A. Cotta, Réflexions sur la grande transition
Publié le 15/05/2020
Extrait du document
Si l'on examine les caractéristiques de cette grande croissance du point de vue des échanges internationaux, l'ampleur de l'évolution apparaît plus grande encore et confirme la propagation au niveau de l'espèce du modèle industriel dans une interdépendance croissante des activités humaines. Au moins trois grandes caractéristiques de cette expansion des échanges mondiaux doivent être signalées. La première est qu'il s'agit d'un évolution qui réalise une intégration, c'est-à-dire plus qu'une solidarité mondiale, telle que l'espèce humaine ne l'avait jamais connue. Cette intégration est d'abord la conséquence d'une propension croissante de toutes les économies à l'exportation. Partout les exportations croissent beaucoup plus vite que le produit national - pour la France deux fois plus vite. De plus le phénomène s'accroît continûment de décennie en décennie et se généralise — aux pays en voie de développement et aux économies socialistes qui commencent à s'intégrer, elles aussi, à l'espace mondial à partir de la fin des années 1960. Pour le monde, dans son ensemble, les exportations croissent de 13,4 % par an entre 1968 et 1 972 alors que le PNB n'augmente que de 5,8. Mais cette tendance à l'exportation est loin d'être la seule manifestation de l'intégration mondiale. Il faut, aussi tenir compte de la propension croissante à la délocalisation des activités. Certains pays (Royaume-Uni, Allemagne, Etats-Unis, Japon, France... ) installent une fraction croissante de leurs activités en territoire étranger. La notion de Produit national y perd une partie de sa signification. Chaque nation est, par l'intermédiaire de ses citoyens, à l'origine de deux productions, l'une nationale, l'autre extérieure qui atteint, pour certaines, plus de 1 0 % de la première. Ainsi devient-il de plus en plus légitime de considérer l'existence d'une production nationale consolidée qui contient les deux productions, interne et externe. Mais il convient plus encore de retenir qu'une telle évolution se fait par l'intermédiaire des stratégies d'expansion des grandes firmes multinationales qui composent entre leurs activités des filières (transnationales) qui traversent les nations, échappent souvent à leurs contrôles et à leurs instruments de mesure. En moins de trente ans, l'intégration mondiale est devenue, sans qu'on y prenne garde, l'une des réalités
II s'agit, selon l'auteur de« la grande croissance qui aura emporté le monde entier de 1 945 à 1 973 ». Cet extrait, qui se situe au début de l'ouvrage, est donc une introduction à l'analyse de« la grande transition », née de la» rupture » de 1973-1974.
«
Exercices
d'application 95
les plus contraigna.ntes et les plus complexes, mettant en jeu des pou
voirs différents, firmes, Etats et organisations internationales.
Or, seconde caractéristique majeure d'une grande croissance
devenue mondiale, cette intégration a pu s'opérer sans aucun trouble
sinon très passager et finalement mineur.
On atteste le fait que, durant
près de trente ans, les balances des paiements de toutes les grandes
économies aient pu être équilibrées en moyenne période, pour certai
nes, comme la France, au prix de quelques manipulations de change
mais sans que leur croissance en soit menacée ou ralentie.
Certes,
l'Europe connaît durant la décennie 1950 les difficultés d'approvision
nement en dollars (dites dollar-gap) mais celles-ci cessent à mesure
qu'avance la décennie 1 9 60 pour se renverser au début des années
1 970.
De même les difficultés des P1:lYS en voie de développement les
plus démunis sont partiellement résolues par une politique internatio
nale de redistribution partielle des revenus.
Presque tous les pays déve
loppés restent excédentaires sur l'ensemble de la période.
La stabilité
du système monétaire international de Brettons Woods peut s'affirmer
jusqu'en 1 971 et garantir la sécurité des opérations sur les grands
marchés, réels et financiers, mondiaux.
Mais, troisième caractéristique de l'intégration mondiale, ce
mouvement ne va pas sans une inégalité, elle-même croissante, entre
les grands protagonistes (pays développés, pays socialistes et pays en
voie de développement) de l'industrialisation de l'espèce.
L'évolution
des parts relatives de ces trois grandes zones, économiques et poli.ti
ques, dans les échanges mondiaux, le montre bien.
En 1950, au
début de la grande croissance, les pays développés représentent
63,5 % des échanges mondiaux; en 1973 leur part s'est accrue
jusqu'à 73,5 %.
Comme celle des pays socialistes reste à peu près
constante, les PVD font les frais du rôle accru des pays développés.
Ceux-ci représentaient, en 1 9 50, 2 7, 5 % des échanges mondiaux et
seulement 16,8 % en 1973.
La raison essentielle de cette évolution
tient à une baisse du prix relatif des produits de base en termes de pro
duits manufacturés qui excède 40 % entre 1950 et 19 72.
Or ce phé
nomène constituait le seul point noir d'une intégration mondiale conti
nue puisque y étaient de moins en moins associés tous les pays qui
permettaient par leurs produits de base, à commencer par l'énergie,
aux pays développés d'animer par leur propre croissance celle du reste
du monde.
Mais les inégalités croissantes ne préoccupent que très
modérément ceux à l'avantage desquels elles jouent.
L'intégration fut
donc vécue jusqu'en 197 3 pour ses seuls avantages : ceux d' échan
ges internationaux et de délocalisations profitables aux entreprises et
aux nations qui les contenaient.
■ A.
Cotta,
Réflexions sur la grande transition,
Presses Universitaires de France, 1 979, pp.
16 à 1 9..
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- Quelles réflexions vous suggère cette idée de J.-F. Herschel : « Pour bien observer, il faut une grande étendue de connaissances » ?
- Au terme de l'Avant-propos placé en tête de son livre Matière et Lumière, Louis de Broglie écrit : « On peut légitimement aimer la science pour ses applications, pour les soulagements et les commodités qu'elle a apportés à la vie humaine, sans oublier toutefois que la vie humaine restera toujours, de par sa nature même, précaire et misérable. Mais on peut, pensons-nous, trouver une autre raison d'aimer l'effort scientifique, en appréciant la valeur de ce qu'il représente. En effet, com
- Denis de Rougemont, dans sa Lettre ouverte aux Euro-péens (1970), écrivait : n il s'agit d'éveiller chez les jeunes le désir d'habiter demain une grande cité européenne ; s'ils le veulent, ils la bâtiront. Quelles réflexions vous inspire cette phrase
- Commentez ces réflexions de Cl. Mauriac (André Breton, Grasset, 1949) de l'activité surréaliste : «Le surréalisme n'aurait-il rien apporté d'autre qu'une critique des modes traditionnels de la connaissance et de l'expression que notre dette à son égard serait encore immense. Nous aurons à voir s'il n'a fait que cela et comment il l'a fait. Nous devinons tout de suite qu'une entreprise aussi gigantesque ne peut se solder que par un échec. Si le surréalisme pose mieux les problèmes qu'il
- Georges Seurat, Un Dimanche apr s-midi à l’ le de la Grande Jatte, 1884–1886