T. C. 8 juill. 1963, SOCIÉTÉ ENTREPRISE PEYROT, Rec. 787
Publié le 01/10/2022
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«
COMPÉTENCE - CONTRATS
T.
C.
8 juill.
1963, SOCIÉTÉ ENTREPRISE PEYROT, Rec.
787
(S.
1963.273, concl.
Lasry; D.
1963.534, concl.
Lasry, note Josse;
J.
C.
P.
1963.II.13375, note Auby; R.
D.
P.
1963.776, concl.
Lasry;
R.
D.
P.
1964.767, note Fabre et Morin;
A.
J.
1963.463, chr.
Gentot et Fourré;
A.
J.
1966.474, chr.
Colin; Gaz.
Pal.
1964.2.58, note Blaevoet).
Cons.
que la Société de l'autoroute Esterel-Côte d'Azur, concession
naire, dans les conditions prévues à l'art.
4 de la loi du 18 avr.
'1955, de
la construction et de l'exploitation d'une autoroute, a passé avec
!'Entreprise Peyrot un marché pour l'exécution de travaux nécessaires à
la construction de cette autoroute; que !'Entreprise Peyrot impute à la
Société de l'autoroute Esterel-Côte d'Azur des manœuvres dolosives
destinées à l'inciter à renoncer à ce marché et estime avoir subi de ce
fait un préjudice dont elle demande réparation à cette société;
Cons.
qu'aux termes de l'art.
4 de la loi du 18 avr.
1955 portant
statut des autoroutes, « L'usage des autoroutes est en principe gratuit.
Toutefois, l'acte déclaratif d'utilité publique peut, dans des cas excep
tionnels, décider que la construction et l'exploitation d'une autoroute
seront concédées par l'État à une collectivité publique, ou à un
groupement de collectivités publiques, ou à une chambre de commerce,
ou à une société d'économie mixte dans laquelle les intérêts publics
sont majoritaires.
Dans ce cas, la co1.1vention de concession et le cahier
des charges sont approuvés par décret pris· en Conseil d'Etat, après avis
526
LES GRANDS ARRÊTS ADMINISTRATIFS
des collectivités locales-directement intéressées; ils peuvent autoriser le
concessionnaire à percevoir des péages pour assurer l'intérêt et l'amortissement des capitaux investis par lui, ainsi que l'entretien et, éventuellement, l'extension de l'autoroute»;
Cons.
que la construction des routes n_ationales a le caractère de
travaux publics et appartient par nature à l'Etat; qu'elle est traditionnellement exécutée e'n régie directe; que, par suite, les marchés passés par le
maître de l'ouvrage pour cette exécution sont soumis aux règles du droit
public;
Cons.
qu'il doit en être de même pour les marchés passés par le maître
de l'ouvrage pour la construction d'autoroutes dans les conditions prévues
par la loi du 18 avr.
1955, sans qu'il y ait lieu de distinguer selon que la
construction est assurée de manière normale directement par l'État, ou à
titre exception,.nel par un concessionnaire agissant en pareil cas pour le
compte de l'Etat, que ce concessionnaire soit une personne morale de
droit public, ou une société d'économie mixte, nonobstant la qualité de
personne morale de droit privé d'une telle société; qu'ainsi, quelles que
soient les modali_tés adoptées pour la construction d'une autoroute, les
marchés passés avec les entrepreneurs par l'administration ou par son
concessionnaire ont le caractère de marchés de travaux publics; que,
par suite, les contestations relatives à l'exécution de ces marchés sont
au nombre de celles visées par les dispositions de l'art.
4 de la loi du
28 Pluviôse de l'an VIII; que, dès lors, l'action susanalysée engagée par
l'Entreprise Peyrot contre la Société de l'autoroute Esterel-Côte d'Azur
relève de la compétence de la juridiction administrative; ...
(Juridictions
de l'ordre administratif déclarées compétentes).
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.,
OBSERVATIONS
I.
- Vne loi du 18 avr.
1955 a fixé le statut des autoroutes.
Elle dispose dans son art.
4 que la construction et l'exploitation
d'une autoroute peut, à titre exceptionnel, être concédée à une
collectivité publique, à une chambre de commerce ou « à une
société d'économie mixte dans laquelle les intérêts publics sont
majoritaires-».
La société de l'autoroute Esterel-Côte d'Azur a
été constituée en application de ce texte; elle a reçu la concession de l'autoroute _par une convention approuvée par un·
décret en Conseil d'Etat en date du 21 mai 1957.
La société a
passé des marchés avec des entrepreneurs pour la construction
de l'autoroute.
L'un de ces contrats a donné lieu à litige; son
titulaire, la société Entreprise Peyrot, a éprouvé des difficultés
financières, et a été admis au bénéfice du règlement judiciaire;
la société et son administrateur judiciaire ont reproché à la
société de l'autoroute d'avoir, par des manœuvres dolosives,
incité son cocontractant à renoncer au marché; ils lui ont
demandé à ce titre une indemnité s'élevant à plus d'un million
de francs.
, Le litige a été porté d'abord devant le tribunal de grande
instance de Foix, qui s'est reconnu incompétent; la Cour
d'appel de Toulouse a estimé au contraire que le litige relevait
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1963,- SOCIÉTÉ
ENTREPRISE PEYROT
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de la compétence de la juridiction administrative.
S'inclinant
devant cette décision, l'entreprise a saisi- le Tribunal administratif de Nice; ce dernier, ayant une opinion contraire à celle de
la Cour de Toulouse, a saisi de cette question de compétence le
Tribunal des Conflits en application des dispositions du décret
du 30 juill.
1963 qui ont pour objet d'éviter la naissance d'un
conflit négatif.
Le Tribunal des Conflits a tranché en faveur de la c9mpétence administrative par un arrêté dont le fondement juridique
·
et la portée pratique ont donné lieu à discussion.
II.
- A.
- Le problèiµe juridique soulevé par cette affaire
se rattache au développement des nouveaux modes d'actions de
la puissance publique.
De plus en plus souvent, l'État agit non 1
pas directement, mais par personne interposée; ses missions, 11
- même les plus traditionnelles, sont confiées à des organismes
de statut privé;tels que des sociétés, associations, mutuelles ou
syndicats.
Dans le domaine des grands travaux et des opérations d'urbanisme, la technique le plus couramme nt utilisée est
celle des sociétés d'économi e mixte; ces sociétés, dont beaucoup
sont des filiales de la Caisse des dépôts et consignations, sont
constituées par des capitaux publics et privés, les premiers
étant, le plus souvep.t, fortement majoritaires; soumises à un
contrôle étroit de l'Etat, elles sont chargées de missions d'études, de construction, d'exploitation.
L'association de ces organismes privés, à forme commerciale, à I'èxécution des services
publics, pose inévitablement des questions de répartition entre
le droit public et la compétence administrative, d'une part, et
d'autre part le droit privé et la compétence judiciaire.
Naturellement, la convention passée par l'État avec la société
d'économi e mixte et les actes qui s'y rattachent ont un caractère
administratif, conformément au droit commun des concessions;
c'est ainsi que le Conseil d'État a eu l'occasion de statuer sur
un recours pour excès de pouvoir contre le décret approuvan t
la convention passée par l'État avec la société de l'autoroute
Esterel-Côte d'Azur (C.E.
30 juin 1961, Groupement de défense
des riverains de la route de l'intérieur, Rec.
452; S.
1961.344,
concl.
Kahn; D.
1961.663, concl.
Kahn, note Josse; A.
J.
1961.646, concl.
Kahn).
D'autre part, les travaux exécutés par ces sociétés sont des '\
travaux publics.
Cette notion s'applique, en ef~et, selon la
définition traditionnelle, a11x travaux immobiliers exécutés dans
un but d'intérêt général· pour le compte d'une collectivité
publique (C.E.
10 juin 1921, Commune de Monségur*); il n'est
pas nécessaire qu'ils soient exécutés directement par une collectivité publique, ils peuvent l'être aussi bien par une persqnne
privée.
Les autoroutes sont construites pour le compte de l'Etat, \
,même lorsque les travaux sont confiés à une société d'économi e l
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mixte; iÎ s'agit donc de travaux publics, et la juridiction
administrative est compétente pour connaître des dommages
qu'ils peuvent causer aux tiers ou aux usagers.
C'est pour la qualification des contrats passés par la société
avec les entrepreneurs qu'apparaissent les difficultés.
La juris:
prudence a, en effet, posé en principe que seuls les contrats
passés par une personne publique ont un caractère administra
tif; ce n'est pas une condition suffisante, car le contrat doit, en
outre, porter sur l'exécution du service public ou contenir des
clauses exorbitantes du droit commun, ou bien relever du droit
public par détermination de la loi; mais c'est une condition
nécessaire.
C'est ainsi que les contrats passés par un conces
sionnaire de travaux publics ou de service public avec un
entrepreneur, ou les contrats passés par l'entrepreneur avec ses
sous-traitants, ses · fournisseurs, ses assureurs, ses.
banquiers,
sont toujours des contrats de droit privé (v.
nos _observations
sous C.E.
20 avr.
1956, Époux Bertin*).
Ce principe.
ne
connaissait traditionnellement qu'une exception, dans le cas où
la personne privée qui a passé le contrat agit comme manda
taire d'une· personne publique : c'est ce qui a été jugé, par
exemple, pour le contrat d'exploitation d'une plage, passé par
un syndicat d'initiative au nom de la commune (C.E.
18 déc.
1936, Prade, Rec.
1124; D.
1938.370, note P.-L.
J.; S.
1938.3.57, note Alibert), ou pour les marchés relatifs à la
reconstruction d'une église, assurée .
par une coopérative de
reconstruction dont la commune était membre (C.E.
2 juin
1961, Leduc, Rec.
365; A.
J.
1961.345, concl.
Braibant; la
même solution a été adoptée pour des contrats passés par le
Crédit foncier de France avec des rapatriés pour le compte de
l'État (C.E.
18 juin 1976, Dame Culard, Rec.
320; A.
J.
1976.579, note D�rupty).
Le Conseil d'Etat a appliqué ces principes aux marchés
passés par les sociétés d'économie mixte pour la construction
des autoroutes; bien que ces sociétés soient investies d'une
mission de service public et que leurs éontrats se réfèrent aux
cahiers des prescriptions communes et des clauses administrati
ves générales des Ponts et Chaussées, il à décliné la compétence
de la juridiction administrative pour connaître de ces contrats,
par le motif qu'ils sont conclus entre deux personnes privées, la
société d'économie mixte et l'entrepreneur (C.E.
20 déc.
1961,
Société de l'autoroute Esterel-Côte d'Azur, Rec.
724; J.
C.
P.
,1962.II.12732, note Alexandre; A.
J.
1962.288, chr.
Galabert et
Gentot).
Dans sa décision Entreprise Peyrot, le Tribunal des•
Conflits a adopté la solution inverse, à .propos d'un autre
marché passé par la même socié.té pour la construction de la
même autoroute.
B.
- Le Tribunal des Conflits n'a pas entendu remettre en
cause la jurisprudence antérieure.
Contrairement à l'opinion
d'une partie de la doctrine, il a admis que les sociétés d'écono
mie mixte, qui sont soumises au statut des sociétés anonymes,
sont des organismes de droit privé.
Il a d'autre part maintenu
le principe selon lequel les contrats passés par des personnes
privées ne peuvent avoir un caractère administratif, même s'ils
se rattachent à l'exécution du service public ou· s'ils comportent
des clauses exorbitantes du droit commun.
S'il a d_érogé en l'espèce à ce principe, c'èst essentiellement,
semble-t-il, pour des motifs d'opportunité, qui ont été dévelop
pés dans les conclusions du commissaire du gouvernement
Lasry et dans le commentaire du président Josse.
Le recours ,
aux sociétés d'économie mixte pour les grands travaux et les'
opérations d'urbanisme est aujourd'hui largement répandu; il
serait fâcheux que, pour des travaux de même nature, 1� régime .
juridique applicabl� soit différent selon qu'ils sont exécutés i
directement par l'Etat ou confiés à _une société d'économie l
mixte; il est souhaitable, d'autre part, que ces travaux soient · ·
dans leur ensemble, quelle que soit la formule utilisée, soumis \
'au droit public et que leur contentieux soit réglé par le juge
administratif; ils seront ainsi régis par les principes généraux r
des contrats administratifs, comme ceux de l'imprévision ou de
la mutabilité, qui ont été posés par le Conseil d'État en
fonction de préoccupations d'intérêt général.
Il s'agissait en
somme d'éviter, sur le plan juridique, la « privatisation» des
grands travaux de l'État.
Le commissaire du gouvernement a proposé de fonder cette
solution sur la théorie du mandat en s'appuyant sur les caractè
res des sociétés d'économie mixte et sur la volonté du législa' teur.
Il a relevé que si « ces sociétés restent, en la forme, des
sociétés commerciales», « les moteurs traditionnels de l'initia
tive privée leur font entièrement défaut : d'une part la maîtrise
de l'affaire échappe aux apporteurs de capitaux privés, puisque
les intérêts publics sont majoritaires dans les assemblées géné
rales et commandent la formation des conseils d'administra
tion; · d'autre part toute perspective de profits proprement
commerciaux est proscrite»; elles se distinguent ainsi du
concessionnaire classique qui prend pour lui les aléas, les
risques et les profits de l'affaire.
La loi de 1955 le confirme en'
imposant aux .sociétés concessionnaires d'autoroutes une parti
cipation publique majoritaire et en grevant les péages d'une
affectation qui exclut toute possibilité de bénéfice.
Et le com
missaire du gouvernement de conclure que «....
»
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