Analyse du début du Chant V au vers 230 - L'Odyssée, Homère
Publié le 16/10/2010
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Dans la majorité des écrits des Anciens, la destinée tient un rôle essentiel dans le développement de l'histoire. L' Odyssée ne fait pas exception à la règle et l'errance d'Ulysse -ainsi que ses péripéties dans l'Iliade- est déterminée par la volonté des Dieux. Dans ce passage plus précisément, qui constitue la première journée de la partie sur le retour d'Ulysse, on assiste à un démonstration du caractère inéluctable de la fatalité. Cependant, cette question de la destinée fait débat chez de nombreux spécialistes et nous nous demanderons avec eux, dans ce commentaire, quelle est la part d'Ulysse dans l'accomplissement de sa destinée; est-elle entièrement soumise aux caprices des Dieux ou lui laisse-t-elle une marge d'initiative propre? Pour tenter de répondre à cette interrogation, nous nous pencherons tout d'abord sur le rôle d'Athéna et de Zeus et nous demanderons quelle place tient chacun d'eux auprès du héros. Puis nous nous intéresserons au cas d'Hermès et de la Nymphe Calypso et tenterons de savoir quelles sont leur utilité dans le récit et donc dans le destin d'Ulysse. Enfin, nous examinerons les caractères du héros lui-même afin de déterminer s'il est entièrement soumis aux divinités citées précédemment ou bien si certaines choses lui incombe tout de même.
Quand on analyse l'influence des Dieux de l'Olympe sur la destinée d'Ulysse, il convient de se pencher tout d'abord sur Athéna. En effet, elle intervient dès le début de l'épopée comme divinité favorable au héros, puis régulièrement dans tout le déroulement du récit. Plus particulièrement dans le passage qui nous intéresse, elle apparaît dans le tout début du premier vers pour plaider la cause du retour d'Ulysse au conseil des Dieux.
1er vers: Et Athéna leur rappelait les nombreuses traverses d'Odysseus, et se souvenait de lui avec tristesse parce qu'il était retenu dans les demeures d'une Nymphe.
Le complément « avec tristesse « montre bien l'attachement que la Déesse porte au mortel. C'est également elle qui énonce pour la première fois la situation d'Ulysse, que le public ignorait jusqu'alors, preuve qu'elle suit avec attention ses pérégrinations, mais qui atteste aussi d'une compréhension divine inaccessible aux mortels.
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La déesse commence son discours par une plaidoirie qui laisse à penser que l'époque d'Homère n'était pas étrangère à ce que nous conviendrons d'appeler la « pré-rhétorique «.
1er vers: _ Père Zeus, et vous Dieux heureux qui vivez toujours, craignez qu'un roi portesceptre ne soit plus jamais doux, ni clément, mais que, loin d'avoir des pensées équitables, il soit dur et injuste, si nul ne se souvient du divin Odysseus parmi ceux sur lesquels il a régné comme un père plein de douceur.
Ici, Athéna entend prophétiser l'inversion de l'ordre du monde si justice n'est pas rendue aux justes, c'est un procédé très habile car il s'adresse précisément à un public qui définit cet ordre du monde, c'est-à-dire les Dieux de l'Olympe. Elle continue ensuite sa plaidoirie par une énumération des souffrances d'Ulysse, démonstration du propos selon lequel le héros qu'elle protège se trouve dans une grande injustice. Cependant, si Athéna présente ses revendications devant le conseil des Dieux, ce n'est pas pour autant qu'elle est impuissante à influer sur la destinée des mortels, comme le fait d'ailleurs remarquer Zeus juste après sa plaidoirie:
2ème vers: _ […] N'as tu point délibéré toi-même dans ton esprit pour qu'Odysseus revînt et se vengeât? Conduis Télèmakhos avec soin, car tu le peux[...].
En effet, il convient de ne pas oublier qu'Athéna est une déesse olympienne et qu'à ce titre, elle appartient à la famille régnante, c'est-à-dire qu'elle est légitime pour peser, en bien ou en mal, dans la destinée des mortels qu'elle choisit. On l'a d'ailleurs vue précédemment conseiller Télémaque à la recherche de son père, plus tard, elle aidera Ulysse a se faire accepter chez les Phéaciens. Toutefois, le fait qu'elle aie besoin de réunir le conseil pour décider du retour d'Ulysse montre bien qu'elle ne peut prendre certaines décision seule. À son niveau, elle peut prendre forme humaine pour conseiller les mortels, ou encore commander aux divinités inférieures tels que les vents, mais pas décider de la poursuite d'une destinée. Pour cela, elle doit se référer à l'autorité suprême, Zeus, patriarche et roi de l'Olympe. Pour étudier le rapport de Zeus à la destinée du personnage principal, nous examinerons tout d'abord l'ordre d'entrée en scène des personnages. En effet, le Dieu apparaît dès la deuxième phrase du chant, et se place directement comme supérieur aux autres Dieux:
[…] et au milieu d'eux était Zeus qui tonne dans les hauteurs et dont la puissance est
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la plus grande.
Sa position au centre du conseil des Dieux définit Zeus, par extension, comme centre du monde olympien et du monde en général, c'est lui qui préside, et donc décide. L'épithète homérique « qui tonne dans les hauteurs « lui confère une attitude surplombante, une vue d'ensemble que ne semble pas posséder les autres Dieux, il est celui qui détient le savoir global et détermine le début et la fin de chaque action. Enfin, le superlatif « la plus grande « lui attribue un pouvoir d'action supérieur au reste du conseil. Ainsi le maître de l'Olympe est le premier personnage à apparaître dans le chant et se place immédiatement comme le responsable de toute décision du conseil. Si l'on considère que le conseil des Dieux s'apparente à un tribunal, le fait qu'Athéna, dans le rôle de l'orateur, s'adresse d'abord à lui dans le premier vers indique qu'il tient le rôle de juge, c'est lui qui rend les sentences après avoir pesé les différents arguments. D'autre part, l'emploi de l'impératif, dès le second vers indique que sa parole est perfective, c'est-à-dire qu'elle implique forcément un acte de la part de l'allocutaire. Cela signifie également qu'il est celui qui donne les instructions, celui qui dirige l'action, comme le montre cette injonction à Hermès:
_ Hermésias, qui est le messager des Dieux, va dire à la Nymphe aux beaux cheveux que nous avons résolu le retour d'Odysseus. Qu'elle le laisse partir. Sans qu'aucun Dieu,ou qu'aucun homme mortel ne le conduise, sur un radeau uni par des liens, seul et subissant de nouvelles douleurs, [...]
L'emploi du verbe « résoudre « indique ici un résultat, en effet, Athéna lui a exposé plus haut un problème, et lui statue en dernier lieu au nom de tous et décide de la marche à suivre. Cet extrait témoigne aussi du rôle de médiateur qu'assume Zeus. En effet, il donne satisfaction à sa fille en ordonnant le retour d'Ulysse, mais en tant que roi des Dieux Olympiens, et donc de garant de la justice et de l'égalité entre ses sujets, il se doit de faire respecter également les décrets des autres Dieux. Ainsi, le fait qu'il destine Ulysse à rentrer « seul et subissant de nouvelles douleurs « indique une volonté de faire appliquer le décret de Poséidon qui condamne Ulysse à une longue errance; et celui d'Hélios le vouant à la solitude; en plus de celui d'Athéna.
Les Dieux de l'Olympe assurent donc ici le rôle très important de décideurs du destin d'Ulysse, ce qui semble logique car étant donné leur statut de famille régnante ils se doivent d'assumer la marche du monde et donc de régler la vie des individus. Ainsi la prise de parole d'Athéna va motiver le
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retour d'Ulysse dont elle est la protectrice, et en ce sens, elle joue un rôle très important dans l'accomplissement de son destin, cependant le jugement définitif revient à Zeus, garant de l'intégrité de la parole de chacun des Dieux de son rang. Toutefois, il ne faut pas omettre de citer Hermès lorsque l'on parle des Dieux olympiens, dont il est un représentant à part entière, membre de la même génération qu'Athéna et fils de Zeus. Même s'il ne joue à première vue aucun rôle sur le cours de la vie d'Ulysse, il convient tout de même de se pencher sur son personnage.
En effet, Hermès semble n'intervenir que pour obéir aux ordres de Zeus, son père ; cependant, il tient tout de même une place importante dans le récit car il assume le transfert de l'univers de l'Olympe au monde de la Nymphe Calypso.
5 eme vers: […] s'envolant vers la Péirè, tomba de l'Aither sur la mer et s'élança, rasant les flots, […] innombrables
Hermès quitte le monde des Dieux de l'Olympe (l'éther) pour arriver dans un espace naturel (la mer et l'île). Toutefois, on peut noter qu'il n'y a pas de passage par la civilisation, on reste dans un temps et dans espace mythologique où les distances sont différentes:
Zeus m'a ordonné de venir malgré moi […] car qui parcourrait volontiers les immenses eaux salées où il n'y a aucune ville d'hommes mortels qui font des sacrifices aux Dieux et leurs offrent de saintes hécatombes?
En plus de situer l'espace, cette réplique ré-implique Hermès dans une hiérarchie où il est le subordonné de Zeus, mais aussi comme supérieur à la Nymphe qui n'est pas une déesse olympienne, et ne reçoit donc pas de sacrifices. C'est d'ailleurs comme représentant de l'autorité olympienne qu'Hermès intervient chez la Calypso. C'est d'ailleurs pour cette raison qu'il se pare de tous ses attributs divins: 4 eme vers
il attacha aussitôt ses belles sandales, immortelles et d'or, qui le portait, soit au dessus de la mer, soit au dessus de la terre immense, pareil au souffle du vent. Et il prit aussi la baguette, à l'aide de laquelle, il charme les yeux des hommes, ou les réveille, quand il le veut.
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Ce même Messager des Dieux assure donc la liaison entre l'Olympe et le monde de Calypso, contrainte comme lui d'obéir aux ordres de Zeus. Ainsi, pour comprendre ce personnage de la Nymphe et le rôle qu'elle joue auprès du héros, il convient tout d'abord d'en faire la présentation. L'île de calypso constitue la dernière étape de l'errance d'Ulysse, cachée au milieu de la mer dans un espace qui, comme nous l'avons dit précédemment n'appartient ni au monde divin, ni au monde humains, elle retient le héros prisonnier dans un entre-deux mythologique, dissimulant sa présence aux mortels. En effet, Calypso signifie étymologiquement, « celle qui cache «, ce qui signifie également qu'elle peut être menteuse et dissimulatrice. D'ailleurs, les différents protagonistes de l'Odyssée montrent à plusieurs reprise la méfiance qu'ils éprouvent vis-à-vis d'elle. Hermès d'abord au septième vers, puis Ulysse neuvième vers:
7 eme vers: (Calypso) _ Je lui répèterai volontiers et ne lui cacherai point ce qu'il faut faire pour qu'il revienne sain et sauf dans la terre de sa patrie. (Hermès) _ Renvoie le dès maintenant, afin d'éviter la colère de Zeus et de peur qu'il s'enflamme contre toi à l'avenir.
Il faut noter qu'Hermès répète ici l'ordre de Zeus, sa mise en garde contre la colère de Zeus est elle aussi révélatrice du caractère fourbe de la Nymphe, qui pourrait être tentée de désobéir par quelque stratagème. D'autre part, elle s'est elle-même trahie en employant le lexique du voile. Quand à Ulysse, il est tout de suite saisi de doute quand la Nymphe lui parle de son départ:
9 eme vers: Certes, tu as une autre pensée, Déesse,que celle de mon départ puisque tu m'ordonne de traverser sur un radeau les grandes eaux de la mer, difficiles et effrayante, [...]. Je ne monterais point, comme tu le veux, sur un radeau, à moins que tu ne jure par le grand serment des dieux que tu ne prépares point mon malheur et ma perte .
Tout comme Hermès, la parole simple de la Nymphe ne suffit pas à le convaincre de sa bonne foi et il lui faut des garanties supplémentaires. Entant que Nymphe, Calypso est aussi magicienne et quiconque pénètre sur son territoire enchanteur est aussitôt envouté par la magie et la beauté du lieu. Hermès ne faisant pas exception à la règle, alors même qu'il lui est supérieur, le paradoxe se situe dans le fait qu'Ulysse, héros mais 5
simple mortel, semble affranchit de cet enchantement, ce qui nous amène à nous demander quels rapport la Nymphe entretien avec lui. Les sentiments qu'elle éprouve à son égard sont dévoilés dans la longue tirade qu'elle fait à Hermès et qui suit l'annonce du départ d'Ulysse dans le septième vers:
Vous êtes injustes, ô Dieux, et les plus jaloux des autres Dieux, et vous enviez les Déesses qui dorment ouvertement avec les hommes qu'elles choisissent pour leurs chers maris. […] ainsi maintenant vous m'enviez parce que je garde auprès de moi un homme mortel que j'ai sauvé et recueilli seul sur sa carène, après que Zeus eut fendu d'un jet de foudre sa nef rapide au milieu de la mer. [..] Et je l'aimai et je le recueillis, et je me promettais de le rendre immortel et de le mettre pour toujours à l'abri de la vieillesse. Mais il n'est point permis à tout autre Dieu de résister à la volonté de Zeus tempétueux.
En plus de marquer sa subordination aux Dieux olympiens, ce long monologue est sans doute le reflet de l'époque, où les hommes avaient plus de droits au libertinage que les femmes. Mais plus encore, il témoigne d'un amour violent dont on apprendra au huitième vers qu'il n'est pas partagé. Ainsi, Calypso se place comme l'antithèse d'Athéna, dont l'amour protecteur et maternel tend à pousser efficacement le héros sur le chemin du retour, épousant ses désirs. À l'inverse, l'amour de la Nymphe s'avère passionnel et destructeur, espérant en vain garder Ulysse éternellement avec elle, sédentarisant l'errance, à l'opposé de l'ambition du héros. Cependant, cet amour à sens unique, qui emprisonne Ulysse pendant sept ans, réalise la prophétie du cyclope et le décret de Poséidon, la Nymphe intervenant donc sans le vouloir dans la réalisation de la destinée d'errance prévue par ce dernier.
Ainsi, Hermès comme Calypso n'ont aucun pouvoir sur la destinée d'Ulysse et subissent les arrêts des Dieux qui leur sont supérieurs. Cependant, chacun d'eux y tient un rôle fondamental; le premier comme représentant de Zeus, des décrets de ce dernier et donc du destin; la seconde comme objet de difficulté au retour d'Ulysse, réalisant les prophéties d'autres Dieux plus puissants. Le messager et la Nymphes ne sont donc pas des manipulateur du destin du héros, mais des agents de la destinée, sans qui cette dernière ne pourrait s'accomplir. Mais qu'en est-il du héros lui-même? Ne pouvant être ni décideur, ni réalisateur de son destin, n'est-il finalement qu'un simple pantin ou a-t-il quelque rôle à jouer dans ce jeu compliqué?
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Pour tenter de comprendre l'implication d'Ulysse dans sa destinée, nous nous intéresserons encore une fois à l'ordre d'entrée en scène des personnages. À l'inverse de Zeus, Ulysse n'apparait " physiquement " pour la première fois qu'au neuvième vers, et ce dans un passage qui n'en comporte que douze. Cette entrée dans le chant coïncide également avec son apparition dans l'histoire, et outre l'effet de suspens, on peut se demander quelle symbolique se cache derrière cette entrée en scène tardive. On peut noter une apparition progressive du héros dans le texte et c'est Athéna qui la première, donne une indication sur Ulysse:
1 er vers: Elle se souvenait de lui avec tristesse parce qu'il était retenu dans les demeures d'une Nymphe
Puis le discours se précise et l'on apprend qu'il s'agit de Calypso, qu'elle retient Ulysse dans une île, et qu'il a perdu navires et compagnons, autrement dit qu'il se trouve dans un lieu inaccessible dont il ne peut se sortir seul. La progression continue ensuite avec l'arrivée d'Hermès chez Calypso:
6 eme vers: Et Hermès ne vit pas dans la grotte le magnanime Odysseus, car celui-ci pleurait, assis sur le rivage, déchirant son cœur de sanglots et de gémissements, il regardait la mer agitée et versait des larmes.
En plus de situer géographiquement et socialement le héros, on en apprend davantage sur son état. Ulysse souffre de nostalgie; étymologiquement les mots grecs nostos et algos signifient respectivement retour et douleur, autrement dit, le héros souffre de ne pouvoir s'en retourner « dans la chère terre de sa patrie «. Le fait qu'il regarde la mer en sanglotant caractérise également son impuissance face à la nature, la Nymphe et à la volonté des Dieux, il ne peut rien tenter par luimême qui ne le condamne à mort. Le huitième vers apporte encore une ultime précision sur le héros, juste avant le dialogue entre ce dernier et Calypso- et donc sa première apparition:
8 eme vers: […] et sa douce vie se consumait à gémir dans le désir du retour car la Nymphe n'était point aimée de lui.
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S'en suit une description de ses journées destinée à conforter ce propos, mais aussi à indiquer que malgré les douceurs que proposent l'île et la Nymphe, tout l'être du héros n'est tendu que vers l'espoir du retour. On laisse donc ici entrevoir la détermination d'Ulysse à rentrer à Ithaque, détermination, certes passive, mais qui se confirmera plus tard dans le chant, ainsi que dans tout le récit à venir. Ainsi, avant même l'apparition du héros, on assiste à un dévoilement progressif de son état géographique et social ainsi qu'à une définition de son caractère. Son arrivée tardive dans le récit témoigne de la mise en place d'un processus narratif visant à faire ressentir à l'auditeur, la main mise quasi totale des différentes divinités sur la destinée d'Ulysse et sont impuissance à poursuivre son chemin par lui-même. Impuissance illustrée par l'état de nostalgie dans lequel se trouve le héros. Cependant, la dernière citation nous a laissé entrevoir la détermination d'Ulysse à ne pas céder à la douceur de vivre sur l'île de Calypso, témoignant d'un désir pur de rentrer à Ithaque. Nous allons voir que ce n'est pas là sa seule résistance. En effet, la divine amoureuse use de maints autres stratagèmes -dont le premier consiste à cacher le héros chez elle dans l'espoir que personne ne vienne l'y chercher- et d'un trésor de rhétorique pour tenter de garder Ulysse auprès d'elle:
7 eme vers: (Calypso) […] et je me promettais de le rendre immortel et de le mettre pour toujours à l'abri de la vieillesse.
Ce premier argument de l'immortalité a sans doute été proposé à Ulysse qui doit déjà l'avoir refusé, car il est toujours mortel. En déclinant l'offre, c'est la tentation du pouvoir éternel qu'il refuse pour une vie d'errance dont il ignore la fin, faisant preuve d'une foi remarquable en son destin. Plus loin, on assiste aux ultimes efforts de la Nymphe pour s'opposer au départ d'Ulysse, dans une longue tirade:
11 eme vers: (Calypso) _ Si tu savais dans ton esprit combien de maux il est dans ta destinée de subir avant d'arriver à la terre de la patrie, certes tu resterais ici avec moi, dans cette demeure, et tu serais immortel, bien que tu désire revoir ta femme que tu regrettes tous les jours. Et certes, je me glorifie de ne lui être inférieure ni par la beauté, ni par l'esprit,car les mortelles ne peuvent lutter de beauté avec les immortelles.
Ainsi Calypso offre-t-elle pour la dernière fois à Ulysse, le choix de continuer son errance vers Ithaque ou de rester auprès d'elle comme Immortel et jouir des plaisirs de l'île pour l'éternité. 8
Elle représente ici l'obstacle de l'Amour, qui pourrait détourner le héros de son but premier, mais il préfère retrouver sa femme « inférieure en beauté et en majesté « plutôt que d'épouser une déesse; sa détermination étant donc bien la plus forte. Enfin, elle lui oppose l'ultime argument de la souffrance, déjà tant endurée par Ulysse, mais celui-ci résiste aussi bien à la peur qu'au désir:
12 eme vers: J'ai déjà beaucoup souffert dans les flots et dans la guerre; que de nouvelles misères m'arrivent, s'il le faut.
Par ces mots, Ulysse fait un choix, celui d'accepter sa destinée, seule liberté de mouvements que les Dieux lui accordent, il devra donc à sa détermination, son retour à Ithaque.
Ainsi, la destinée d'Ulysse se tient presque entièrement entre les mains des Dieux de l'Olympe, qui décrètent tant le retour que l'errance,sous la coupole de Zeus qui entérine les décisions de chacun. Cependant, l'accomplissement de ces volontés divines n'est rendue possible que par le truchement de ce que nous avons convenu d'appeler " le agents de la destinée ", ici Hermès et Calypso, lesquels servent de médiateurs entre l'Olympe et Ulysse, obéissant contre leur gré aux ordres de Zeus car totalement soumis -comme le reste du monde- au roi de l'Olympe. De Zeus à Ulysse, la part de liberté de mouvement qu'il reste au héros semble bien minime, pourtant nous avons démontré dans la dernière partie qu'elle existait bel et bien. En effet, une fois la destinée d'Ulysse décidée en haut lieu puis transmise au héros, il lui incombe la responsabilité d'accepter sa destinée ou de la refuser, le libre-arbitre devenant ainsi l'acteur final de l'accomplissement du destin. Ce choix étant motivé par la puissance de la détermination dont fait preuve le héros, c'est peut-être même le caractère héroïque d'Ulysse qui lui permettra finalement de retourner à Ithaque.
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