T. C. 27 mars 1952, Dame DE LA MURETTE, Rec. 626
Publié le 01/10/2022
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«
COMPÉTENCE
LIBERTÉ INDIVIDUELLE
T.
C.
27 mars 1952, Dame DE LA MURETTE, Rec.
626
(S.
1952.3.81, note Grawitz; D.
1954.291, note Eisenmann;
R.
D.
P.
1952.757, note Waline; J.
C.
P.
1952.II.7158, note Blaevoet:
Rev.
Adm.
1952.268, note Liet-Veaux)
Cons.
que l'action engagée par la dame de la Murette devant le
tribunal d'Issoire, en vue d'obtenir réparation du dommage qui a été
causé à l'intéressée par son internement administratif était dirigée
contre l'État :
Cons.
que, si l'art.
112 du code d'instrnction criminelle, tel qt/il a été
modifié par l'art.
2 de la loi du 7 févr., 1933, interdit à l'autorité
préfectorale d'élever le conflit d'attribution dans les cas d'atteinte à la
liberté individuelle visés par cet article et spécifie que les tribunaux de
l'ordre judiciaire sont toujours exclusivement compétents, il résulte de la
combinaison des prescriptions dont s'agit et de l'ensemble des règles
relatives à la séparation des pouvoirs que lesdites prescriptions ne
,s'appliquent que dans le cas où l'instance est engagée contre les agents
publics qui se sont rendus coupables de telles infractions, sans qu'il y ait
lieu d'ailleurs de distinguer, en cette hypothèse, suivant la nature de la
faute qu'ont pu commettre lesdits agents; que, lorsque l'État est mis en
cause, la compétence pour statuer sur les conclusions présentées contre lui
se règle d'après les principes généraux qui gouvernent la responsabilité de
la puissance publique;
Cons., à la vérité, qu'il appartient à l'autorité judiciaire gardienne de
la liberté'individuelle de statuer sur les conséquences de toùs ordres des
atteintes arbitraires à cette liberté, celles-ci ayant par elles-mêmes le
caractère d'une voie de fait; mais que cette règle reçoit exception dans le
cas où des circonstances exceptionnelles empêchent de reconnaître ce
caractère aux atteintes dont s'agit :
Cons.
qu'il résulte des circonstances diverses où se sont opérés
l'arrestation et l'internement de la dame de la Murette et sans même
qu'il soit besoin de faire état de l'arrêté du préfet du Puy-de-Dôme du
9 févr.
1945 et de l'arrêté confirmatif du commissaire régional de la
République en date du 22 mars 1945, qui ont prétendu régulariser ledit
internement, que celui-ci, non plus que l'arrestation, n'a pas revêtu, en
l'espèce, le caractère d'une voie de fait;
Cons.
qu'il résulte de ce qui précède que c'est à bon droit que le
préfet du Puy-de-Dôme a élevé le conflit d'attribution dans l'ins
tance; ...
(Arrêté de conflit confirmé).
OBSERVATIONS
L'arrêt ci-dessus rapporté fournit un remarquable exemple
'd'une matière où interviennent à la fois, et souvent en des sens
opposés, des données législatives, des constructions jurisprudentielles et des controverses doctrinales.
I.
- La requérante avait été arrêtée, en septembre 1944,
sans mandat judiciaire ni arrêté d'internement administratif.
Sa
détention, qui s'était prolongée jusqu'en février 1945 sans
qu'elle eût été interrogée une seule fois, avait été accompagnée
de mauvais traitements et de sévices.
A quelle juridiction
devait-elle s'adresser pour obtenir réparation du préjudice que
lui avaient causé ces mesures arbitraires? Tel est le problème
qu'avait à résoudre le Tribunal des Conflits.
La loi du 7 févr.
1933 sur les garanties de la liberté individuelle avait donné l'art.
112 C.
instr.
crim.
la rédaction
suivante : « Le conflit d'attributions ne peut jamais être soulevé, et les tribunaux de l'ordre judiciaire sont toujours exclusivement compétents dans toute instance civile fondée sur des
faits qui seraient constitutifs des infractions prévues par les
art.
114 à 122 et 184 du code pénal.» (Les art.
114 à 122
C.
pén.
forment la section du code pénal intitulée « attentats à
la liberté», arrestations et détentions arbitraires, etc.; l'art.
184
vise les abus d'autorité commis par des fonctionnaires contre
des particuliers).
A première vue, ce texte signifiait que « toute
instance civile», c'est-à-dire toute de:rp.ande en dommages et
intérêts - qu'elle soit dirigée contre l'Etat ou l'agent - devait
être portée devant les juridictions judiciaires : ainsi devait être
rendu impossible le moyen dilatoire dont l'administration use
/
souvent en cette matière, à savoir l'élévation du conflit.
Cependant, dans son arrêt du 7 nov.
1947, Alexis et Wolff,
Rec.
416; S.
1948.3.101, concl.
Célier; D.
1948.472, note
Eisenmann; J.
C.
P.
1947.II.4006, concl.
Célier, note Mestre),
- suivi de nombreuses décisions analogues - , le Conseil
d'État s'était reconnu compétent pour statuer sur les conséquences d'arrestations et de détentions arbitraires : il .estimait
en effet qu'elles constituaient une faute lourde du service public
e1 relevaient par conséquent de la compétence administrative.
Le problème de la compétence n'avait pas été soulevé explicitement lors de cette affaire.
Il devait cependant être posé dans
toute son ampleur par M.
Eisenmann dans le commentaire
qu'il en avait fait (D.
1948.472): Selon cet auteur la compétence
judiciaire s'imposait en cette matière pour un triple motif.
D'une part le texte même de l'art.
112 C.
instr.
crim.
excluait
\
388
LES GRANDS ARRÊTS ADMINISTRATIFS
expressément la compétence administrative.
La théorie de la
voie de fait devait, d'autre part, entraîner le même résultat, car
s'il a jamais existé un acte manifestement insusceptible de se
rattacher à l'application d'un texte législatif ou réglementaire,
c'est bien l'arrestation ou la détention arbitraire.
La théorie de
l'autorité judiciaire gardienne de la liberté individuelle militait
enfin dans le même sens.
Comment expliquer, dans ces conditions, la solution de
l'arrêt Alexis et Wolff? Dans ·sa note au J.
C.
P.
1947.Il.4006,
Mestre avait indiqué que l'art.
112 C, instr.
crim.
ne visait que
les « instances civiles », c'est-à-dire les poursuites contre les
agents eux-mêmes : ces derniers se voyaient privés 'de la
protection que leur apporte l'élévation du conflit en cas de
faute de service (v.
nos observations sous l'arrêt Pelletier* du
1 30 juill.
1873) et pouvaient êtr~ poursuivis dans tous les cas;
\ quant aux poursuites contre l'Etat, elles étaient de la compétence administrative conformément au droit commun de la
responsabilité de la puissance publique.
Une autre explication
,avait été fournie par M.
Delvolvé : le Conseil d'État se serait
'déclaré compétent parce que les circonstances exceptionnelles
de 1944 avaient enlevé aux atteintes à la liberté individuelle
commises alors....
»
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