La personne morale, fiction ou réalité ?
Publié le 02/04/2020
Extrait du document
Droit civil – 2ème semestre
Première séance
Les personnes morales
Dissertation :
La personne morale, fiction ou réalité ?
Léon Duguit disait qu’il n’avait jamais déjeuné avec une personne morale, ce à quoi Jean-Claude Soyer répondait que lui non plus mais qu’il l’avait souvent vu payer l’addition. Le débat entre ceux qui considèrent que la personne morale est une réalité et ceux qui estiment au contraire que c’est une fiction est clairement exposé ici.
Une personne morale est un groupement doté de la personnalité juridique, donc titulaire lui-même de droits et d’obligations faite de la personne des membres qui le composent : société, association, syndicat, Etat, collectivités territoriales, établissements publics. S’agissant du droit privé, la cour de cassation a également affirmé que « la personnalité morale n’est pas une création de la loi ». En effet, celle-ci appartient principalement à tout groupement pourvu d’une possibilité d’expression collective pour la défense d’intérêts licites, dignes, par suite, d’être juridiquement reconnus et protégés.
Par ailleurs, le principe de personne morale n’a été concrétisé que récemment, grâce au contrat de société et également au contrat d’association promulgué par la loi de 1901 ; la première disposition expressément consacrée à la personne morale dans le Code Civil n’y a été introduite qu’avec l’article 1842 en 1978. Les personnes morales sont aujourd’hui devenues des partenaires habituels des personnes physiques dans la vie juridique.
Cependant, malgré cette omniprésence, il convient de se questionner sur leur réalité afin de déterminer ce que sont les personnes morales.
Les personnes morales ne sont-elles qu’une fiction créée par le Droit ou celui-ci ne fait-il que reconnaître la réalité qu’elles constituent ?
Il convient de voir, dans une première partie, le débat doctrinal entre ceux qui soutiennent la théorie de la réalité et ceux qui soutiennent la théorie de la fiction (I) puis, dans une seconde partie, quelle solution le droit positif amène (II).
I. Le débat doctrinal, entre fiction et réalité
Ce débat est symbolisé par un dialogue entre Léon Duguit et Jean-Claude Soyer : « Je n’ai jamais déjeuné avec une personne morale », disait Léon Duguit ; ce à quoi Jean-Claude Soyer répondait : « Moi non plus, mais je l’ai souvent vue payer l’addition ». Il convient de voir, dans un premier temps, ceux qui soutiennent que la personnalité morale tient de la fiction (A) et, dans un second temps, ceux qui considèrent que la personnalité morale est bel et bien une réalité (B).
A. La théorie de la fiction
Pour les partisans de la théorie de la fiction, les personnes morales ne sont que des créations artificielles. Savigny part du constat de l’opposition naturel entre personnes morales et physiques. Les personnes physiques sont des personnes de chair et de sang tandis que les personnes morales sont des êtres purement intellectuels, des entités abstraites. Pour lui donner une consistance, il faudrait qu’elles soient reconnues légalement. En effet, si on accepte de reconnaître la personnalité juridique à un groupement de personnes, voire à une masse de biens, une telle reconnaissance ne peut naître que d’un acte de volonté de l’État. Par conséquent, la personnalité morale est une pure fiction juridique.
«
Pour soutenir cette théorie, les partisans de la théorie de la fiction présentent alors deux
arguments principaux.
Le premier est celui de l’incapacité matérielle d’agir de la personne morale.
En
effet, les personnes morales, n’étant pas des individus contrairement aux personnes physiques, ne
disposent pas de moyens d’actions semblables à ceux dont disposent ces dernières, et ne peuvent
agir dans la vie juridique que par l’intermédiaire d’une personne se manifestant en leur nom.
Le
second est l’immortalité de la personne morale.
En effet, les personnes physiques constituant le
groupement ayant le statut de personne moral ont souvent le pouvoir de décider de la « mort » de
cette personne morale, et celle-ci peut continuer à « vivre » même après la disparition des membres
qui la composaient.
Ceci, selon les auteurs qui adhèrent à la thèse de la fiction, devrait être un
obstacle au fait de considérer un groupement comme une personne morale.
Pour les partisans de la théorie de la fiction, la personnalité morale est une fiction juridique,
fruit de la volonté de l’Etat, notamment de part son incapacité matérielle d’agir et de son
immortalité.
Il convient, à présent, de s’intéresser à leurs opposés, les partisans de la théorie de la
réalité.
B.
La théorie de la réalité
La théorie de la réalité, développée par le Doyen Geny, représente l’idée qu’une personne
morale existe, dés lors que le groupement à un intérêt distinct des intérêts individuels, et que celui-ci
a une organisation capable de dégager une volonté collective qui puisse représenter et défendre cette
intérêts.
Et, en opposition à la thèse de la fiction, ses partisans soutiennent que la reconnaissance de
l'État n’est absolument pas indispensable à l'établissement et à l’existence de la personnalité morale.
Là est l’essence même de cette théorie : seule la réalité compte.
Cependant, l’observation de cette
réalité montre que la volonté d’un groupement de personnes, par exemple, est totalement différente
de la somme des volontés individuelles de ses membres.
Par conséquent, un groupement humain, s'il
atteint un certain degré d'organisation qui lui permet d'exprimer une volonté et d'agir en
conséquence, possède par lui-même une personnalité juridique.
Remarquablement, à l’instar d’une personne physique, dont la réalité est indiscutable, une
personne morale dispose d’un nom, d’un domicile et d’une nationalité.
Cela contribue à rapprocher
personne morale et personne physique, et donc à affirmer la réalité de la personne morale.
De plus,
les personnes morales étant créées par le rassemblement de personnes physiques, cela signifie que la
personnalité est l’essence de ce groupement.
Alors, selon les partisans de la thèse de la réalité, ce
groupement possède une personnalité et n’a donc pas besoin de la reconnaissance d’une quelconque
entité extérieure pour se voir attribuer la personnalité morale.
Ce débat doctrinal présente deux théories quand à la représentation de la personne morale :
celles de la réalité et de la fiction.
Cependant, pour voir laquelle des deux domine, il faut se pencher
sur le doit positif.
II.
La solution proposée par le droit positif
Le droit positif est un ensemble de règles juridiques en vigueur dans un Etat ou dans la
communauté internationale, à un moment donné, quelle que soit leur source.
La personne morale
étant sujet de droit, le droit positif a bien dû se positionner par rapport à ces deux théories, à savoir
la théorie de la réalité et la théorie de la fiction.
Ce positionnement s’est tout d’abord fait à travers la
jurisprudence (A) puis, à travers la loi (B).
A.
A travers la jurisprudence
La Cour de Cassation, dans un arrêt de la chambre des requêtes du 23 février 1891 , consacre
la théorie de la réalité qui énonce que la personne civile n ’est pas crée par la loi, c’est-à-dire par la.
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