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Analyse Du Tableau D'antonio De Pereda " El Sueno Del Caballero"

Publié le 16/01/2011

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Antonio de Pereda y Salgado est né a Valladolid vers 1608. Après avoir été, dans sa ville natale, l'élève de Díaz del Valle, il entre dans l'atelier madrilène de Pedro de las Cuevas et bénéficie de la protection  du président du Conseil de Castille Francisco de Tejada pour qui il  aurait peint El Sueño del Caballero, une huile sur toile de 152x217 en 1650.

Grâce à l'appui de Velázquez, il peut participer à la décoration du Palacio del Buen Retiro en exécutant une fort estimable scène de bataille, El Socorro  de Génova.

La mort de son deuxième protecteur, l'architecte Juan Bautista Crescenci, marquis de Torre, le prive définitivement des appuis si nécessaires à la Cour, et Philippe IV ne le nommera jamais « peintre du roi «. Parmi les nombreuses commandes qu'il réalise pour les couvents et les églises, on trouve de remarquables vanités, natures mortes allégoriques bien dans l'esprit du baroque. Antonio de Pereda meurt à Madrid en 1678.

Nous décrirons dans un premier temps le tableau, nous l'analyserons .

 

        Chut ! Ne réveillons pas ce gentilhomme assoupi devant une table sur laquelle figure une étonnante collection d'objets précieux. Profitant du sommeil du jeune homme, un ange silencieux déploie, à l'attention du spectateur, une banderole rédigée en latin.

L'axe médian du tableau qui passe par l'oeil gauche de l'ange et par la pointe du clocheton de l'horloge, détermine deux parties, ou mieux, deux mondes; Dans la partie  de gauche, le regard oblique de l'ange nous invite à respecter le sommeil du dormeur, tandis que l'étirement du bandeau nous amène à contempler sur la droite les multiples éléments d'une nature morte. La tête blonde du messager céleste occupe le sommet d'un triangle qui fixe la composition de la toile. La base de ce triangle est formée par le rebord de la table. Son côté gauche suit la perspective du dossier du fauteuil, traverse la tête du chevalier pour rejoindre le visage de l'envoyé de Dieu. Quant au côté droit du triangle, il est signifié par le canon d'un mousquet qui émerge de l'amoncellement des objets.

 

La composition triangulaire de l'oeuvre est doublée par le jeu de trois tâches claires qui ne sont autres que trois « têtes «. De part et d'autre du visage de l'ange, deux étapes de la condition humaine, la jeunesse et la mort, se répondent comme sur les plateaux d'une balance. Ainsi, passons-nous alternativement de l'un à l'autre de ces trois « états « : céleste, terrestre et léthal.

 

Dans un fauteuil clouté et tendu de tissu rouge, un chevalier richement vêtu est endormi. Tout chez ce personnage respire le luxe et la distinction sociale. Sa tenue est somptueuse : le velours noir de son pourpoint est rehaussé  de diagonales de fils d'or et d'argent. La touche un peu vibratoire qui met en valeur les broderies, rappelle les coups de pinceaux mouchetés de plusieurs portraits de Philippe IV par Velasquez. Les larges rabats du col et les rebras des poignets sont ornés de dentelles en forme de dendrons. Enfin, un large feutre agrémenté de frémissantes plumes d'autruche dites « pleureuses « coiffent sa chevelure châtain. Alors que sa main droite pend dans  un abandon plein de grâce, son bras gauche soutient sa tête et l'empêche de rouler.

 

Contrastant avec la quiétude du dormeur, un ange vêtu d'une tunique grenat et bleue bordée de perles, a donc surgi derrière lui. Tout est légèreté dans l'envolée de cet être blond qui déploie largement ses ailes. Sa chevelure bouclée ondule dans l'air comme le voile de sa ceinture qui, depuis la taille, flotte au-dessus de sa tête en un tourbillon soyeux et mordoré. Tout en posant un regard bienveillant sur le dormeur, l'ange tient délicatement un phylactère ( rouleau de parchemin ou banderole sur lesquels sont inscrits des propos que les personnages peints ou sculptés sont sensés tenir). Au centre de la sentence latine qui signifie «  Il/ elle blesse sans répit, vole vite et tue «, un arc et sa flèche qui se détachent sur un soleil doré, dardent vers le chevalier assoupi la cruauté de la maxime. Cet emblème qui, par métonymie, fait  de la flèche le symbole du temps, est le sujet des trois verbes latins pungere, volare et occidere. L'orientation de l'arme invite à inverser l'ordre de l'énoncé et à lire «  Il vole vite, blesse sans répit et tue «. Comme dans le portrait de Gonzalo de Illescas par Zurbarán, est affirmée cette idée fondatrice de la conception baroque du destin: le mort arrive sans prévenir et il convient de s'y préparer en méprisant les biens terrestres et les plaisirs illusoires.

 

Chacun à sa manière, les objets accumulés par l'artiste sont autant de signifiants iconiques qui expriment trois catégories de « vanités « ou fausses valeurs qui éloignent de l'essentiel: vanité du savoir, vanité du pouvoir et vanité des plaisirs, lesquelles sont impuissantes à résister au temps. Le savoir est représenté par les deux gros livres, la plume d'oie ainsi que la couronne de lauriers, symbole de la connaissance philosophique. Le pouvoir est perçu dans son contexte temporel et sa dimension religieuse. Le pistolet, le mousqueton, l'étendard et l'armure sont des trophées de guerre. Quant au sceptre et à la couronne ainsi qu'au globe terrestre qui évoque les vaines conquêtes territoriales, ils interrogent directement les princes et leurs folles prétentions à dominer le monde. La tiare papale et la mitre épiscopale invitent les prélats à considérer les limites de leur pouvoir et à en user sagement.

 

Enfin, la vanité des plaisirs met en garde contre les arts (violon, partitions et masque de comédie), le jeu (cartes), l'amour (portrait miniature d'une belle), le miroir (contemplation de soi-même) et la richesse (coffret à bijoux, escarcelle de pièces d'or et d'argent).

 

Au beau milieu de cet étalage de tout ce dont un homme peut rêver sur terre, plusieurs objets rappellent la cruelle et inéluctable réalité du temps dont la sentence latine transmet par ailleurs le message linguistique. La fragilité de la vie est traduite par les roses dans le vase de cristal; la fuite du temps est exprimée par l'horloge, par la bougie que le déploiement des ailes de l'ange vient d'éteindre et, bien entendu, par les deux crânes. Le crâne qui se reflète dans le miroir a basculé, offrant un angle de vue propre à engendrer l'horreur, bien dans l'esprit de la « vanité « du Siècle d'or. Toutefois, à l'exception de ce crâne renversé, c'est une sensualité diffuse qui se dégage de l'oeuvre au risque de  brouiller la pertinence de son message escatologique. Ainsi, de façon inattendue pour cette catégorie de représentation moralisante, l'atmosphère hédoniste qui émane de cette toile ne sublime-t-elle pas toute idée de précarité et toute sensation de caducité?

 

       Pour conclure, cette ambiguïté qui, à notre sens, habite l'oeuvre, rejoint d'ailleurs la bisémie du terme castillan sueño qui signifie à la fois « songe « et « sommeil «. La tradition critique se limite à voir dans ce tableau également intitulé El Desengaño de la vida (La Désillusion de la vie) et La Vida es sueño (La Vie est un songe) un exemple typique de « vanité « à fonction didactiqe dont l'image apparaîtrait dans le songe prémonitoire, un thème cher aux grands auteurs baroques Calderón, Quevedo ou Gracián. Mais le jeune chevalier aux traits si fins n'est-il pas délicieusement plongé dans un sommeil qui vient visiter un ange étrangement féminin à la bouche incarnat et à la chevelure soyeuse.

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