Albert THIBAUDET ( 1874-1936) Le roman, autobiographie du possible
Publié le 15/01/2018
                            
                        
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Albert THIBAUDET ( 1874-1936)
Le roman, autobiographie
du possible
\"L'esthétique du roman\" d'où ce texte est extrait, a été publiée dans le numéro de la Novelle Revue Française du 1er août 1912 avant d'être repris dans le recueil de Réflexions sur le roman, en 1938. Les formules sur le roman conçu comme une \"auto¬biographie du possible, ont joué un grand rôle dans la conception que les auteurs contem¬porains se sont faite de la création romanesque. Thibaudet, en 1912, prenait sur plus d'un point le contre-pied des positions que Bourget venait d'exprimer dans les Pages de critique et de doctrine.
«
                                                                                                                            Robesp ierre , son  Napo léon,  ont  une  vie puissante  et monotone,  pensée 
a  pr ior i, organisée  non pas autour  d'une  âme  mais autour  d'une  défin ition, 
d' une  faculté  maîtresse.
                                                            
                                                                                
                                                                     Ils témo ignent  d'un génie  d'interprétat ion par 
l'ab strait,  non de réalisati on dans  le concret,  et ce  génie  est mal  à  sa  place 
hors  de l'histoire .
                                                            
                                                                                
                                                                    La  raideur  naturelle  à ses  ligne s,  c'est toujours  vers 
Sten dhal  que Taine  se tou rnait  pour  essayer  de la déte ndre  et d'ép ouser 
plus  près la sou plesse  de la vie.
                                                            
                                                                                
                                                                     Cha que  année,  nous dit-il,  il relisait  La 
Chartreuse  de Parme.
                                                            
                                                                                
                                                                    
Observons  que, des deux  héros,  Étienne  Mayran  est raconté  dans une 
au tobiog raphie de  Taine,  tandis que  Julien  Sorel est  composé  par Sten dhal 
assez  objective ment,  à l'occasion  d'une  cause  célèbre  jugée  aux  assises  de 
Gre nob le.
                                                            
                                                                                
                                                                    Ce  n'est  pas  seule ment  la différence  de deux  écrivains  qui nous 
occu pe, mais  celle de deux  genres.
                                                            
                                                                                
                                                                    Il est  très  rare qu'un  auteur qui  s'expose 
dans  un roman  fasse de lui  un individu  vivant.
                                                            
                                                                                
                                                                    Des  Mémoires  donnent bien 
l 'im pression  de la vie,  ma is tou t autre  que celle  d'un  roman.
                                                            
                                                                                
                                                                     Balzac,  qui 
luttait  contre  l'état-civil,  a mis  au jour  une  fois  au moins  un personnage 
am orphe,  un enfant  qui n'a pas un  trait  de l'en fant  : c' est  lorsqu'il  a vou lu 
se  racon ter lui-même  et qu'i l  a écrit  Lou is Lam bert.
                                                            
                                                                        
                                                                     Et Lou is Lam bert nous 
do nne  peut-être  dans son didactisme  la clef  théorique  de cette  faculté  du 
vrai  romanc ier, qui  crée  des personna ges avec  sa substance  propre  (ce que 
Ba lzac  comm e Sc hopen hauer  appelle sa Volonté)  et, livré  à eux,  cesse  d'être 
intéressant  pour lui- même,  soit  qu'un  tel état devienne  chez lui, par l'entraî
ne ment  professionnel,  une habitude,  comme  pou r Balzac,  ou qu'un  égoïste 
comme  Stendha l  y trouve  un alibi  moment ané, ou qu'i l flotte,  comme  c'est 
l' ord inai re, entre  ces deux  types  extr êmes.
                                                            
                                                                                
                                                                    En  d'au tres  termes , le  roma ncier 
authenti que crée  ses personnages  avec les dire ctions  infinies  de sa  vie  possib le, 
le  roma ncier  factice  les  crée  avec  la ligne  unique  de sa vie  réelle.
                                                            
                                                                                
                                                                     Le  vrai 
roma n est  comm e une  autobiog raphie  du possible,  la biograph ie par  Sextus 
Tar quin  de tous  ces Sextus  Tarquins  que, dans  l'apolog ue qui  term ine La 
Théodicée  de Leibnitz , la  divinité  montre à Sex tus  peuplant  à l'in fini  l'infinité 
des  mondes  possibl es.
                                                            
                                                                                
                                                                    Il semble  que certains  hommes,  les créate urs de vie, 
apportent  la  conscience  de ces  existences  possibles  dans  l'ex istence  réelle.
                                                            
                                                                                
                                                                    
S'i ls  prennent  pour  sujet de  leur  œuvre  cette existence  réelle, elle  se réduit 
en  cendre,  elle  devient  fantôme,  sous  la ma in qui  la touche .
                                                            
                                                                                
                                                                    Elle  a eu sa  vie, 
elle  n'a pas  droit  à une  autre .
                                                            
                                                                                
                                                                    Le  génie  du roman  fait  vivre  le possible , il 
ne  fait  pas revivre  le réel .
                                                            
                                                                                
                                                                    De  chaque  coulée,  il exige  qu'elle  soit  de source, 
et  vier ge.
                                                            
                                                                                
                                                                    
Réflexions sur le roman,  N.R.F.,  rer août  1912, pp.
                                                            
                                                                                
                                                                     II-I2..
                                                                                                                    »
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- Thibaudet Albert, 1874-1936, né à Tournus (Saône-et-Loire), critique littéraire français.
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 - « Le romancier authentique crée ses personnages avec les directions infinies de sa vie possible ; le romancier factice les crée avec la ligne unique de sa vie réelle. Le génie du roman fait vivre le possible : il ne fait pas revivre le réel. » En vous appuyant sur des exemples précis, vous commenterez ce jugement d’Albert Thibaudet.
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