Analyse d'un extrait de la septième promenade: « Je me rappellerai toute ma vie… j'en avais été puni. » - Rêveries d'un promeneur solitaire, Rousseau
Publié le 11/09/2006
Extrait du document
L’extrait se situe à la septième promenade des Rêveries d’un promeneur solitaire, écrites par Rousseau durant les deux dernières années de sa vie. Il relate une « herborisation « qu’il effectua, en décrivant les paysages et en livrant le cours de ses pensées. Le grand thème de la solitude et de son rapport aux hommes est traité d’une manière originale, à travers ses « rêveries « et la description de l’endroit ; mais le récit de Rousseau est surtout une façon de réfléchir sur lui-même. Comment le récit autobiographique d’une promenade et les nombreux paradoxes qu’il contient, laissent percevoir en Rousseau un homme énigmatique et préoccupé ? Il s’agit, ici, d’un récit autobiographique ; le narrateur se souvient d’une de ses promenades et, non seulement il décrit le paysage, mais il raconte aussi le cours de sa pensée. D’ailleurs il introduit son récit par cette phrase : « Je me rappellerai toute ma vie une herborisation que je fis un jour du côté de la Robaila, montagne du justicier Clerc. «. Dans cette phrase introductive, le narrateur présente ce qu’il va raconter comme un souvenir gravé à jamais dans son esprit et précise, comme pour affirmer la véracité de ses dires, le lieu où se déroula sa promenade. On remarque que la première personne est constamment présente dans le récit : « je «, « me «, « ma «, « moi-même «. C’est Rousseau qui raconte ses souvenirs et la première personne illustre son écriture autobiographique tandis que les temps, passé et imparfait, des verbes montrent qu’il s’agit d’un souvenir. C’est une de ses nombreuses promenades que Rousseau nous raconte dans cet extrait. Il était passionné de botanique et très proche de la nature ; il écrit qu’il s’agit d’une « herborisation « qu’il fit dans la montagne et il décrit l’endroit, parlant de la roche («…des roches coupées à pic… «), des arbres (« De noirs sapins entremêlés de hêtres prodigieux… «), d’autres plantes qu’il aime (« Là je trouvais la Dentaire heptaphyllos, le ciclamen, le nidus avis, le grand lacerpitium et quelques autres plantes… «), mais aussi du chant des oiseaux (« Le duc, la chevêche et l’orfraie faisaient entendre leurs cris dans les fentes de la montagne… «). En décrivant ainsi les paysages, il raconte son cheminement, celui de son corps et celui de sa pensée. Rousseau parle de sa promenade, il raconte son trajet comme le montrent ces verbes : « je m’enfonçais «, « je parvins «, je m’assis «, « je me lève «, « je perce à travers «. Mais le narrateur ne nous parle pas que de ses gestes, il se souvient aussi de ses pensées et de ses émotions. Aussi qualifie-t-il ses pensées de « rêverie «, pensées qui consistaient à se comparer à « ces grands voyageurs qui découvrent une île déserte «. Un incident lui permet ensuite d’évoquer ses émotions : il se rend compte qu’il n’est pas seul. Il tente alors de traduire ce qu’il ressent : « je ne saurais exprimer l’agitation confuse et contradictoire que je sentis dans mon cœur à cette découverte. «. Ses sentiments sont diverses, sa pensée chemine et il décrit cette progression : « mon premier mouvement fut un sentiment de joie… «, «…ce mouvement (…) fit bientôt place à un sentiment douloureux… «, « je me hâtait d’écarter cette triste idée… «. Ainsi donc, Rousseau raconte sa promenade en décrivant son chemin et en exprimant sa pensée et ses émotions, il n’omet aucun élément de son souvenir. Il s’agit donc bien, dans cet extrait, du souvenir d’une promenade que Rousseau raconte, de manière autobiographique, en parlant de son chemin et de ses pensées, pensées bien souvent contradictoires. On trouve, lorsque le narrateur exprime ses sentiments, des éléments contradictoires qui font que le discours de Rousseau est bien souvent paradoxal. Un thème récurrent dans cet extrait est celui de la solitude. Pourtant celle-ci n’est pas traitée de la même façon : elle est parfois cause de tourments mais, à d’autres moments, elle procure réconfort et sécurité. Ce thème est introduit par ces simples mots : « j’étais seul… «. Puis, la description du paysage laisse le sentiment d’un emprisonnement, d’un isolement oppressant. On trouve, en effet, des termes qui expriment cet emprisonnement oppressant : « réduit «, « barrières impénétrables «, « enceinte «, « horribles précipices «. La végétation sert de prison, la roche constitue l’enceinte et les arbres en forment les barreaux (« je m’enfonçai dans les anfractuosités de la montagne et, de bois en bois, de roche en roche, je parvins à un réduit si caché… «, « de noirs sapins entremêlés de hêtres prodigieux (…) fermaient ce réduit de barrières impénétrables «). Le narrateur exprime son sentiment en parlant de « l’horreur de cette solitude «. Cependant Rousseau écrit, peu après, « …j’étais là dans un refuge ignoré de tout l’univers où les persécuteurs ne me déterreraient pas. « ; c’est donc, à ce moment-là, un sentiment de sécurité que fait naître la solitude. Puis cette sécurité fait place à de l’exaltation : « …je me disait avec complaisance : sans doute je suis le premier mortel qui est pénétré jusque là «. Ainsi l’isolement est décrit, de manière contradictoire, comme terrifiant puis sécurisant et enfin exaltant. Ce n’est pas le seul paradoxe que l’on peut relever : lorsque Rousseau découvre la présence d’êtres humains, les sentiments qu’il exprime sont très contradictoires. En effet, c’est d’abord un sentiment de joie qui l’envahit : «… joie de me retrouver parmi des humains où je m’étais cru totalement seul. « ; ce sentiment est instinctif et éphémère (« …ce mouvement, plus rapide que l’éclair… «) et il s’en suit une sensation douloureuse moins rapide (« … fit place à un sentiment douloureux plus durable… «). Or la cause de ce sentiment douloureux est de ne pouvoir échapper aux « cruelles mains des hommes «. Puis la raison reprend sa place et il reste une idée comique d’autodérision (« je finis par rire en moi-même, et de ma vanité puérile, et de la manière comique dont j’avais été puni «). Il y a donc successivement pour le narrateur, de la joie à retrouver ses semblables, de la douleur et de la colère à ne pas pouvoir leur échapper et de l’ironie face à sa propre réaction. Devant un événement, Rousseau décrit plusieurs états d’esprit par lesquels il passe et qui sont contradictoires ; il devient, par là, énigmatique. D’ailleurs, le narrateur aussi une opinion de lui-même fort changeante. A un moment du récit il se montre orgueilleux et fier de lui pour le simple fait d’avoir su trouver un endroit loin du monde : « un mouvement d’orgueil se mêla bientôt à cette rêverie. Je me comparais à ces grands voyageurs qui découvrent une île déserte…je me regardais presque comme un autre Colomb. «. Ici l’écrivain est content de lui, il fait preuve d’autosatisfaction, et son orgueil le mène à se considérer comme un explorateur ayant marqué l’histoire. Pourtant, quelques lignes plus loin, il laisse de côté son orgueil pour ironiser sur son propre sort, riant de lui-même et « de la manière comique « dont il avait été puni. Il va jusqu’à accuser sa « vanité puérile «, en un mot il se porte en dérision. Il n’y a donc plus aucune trace d’orgueil ou de suffisance mais, au contraire, de l’autodérision. On pourrait d’ailleurs se demander si cette humilité n’est pas un autre moyen, pour l’auteur, de se valoriser et donc de flatter son orgueil. En tout cas cela laisse perplexe, on perçoit difficilement le véritable visage du narrateur ; celui-ci prend vite la forme d’un homme énigmatique et préoccupé. Le récit de ce souvenir permet à Rousseau de s’exprimer et de réfléchir à propos de lui-même. Ce que nous lisons nous laisse apercevoir un homme difficilement déchiffrable ; il est inconstant, préoccupé et énigmatique. En effet, les sentiments et les idées qu’exprime le narrateur ne sont pas stables mais plutôt contradictoires. Par exemple, il donne une image de lui changeante puisqu’il oscille entre orgueil et humilité. A un moment il se met en valeur et se compare à Colomb car il est parvenu dans un endroit apparemment désert de toute vie humaine et, peu de temps après, il ironise à propos de sa « vanité puérile «. Ses sentiments sont aussi très instables : en apercevant une manufacture, il commence par éprouver un sentiment de joie, bien vite remplacé par de la douleur et même de la colère qui disparait, finalement, au profit de l’ironie. Enfin, la description qu’il fait de sa promenade semble, elle aussi, inconstante. Il mêle l’horreur lugubre d’un paysage oppressant et mort au charme innocent de « quelques petits oiseaux rares « et de plantes amusantes. Ainsi, il commence par décrire un paysage sombre de roche et de bois : « de noirs sapins entremêlés de hêtres prodigieux, dont plusieurs tombés de vieillesse et entrelacés les uns dans les autres (…) quelques intervalles que laissait cette sombre enceinte n’offraient au-delà que des roches coupées à pic et d’horribles précipices… «, en plus de cela des oiseaux de proie font entendre leurs cris : « le duc, le chevêtre et l’orfraie faisaient entendre leurs cris… « ; c’est donc un endroit lugubre et mortel dont parle d’abord Rousseau. Pourtant, il l’associe directement à des éléments charmants, pleins de fraîcheur : de petits oiseaux et des plantes aux drôles de noms (« quelques petits oiseaux rares mais familiers… «, « là je trouvais la Dentaire heptaphyllos, le ciclamen, le nidus avis, le grand lacerpitium et quelques autres plantes qui me charmèrent et m’amusèrent longtemps (…) je m’assis sur des oreillers de lycopodium et de mousses… «. Il y a une mise en relation directe entre les oiseaux de proie et les petits oiseaux rares, l’auteur a choisit de placer l’adverbe « cependant « après le verbe de façon a laisser le syntagme nominal sujet « quelques petits oiseau rares mais familiers« juste après la virgule : il n’y a pas de transition entre les oiseaux de proie et les petits oiseaux. En plus, la phrase se termine par « l’horreur de cette solitude « ce qui nous fait retomber dans la désolation première. Tout de suite après, Rousseau parle de plantes qui ont des noms originaux en disant qu’elles le « charmèrent « et l’ « amusèrent « et il raconte même s’être assis sur « des oreillers de lycopodium et de mousses «pour rêver donc on trouve en environnement confortable et charmant alors que l’image de désolation et d’oppression est encore présente à notre esprit. Cette description paradoxale peut apparaitre comme une illustration du tempérament de l’auteur, en tout cas elle met en avant son caractère instable et cela est renforcé par sa grande paranoïa. Rousseau paraît, en effet bien préoccupé (« je ne saurais exprimer l’agitation confuse et contradictoire que je sentis dans mon cœur… «). Il réagit bien vite en entendant un « certain cliquetis «, bien qu’il soit plongé dans ses pensées : « tandis que je me pavanais dans cette idée, j’entendis peu loin de moi un certain cliquetis que je crus reconnaitre ; j’écoute : le même bruit se répète et se multiplie. Surpris et curieux, je me lève… «. La brièveté des phrases et l’accumulation des verbes donne le sentiment que le bruit accapare l’attention du narrateur et cela lui donne beaucoup d’importance. La réactivité de Rousseau nous fait dire qu’il n’a pas l’esprit tranquille. Mais ce qui est beaucoup plus frappant c’est la paranoïa de celui-ci, elle est clairement visible à plusieurs passages du texte : « j’étais dans un refuge ignoré de tout l’univers où les persécuteurs ne me déterreraient pas «, «… ne pouvant (…) échapper aux cruelles mains des hommes acharnés à me tourmenter. Car j’étais bien sûr qu’il n’y avait peut-être pas deux hommes dans cette fabrique qui ne fussent initiés dans le complot dont le prédicant Montmollin s’était fait le chef… «. Ainsi l’écrivain se dévoile comme étant un homme traqué et l’on se rend compte qu’il est préoccupé ; son rapport à la solitude est d’ailleurs peu clair. Effectivement, on peut se demander s’il est tant en quête de solitude que cela. Il parle tout de même de « l’horreur de cette solitude « et la décrit à travers le paysage d’une façon très peu attrayante. Il y a aussi quelques détails que l’on peut relever : Rousseau, dans ce qu’il avoue être un « mouvement d’orgueil «, se compare à « ces grands voyageurs… «, il ne se coupe donc pas tellement des hommes puisqu’au sein même de ses pensées, il éprouve de l’orgueil à se comparer à certain d’entre eux. De plus, il faut noter que le premier mouvement de Rousseau, à la vue de la manufacture, est un sentiment de joie, sentiment rapide et irréfléchi, donc instinctif. Cela signifie qu’instinctivement, dans sa nature profonde et irréfléchie, il aime à être en présence d’autres hommes. Or la véritable nature de quelqu’un, son « moi « authentique, ne correspond-il pas à ses mouvements instinctifs et irréfléchis ? On est véritablement soi lorsqu’on ne calcule pas sa façon d’être. Tout cela nous entraine à nous poser des questions à propos des rapports du narrateur avec les hommes dont il se sent à la fois proche et éloigné. L’extrait, qui est le récit d’une promenade, souvenir de Rousseau, contient donc une description détaillée du paysage mais aussi des sentiments de l’auteur qui cherche à se donner une image de lui-même. Ces descriptions sont pleines de paradoxes car le thème de la solitude y est traité selon différents point de vue contradictoires et les sentiments dont Rousseau nous fait part sont très hétéroclites. L’auteur n’est pas facilement déchiffrable à cause de son inconstance, il ne parait pas en paix mais, au contraire, préoccupé. A travers une description simple du paysage et une anecdote sans beaucoup d’importance, Rousseau donne des éléments sur sa personnalité qu’il n’est pas aisé de déchiffrer.
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