Alcool d'apollinaire entre imaginaire et réel
Publié le 05/12/2010
Extrait du document
Premier grand recueil d'apollinaire, Alcools, compilant 15 ans d'écriture poétique rend compte de tout un pan de l'existence de son auteur, de sa sensibilité et de son époque.
Sa poésie est façonné tout à la fois par son expérience personnelle, ses nombreux voyages, ses déboires amoureux, le rapport même qi’il entretient avec la poésie et par une culture livresque gargantuesque : la mythologie, les histoires bibliques, les contes et la littérature médiéval sont autant de domaine participant de l’imaginaire collectif et dans lequel Apollinaire puise continuellement son inspiration.
Ces 2 grandes sources d'inspirations ne sont pas pour autant cloisonnés, chez Apollinaire, les frontières entre le réel et l'imaginaire sont poreuses et sa poésie est marquée par une nette propension au vagabondage.
Comment Apollinaire fait-il se goupiller les éléments du réel, tout ce qui à trait à la réalité objective, notamment les faits-bruts de son histoire personnels, avec les éléments qui tiennent à l’imaginaire, ?
Qu’est ce que l’imaginaire ? Notons d’abord une importante veine mythologique qui est loin de se borner à la seule mythologie Grec allié à l’imaginaire au sens strict, non collective, à savoir ce qui est le produit pur de l’esprit et de la subjectivité d’Apollinaire..
Cette osmose entre ces 2 univers est présente dans l’ensemble du recueil mais ressort de manière particulièrement frappante à travers certaines thèmes forts du recueil.
Celui de l’impossibilité de l’amour en premier lieu, de la souffrance qui l’accable en conséquence, et celui du voyage, à travers les régions et les villes, qui sont également l’occasion d’un voyage intérieur pour le poète..
I / Apollinaire face à lui-même
I / La quête de l’amour
Le thème de l'amour impossible avec, en toile de fond, la figure de la femme inaccessible, sont une constante inspiration à la création poétique d'Apollinaire.
Une inspiration qu'il tire de son propre vécu : son amour à sens unique avec Annie Playden, qui l'éconduit à plusieurs reprises avant de fuir en Amérique, sera un crève-coeur impitoyable pour Apollinaire.
Et pour mettre en relief son abattement, et appuyer son malheur, Apollinaire, plutôt que l’épanchement sentimental, va allier celui-ci à de grands épisodes mythologiques ou religieux.
Aussi la poursuite d'Annie à Londres dans La Chanson du Mal Aimée est assimilée à celle des Hébreux par Pharaon, mais là où ce dernier finit par s’engloutir dans la mer, le poète lui s’enlise dans sa douleur.
Une douleur qui trouvent ses racines dans la nature même de la femme. Il convoque la fidélité et la loyauté qu'observait sa femme et son chien à Ulysse « Lorsqu’il fut de retour enfin/ Dans sa patrie le sage Ulysse/Son vieux chien de lui se souvient/Près d’un tapis de haute lisse/Sa femme attendait qu’il revint «. Des qualités qu'il attribue à la femme dans le mythe et l'imaginaire pour mieux les lui renier dans la réalité car pour Apollinaire, la quête de l’amour n’est jamais menée qu’en pure perte.
Cette quête impossible va constituer une hantise pour le poète, ses souvenirs vont devenir un fardeau qui pèse sur une grande partie de son œuvre.
2/ Un passé lancinant : la poésie comme un viatique
C'est de la réalité de ses souvenirs douloureux, provoqué notamment par cet amour contrarié, qu'il entend faire le deuil dans Le Brasier. Un peu à l’image d’Orphée qui devint poête en faisant le deuil de sa bien-aimée, et de qui Apollinaire se réclame, il va s’employer à se débarrasser de ses vieux démons et faire le deuil et ses amours impossibles.
Par le mythe du feu purificateur, qui ici renvoie notamment à Hercule lorsque,, en proie au supplice de la tunique de Nessus, consumé par le feu, il finit par accéder au statut de demi-dieu, Apollinaire s’immole symboliquement dans Le Brasier de sorte que "il n'y a plus rien de commun" entre lui et "ceux qui craignent les brûlures". Il consacre ainsi son statut de poète, et s’attribuant les pouvoirs que la mythologie leur conférait, il se compare à Amphion, celui qui déplaçait les pierres et avait fabriqué les remparts de Thèbes grâce à sa seul lyre « Le fleuve épinglé sur la ville/T’y fixe comme un vêtement/Partant à l’amphion docile/Tu subis tous les tons charmants/Qui rendent les pierres agiles).
Il évoque enfin un "troupeau de sphinx" qui vivrait dans une sphingerie, s'inspirant lointainement de la créature fabuleuses. Lesquelles ici semblent posséder la clé de son destin.
Cette vision du poète capable de produire des prodiges par la seul force de son art est un motif récurrent chez Apollinaire puisqu’on le retrouve également dans des poèmes comme La Maison des Morts où celui-ci, invitant les morts à une promenade, les ramène à la vie, ou encore Merlin et la vieille dame où par la magie (l’art poétique) il rallume une passion ancienne avec son amie « Morgane « rajeunie mais où ces « béatitudes « ne « sont rien qu’un pur effet de l’Art «. Les pouvoirs qu’Apollinaire prête à la poésie outrepassent donc sans peine le cadre de la réalité rationnelle.
3/ La femme vénéneuse.
Apollinaire va également avoir recours à l'imaginaire pour brosser un portrait de la femme à l'origine de ses malheurs, une créature tour à tour fascinante et dangereuse, en tout cas inaccessible, à l'image de celles que dépeignaient KLIMT. Ainsi Marie Laurencin, mais surtout Annie, trouvent leur pendant imaginaire dans certains poêmes, quelquefois dans les hauteurs des montagnes (mai) ou dans les profondeurs de l'eau (Lorelei) mais toujours hors de portée du poète. On trouve déjà ses différentes facettes dans un des refrains de la "Chanson du mal aimée", elle est reine, murène, sirène. Balayant par là même toutes ses caractéristiques : inaccessible, séduisante et dangereuse.
C'est cette première facette que décrit Apollinaire dans "1909", en s'inspirant de la réalité de la mode de son époque, il dresse le portrait d'une femme parée de toutes les grâces, "si belle que tu n'aurais pas osé l'aimer" le danger qu'elle représente n'est laissé suggérer que par la couleur violine de sa "robe ottoman". Couleur qui fait écho au poème "colchiques", plante vénéneuse (dans le même registre, il parlera aussi de "fausse oronge"). Apollinaire reprend ici le mythe de la femme-fleur de Ronsard mais l'inverse pour la rendre conforme à sa propre vision, bien plus noire. On entre enfin définitivement dans le mythe sous la forme de la Lorelei, cette sirène légendaire qui par la beauté de ses chants distrayait les bateliers qui finissait par s’emboutir dans un récif pour enfin sombrer.
II/ Apollinaire et le monde
1/ Le voyageur
Autre thème majeur où se mêle à la fois le réel et l'imaginaire, celui du voyage, Apollinaire ayant beaucoup voyager à travers l'Europe, sa poésie prends souvent racine dans des paysages qui lui sont familiers : les maisons rouges dans "La Chanson du Mail-Aimée" évoque les constructions en brique très couru à Londres qui se confondent ici avec l'imaginaire du poète meurtri"Au tournant d'une ruelle brûlant/De tous les feux de ses façaces/Plaies du brouillard sanguinolent" la réalité objective se brouille à mesure que les doléances du poète s’accentuent pour finir, avec le refrain, par quitter l’univers sensible et rejoindre celui des songes avec « les blancs ruisseaux de Chanaan « terre promise où était censé coulé du lait et du miel et l'univers des astres "Voie lactée", "Nébuleuses". Laissant ainsi suggèrer que la réalisation de son amour n'est possible que dans les songes. Le retour à la réalité s'opérant peu à peu avec la description de Paris, lieu d'errance, en fin de poème.
Evoquant son voyage en Allemagne, Apollinaire laisse encore aller son imagination en nous décrivant le Rhin souriant, le leviathan qui « gémit « au fond du Rhin, Le Rhin ivre où "les vignes se mirent" "Tout l'or des nuits tombe en tremblant s'y refléter" : l'or du rhin, ses ondines, sa Lorelei, Apollinaire effleure tous ses mythes. La personnification du Rêve « Herr Traum « et du soucis « Frau Sorge « qui s’invite dans le cadre réaliste et quotidien du poème « Les Femmes « consacre la proximité du fantastique et du réel.
Apollinaire dans la description d’un paysage montagneux de la banlieu luxembourgeoise dans Les Voyageurs observe les « ombres barbues « avec « leurs lances en avant «..rappelant les romans de chevalerie.
A cette vision folklorique, s'oppose une vision terre-à-terre bien plus sombre cette fois du paysage urbain dans Marizbill "Dans la Haute-Rue à Cologne/ Elle allait et venait le soir/Offerte à tous en tout mignonne/Puis buvait lasse des trottoirs/Très Tard dans les brasseries borgnes"..
Enfin parfois, le voyage n'est que pure imagination et pure poésie, destiné à conjurer la fatalité par la création poétique. Il en va ainsi de la poursuite d'Annie en Amérique où les indications géographiques ne parviennent guère à travestir la dimension fantasmatique de ce voyage où le climat aride du Texas laisse place a des "jardins de roses" et des routes bordés de "tilleul"
2/La Modernité
La célébration de la modernité donne lieu chez Apollinaire à quelques échappées oniriques, la ville et ses monuments sont souvent personnifié « Bergère, Ô Tour Eiffel, le troupeau des ponts bêle ce matin «, « Cavalerie des ponts «. L'ascension de l'avion est mise en parallèle avec celle du christ, il décrit une nuée improbable d'oiseaux venus de tous les coins du monde parmi lesquelles le phénix, créature mythologique symbolisant la rédemption, pour "fraterniser avec la volante machine" dans une espèce d'inauguration œcuménique de la modernité.
Une impression confirmée quand le poète va retrouver sa ville Auteuil pour dormir parmi ses "fétiches d'Océanie et de Guinée" marquant une invitation au songe et au dépaysement.
Enfin, dans vendémiaire, hymne à la modernité, Apollinaire convoque plusieurs fois des figures de la mythologie grecque (Ixion, Scylla, L’Hydre) comme ici « Nos cheminées à ciel ouvert engrossent les nuées, comme fit autrefois l’Ixion mécanique « mêlant par l’anachronisme « Ixion mécanique « le monde antique et le monde moderne, l’imaginaire et la réalité.
Le recueil d’Apollinaire est fidèle à son titre : il offre un dérèglement permanent de la perception de la réalité, laquelle ici tient lieu avant tout de matériau de base à partir de laquelle travail le poète, sa pensée, à l’image de sa versification qui se joue des normes, est désinhibé et ne connaît aucune frontières .Cela se justifie par un but : Apollinaire veut traverser les siècles « Hommes de l’avenir, souvenez vous de moi « dit-il dans la première strophe de Vendémiaire. Cette fusion est donc une manière de dépasser sa propre expérience, et de s’approprier par elle l’Histoire de l’humanité dans laquelle il cherche sa place (cf Cortège)..
Laissant une importante place aux songes, son œuvre est également précurseur du mouvement surréaliste dont il a inventé le nom.
Liens utiles
- L'art relève-t-il du réel ou de l’imaginaire
- Le monde réel et le monde imaginaire.
- Quelle personne éprouve un sentiment de danger (réel ou imaginaire) devant l'état de « non-servitude >>, devant le pouvoir spirituel de dire oui ou non ?
- Peut-on déceler entre imaginaire et réel des relations plus subtiles, peut-être même une complémentarité ?
- Est-il vrai que le réel et l'imaginaire n'existent jamais ensemble ? Peut-on distinguer absolument le réel de l'imaginaire ?