Analyse Du Poème "la Lessive" De Jacques Prévert
Publié le 17/01/2011
Extrait du document
Analyse d’un poème : « La Lessive «
1. Le poème
Oh la terrible et surprenante odeur de viande qui meurt
C’est l’été et pourtant les feuilles des arbres du jardin
Tombent et crèvent comme si c’était l’automne
Cette odeur vient du pavillon
Où demeure monsieur Edmond
Chef de famille
Chef de bureau
C’est le jour de la lessive
Et c’est l’odeur de la famille
Et le chef de famille
Chef de bureau
Dans son pavillon de chef-lieu de canton
Va et vient autour du baquet familial
Et répète sa formule favorite
Il faut laver le linge sale en famille
Et toute la famille glousse d’horreur
De honte
Frémit et brosse et frotte et brosse
Le chat voudrait bien s’en aller
Tout cela lui lève le cœur
Le cœur du petit chat de la maison
Mais la porte est cadenassée
Alors le pauvre petit chat dégueule
Le pauvre petit morceau de cœur
Que la veille il avait mangé
De vieux portefeuilles flottent dans l’eau du baquet
Et puis des scapulaires … Des suspensoirs …
Des bonnets de nuits … Des bonnets de police
Des polices d’assurance … Des livres de comptes
Des lettres d’amour où il est question d’argent
Des lettres anonymes où il est question d’amour
Une rosette de la légion d’honneur
De vieux morceaux de coton à l’oreille
Des rubans
Une soutane
Un caleçon de vaudeville
Une robe de mariée
Une feuille de vigne
Une blouse d’infirmière
Un corset d’officier de hussards
Des langes
Une culotte de plâtre
Une culotte de peau
Soudain de longs sanglots
Et le petit chat met ses pattes sur ses oreilles
Pour ne pas entendre ce bruit
Parce qu’il aime la fille
Et que c’est elle qui crie
C’est a elle q’on en voulait
C’est la jeune fille de la maison
Elle est nue … Elle crie … Elle pleure
Et d’un coup de brosse à chiendent sur la tête
Le père la rappelle à la raison
Elle a une tache
La jeune fille de la maison
Et toute la famille plonge
Et replonge
Elle saigne
Elle hurle
Mais elle ne veut pas dire le nom …
Et le père hurle aussi
Que tout ceci ne sorte pas d’ici
Que tout ceci reste entre nous
Dit la mère
Et les fils les cousins les moustiques
Crient aussi
Et le perroquet sur son perchoir
Répète aussi
Que tout ceci ne sorte pas d’ici
Honneur de la famille
Honneur du père
Honneur du fils
Honneur du perroquet Saint-Esprit
Elle est enceinte la jeune fille de la maison
Il ne faut pas que le nouveau né
Sorte d’ici
On ne connaît pas le nom du père
Au nom du père et du fils
Au nom du perroquet déjà nommé Saint-Esprit
Que tout ceci ne sorte pas d’ici …
Avec sur le visage une expression surnaturelle
La vielle grand-mère assise sur le rebord du baquet
Tresse une couronne d’immortelles artificielles
Pour l’enfant naturel
Et la fille est piétinée
La famille pieds nus
Piétine piétine et piétine
C’est la vendange de la famille
La vendange de l’honneur
La jeune fille de la maison crève
Dans le fond …
A la surface
Des globules de savon éclatent
Des globules blancs
Globules blêmes
Couleur d’enfant de Marie …
Et sur un morceau de savon
Un morpion se sauve avec ses petits
L’horloge sonne une heure et demie
Et le chef de famille et de bureau
Met son couvre-chef sur son chef
Et s’en va
Traverse la place de chef-lieu de canton
Et rend le salut à son sous-chef
Qui le salue …
Les pieds du chef de famille sont rouges
Mais les chaussures sont biens cirées
Il vaut mieux faire envie que pitié.
2. Analyse
Résumé du texte :
Le poème traite d’une lessive qui se déroule dans la maison fermée d’Edmond. Ce dernier habite le chef-lieu d’un canton, il occupe le poste d’un chef de bureau, il est chef de famille. Celle-ci se compose de lui, de son épouse, de leur fille, de leur fils et d’une grand-mère. Il y a aussi un petit chat et un perroquet. Beaucoup de vers décrivent en détail la lessive et tous les objets que l’on retrouve dedans.
Il ne s’agit pas d’une lessive de linge, mais du lavage de leur fille. Celle-ci est enceinte. Et toute la famille s’épuise à la laver, de façon brutale. Elle est piétinée jusqu'à la mort. La grand-mère fabrique une couronne. La lessive meurtrière, qui n’est en autre qu’un infanticide perpétré, le chef de famille quitte la maison, très bien habillé, pour allez à son bureau. Il agit comme si de rien était.
La bourgeoisie :
« Il faut laver le linge sale en famille « est une expression que M. Edmond utilise pour caractérise l’endroit dans lequel il vit. Il vit dans la propreté (au sens propre), c’est a dire : laver, brosser, frotter, avec de l’eau et du savon. Tout doit être parfaitement propre et carré avant de sortir, comme ses chaussures cirées.
Il y a ensuite la propreté au sens figuré: sa fille attend un enfant naturel (enfant conçu en dehors du mariage, très mal vu dans la société bourgeoise) et personne ne doit le savoir. Il verrouille donc sa maison pour ne rien laisser paraître.
Un autre caractéristique de la bourgeoisie est la ponctualité car à une heure et demie exactement, M. Edmond quitte la maison pour retourner au bureau. Il y a aussi les bonnes manières et la politesse. « Le chef rend le salut... « Il y a le respect des traditions.
L’honneur compte le plus car il apparaît 5 fois. Le déshonneur et la honte, sont considérés comme une faute grave. Donc, pour ne pas déshonorer la famille, la fille mère doit mourir. Jacques Prévert montre bien que cette société est caractérisée par un fossé séparant l’être et le paraître. Elle soigne sa vision extérieure au détriment de l’intérieur qui renferme de biens moches surprises.
L’honneur qui est la grande valeur de la bourgeoisie, est pour Jacques Prévert le premier des soucis. Pour dénoncer tout ce qui est faux, il associe la soutane (« vêtement de dessous «) et la feuille de vigne censée cacher le sexe, à un caleçon de vaudeville qui lui, trahit une légèreté morale. Il dénonce aussi l’hypocrisie qui change les lettres des créanciers en lettres d’amour, et les lettres d’amour en lettres anonymes (vers 32 et 33).
La famille et la religion :
Ce poème de Jacques Prévert est engagé contre la famille et à la religion. La famille est ici liée à l’infanticide et à l’avortement. Le chef de famille devient chef d’exécution. Cette scène se passe à l’abri des regards des gens du quartier qui considère M. Edmond comme un homme distingué. Chez lui, on lave le linge sale en famille, sans témoin, à l’abri. Et pour laver la fille de son impureté, il la plonge dans le baquet familial qui est ici un purgatoire.
Jacques Prévert est aussi hostile la religion qu’il rabaisse plusieurs fois dans le poème. Tout d’abord avec la soutane qui flotte dans l’eau. Ensuite, avec le perroquet dénommé Saint Esprit et enfin avec la grand-mère au « regard surnaturel « d’un être divin. Elle est ici un être divin, sous-entendu inhumain qui assiste sans intervenir à un double meurtre.
Il s’en prendre aussi à la Vierge Marie avec les bulles de savon du bain qui sont de sa couleur.
Le style de Jacques Prévert :
On observe que le poème de JP l ne respecte pas les règles de la poésie traditionnelle. Il n’y a pas de rimes et il ne respecte pas la forme. Il n’y a pas de ponctuation sauf les points de suspension. Il y a un énumération des vers 30 à 40 où il fait l’inventaire de l’eau du baquet.
Jacques Prévert utilise différentes associations comme la famille et la Sainte Trinité, et la grand-mère et un être divin. Il mélange le sens propre et le sens figuré. Le terme « il faut laver « qui s’emploie souvent au sens figuré, est ramener à son sens propre. Le mot « tache « arrive au même but. Il y a beaucoup de répétitions, notamment le mot « Honneur « grâce à une anaphore. Cela montre l’importance de la bourgeoisie. Enfin, il y a l’enchaînement de « chef de famille / et de bureau / couvre-chef / sur son chef / chef-lieu / sous-chef «, qui est très exagéré.
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