard Ou soudain le déploiement d'une aile noire au-dessus de la poussière Alors je m'aperçois que je t'ai donné la place réservée à Dieu Car de tout temps ici régnaient la prière et sa gloire Et je l'efface de ton nom fait ineffablement à la fois du sable et de l'aile Comme un drapeau d'insurrection dans le soleil Comme une danse de fiancés sacrilèges Comme une pulsation d'éternité Je t'ai donné la place réservée à Dieu que le poème À tout jamais surmonte les litanies Je t'ai placée en plein jour sur la pierre votive Et désormais c'est de toi qu'est toute dévotion Tout murmure de pèlerin tout agenouillement de la croyance Tout cri de l'agonisant Je t'ai donné la place du scandale qui n'a point de fin Source : Aragon (Louis), le Fou d'Elsa, Paris, Gallimard, 1963. Microsoft ® Encarta ® 2009. © 1993-2008 Microsoft Corporation. Tous droits réservés.
aragon

« Eau qui n’es point humide et ne laisses ni trace ni reflet Souvenir sans la mémoire et blessure sans poignard Or s’il n’est point permis de dire la beauté vivante Où trouver l’accord des tons à quoi se reconnaisse le sommeil Un miroir un miroir pour l’oubli Pour la beauté troublante et pure de l’oubli À celui qui craint de brûler il ne reste que parler d’une flamme abstraite Il ne reste au peintre que céder le pas à l’écriture De droite à gauche au fronton des fenêtres À la frondaison du pilastre Où le calame forme sur la blancheur un caractère de jais Comme une chevauchée au désert un profil bondissant d’armes brandies Et chaque lettre est un pied sur le sable un départ de léopard Ou soudain le déploiement d’une aile noire au-dessus de la poussière Alors je m’aperçois que je t’ai donné la place réservée à Dieu Car de tout temps ici régnaient la prière et sa gloire Et je l’efface de ton nom fait ineffablement à la fois du sable et de l’aile Comme un drapeau d’insurrection dans le soleil Comme une danse de fiancés sacrilèges Comme une pulsation d’éternité Je t’ai donné la place réservée à Dieu que le poème À tout jamais surmonte les litanies Je t’ai placée en plein jour sur la pierre votive Et désormais c’est de toi qu’est toute dévotion Tout murmure de pèlerin tout agenouillement de la croyance Tout cri de l’agonisant Je t’ai donné la place du scandale qui n’a point de fin Source : Aragon (Louis), le Fou d'Elsa , Paris, Gallimard, 1963. Microsoft ® Encarta ® 2009. © 1993-2008 Microsoft Corporation.

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