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3. LA SAINTETÉ EST LA MÊME PARTOUT EN DÉPIT DE LA

Publié le 23/10/2012

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3. LA SAINTETÉ EST LA MÊME PARTOUT EN DÉPIT DE LA DIVERSITÉ DES DOGMES Pour approfondir et compléter ce que, dans un exposé tout abstrait et tout général, nous avons appelé la négation du vouloir-vivre, il faut étudier les préceptes moraux donnés, absolument dans le même esprit, par des hommes pénétrés du même sentiment ; nous verrons ainsi combien ces vues sont anciennes, quelque nouvelle que puisse être leur expression purement philosophique. La plus voisine de nous, parmi toutes ces doctrines, c'est le christianisme, dont la morale est animée du même esprit, non seulement de l'esprit de charité, poussé à ses limites extrêmes, mais de l'esprit de renoncement ; ce second esprit se trouve déjà en germe, mais très apparent dans les écrits des apôtres... Ces tendances se développèrent petit à petit, et donnèrent naissance aux ascètes, aux anachorètes, aux moines ; c'étaient là de pures et saintes institutions, mais qui ne pouvaient s'étendre qu'à un très petit nombre d'hommes ; un développement plus considérable ne devait amener qu'hypocrisie et abomination, car abusus optimi pessimus. Plus tard, quand le christianisme est organisé, nous voyons ce germe ascétique s'épanouir complètement, dans les écrits des saints et des mystiques. Tous prêchent non seulement la pureté de la vie, mais la résignation complète, la pauvreté volontaire, le vrai calme, l'indifférence absolue aux choses de la terre, l'abnégation de la volonté, l'enfantement en Dieu, l'oubli entier de soi-même et l'anéantissement dans la contemplation de Dieu. On trouve là-dessus un exposé très détaillé, dans Fénelon, Explication des maximes des saints sur la vie intérieure. Mais nulle part l'esprit du christianisme, dans son dveloppement, n'a été plus parfaitement et plus fortement exprimé que dans les écrits des mystiques allemands, chez maître Eckhard et dans son livre si célèbre La théologie allemande... Les prescriptions et les enseignements qui y sont contenus sont l'exposé le plus complet, parti de la conviction la plus profonde, de ce que j'ai présenté comme la négation du vouloir-vivre... Maintenant, nous allons retrouver bien plus développé, exprimé, avec une complexité et une force bien plus grandes qu'on ne pouvait s'y attendre dans le monde occidental, chez les chrétiens, ce que nous avons appelé la négation du vouloir-vivre, dans les antiques ouvrages de la langue sanscrite... Dans la morale des Hindous, telle que nous la connaissons actuellement, si imparfaite que soit notre connaissance de leur littérature, nous voyons prescrire, sous les formes les plus variées, de la façon la plus saisissante, dans les Védas, les Pouranas, dans leurs poèmes, leurs mythes, leurs légendes sacrées, leurs sentences et leurs préceptes de conduite : l'amour du prochain avec le renoncement absolu de soi-même, l'amour universel embrassant non seulement l'humanité, mais tout ce qui vit ; la charité poussée jusqu'à l'abandon de ce qu'on gagne péniblement chaque jour ; une patience sans borne à supporter les outrages ; le paiement du mal, si dur que cela puisse être, par la bonté et l'amour ; la résignation volontaire et joyeuse aux injures, l'abstention de toute nourriture animale, la chasteté absolue, le renoncement aux voluptés, par celui qui s'efforce vers la sainteté parfaite... Des préceptes observés si longtemps par un peuple qui compte des millions d'individus, imposant des sacrifices si lourds, ne peuvent pas être une fantaisie inventée à plaisir, mais ils doivent avoir leur racine dans le fond même de l'humanité. Ajoutons qu'on ne peut assez admirer l'accord qu'il y a entre la conduite d'un ascète chrétien ou d'un saint et celle d'un Hindou, lorsqu'on lit leur biographie. A travers les dogmes les plus différents, au milieu de moeurs et de circonstances également étrangères les unes aux autres, c'est la même tendance, la même vie intérieure de part et d'autre. Les mystiques chrétiens et les philosophes du Védanta se rencontrent encore sur ce point, qu'ils considèrent le sage, arrivé à la perfection, comme affranchi des oeuvres extérieures et des pratiques de la religion. Un tel accord, en des temps et chez des peuples si différents, montre bien qu'il n'y a pas simplement ici, comme le soutient la platitude optimiste, de la folie ou une aberration du sentiment, mais que c'est la manifestation d'un des côtés essentiels de la nature humaine — manifestation d'autant plus rare, qu'elle est plus sublime. (Monde, I, 404-7.) C) LA NÉGATION DU VOULOIR-VIVRE DEUXIÈME MANIÈRE D'Y ARRIVER I. LE DÉSESPOIR Il faut presque toujours que de grandes souffrances aient brisé la volonté, pour que la négation du vouloir puisse se produire. Nous ne voyons un homme rentrer en lui-même, se reconnaître et reconnaître aussi le monde, se changer de fond en comble, s'élever au-dessus de lui-même et de toute espèce de douleurs, et, comme purifié et sanctifié par la souffrance, avec un calme, une béatitude et une hauteur d'esprit que rien ne peut troubler, renoncer à tout ce qu'il désirait naguère avec tant d'emportement et recevoir la mort avec joie, nous ne voyons un homme en arriver là, qu'après qu'il a parcouru tous les degrés d'une détresse croissante, et qu'ayant lutté énergiquement, il est près de s'abandonner au désespoir. Comme la fusion d'un métal s'annonce par un éclair, ainsi la flamme de la douleur produit en lui la fulguration d'une volonté qui s'évanouit, c'est-à-dire de la délivrance. Nous voyons même les plus grands scélérats s'élever jusque-là ; ils deviennent tout autres, ils se convertissent... L'approche de la mort et le désespoir ne sont pas d'ailleurs absolument indispensables pour arriver à cette purification par la douleur. Un grand malheur ou une grande souffrance peut aussi amener en nous la notion très vive de la lutte du vouloir-vivre avec lui-même, et nous faire comprendre l'inutilité de l'effort. Aussi on a vu souvent des hommes dont l'existence tumultueuse avait été en proie au conflit des passions, des rois, des héros, des aventuriers, se convertir soudainement, et, tout entiers à la résignation et au repentir, se faire moines ou solitaires. C'est à cela que reviennent toutes les histoires de conversion, comme celle de Raimond Lulle, qui, après avoir longtemps poursuivi une belle, en obtint un jour un rendez-vous ; comme il touchait au comble de ses voeux, celle-ci défit son corsage et découvrit un horrible cancer qui lui rongeait le sein. Aussitôt, comme s'il eût aperçu l'enfer, il se convertit, quitta la cour du roi de Majorque et se retira dans la solitude pour y faire pénitence. L'histoire de la conversion de l'abbé

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