Commentaire de l'arrêt du Conseil d'Etat du 30 juin 2004, Département de la Vendée
Publié le 25/08/2012
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A contrario, le Conseil d'État annule certaines dispositions du règlement litigieux en se fondant une nouvelle fois sur le principe de la rupture d'égalité. Il précise en effet qu' « il ne ressort pas des pièces du dossier qu'une telle restriction, constitutive d'une rupture d'égalité entre les vedettes de la régie et celles des compagnies privées, soit rendue nécessaire par des contraintes de sécurité publique […] «. Ainsi, Le Conseil d'Etat se prononce sur ce point en faveur de la société privée Vedettes Inter-iles Vendéennes jugeant que la mission de service public dont la régie départementale est investie ne justifie pas par ailleurs que ses unités rapides soient exonérées du respect des règles édictées dans l'intérêt de la sécurité des mouvements de navires et de passagers. Le Conseil d'Etat rappelle ainsi que dès lors qu'aucune différence objective ne justifie une rupture d'égalité, celle-ci ne peut être admise.
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d'utilisation des ouvrages portuaires, mais elles peuvent se voir accorder des facilités particulières pour l'utilisation du domaine public.
La palette des prérogatives del'administration dans la gestion de son domaine public est par conséquent enrichie dans cet arrêt par rapport à la jurisprudence antérieure.
D'une part, l'administrationpeut prendre en compte les exigences du service public de transport maritime et d'autre part, elle ne doit pas « méconnaitre les règles de la concurrence ».
La Cour d'appel n'avait pas suivie cette analyse et adoptait ainsi une analyse de type néo-libérale puisqu'elle excluait que des préoccupations de protection du servicepublic puissent être intégrées dans les règles fixant les conditions d'accès aux installations portuaires.
C'est cette analyse que censure la décision « Département de laVendée » du Conseil d'État dans son considérant de principe, selon lequel s'il appartient aux personnes publiques d'ouvrir l'accès aux installations portuaires, ellesdoivent néanmoins, par une réglementation adaptée, non seulement se préoccuper d'assurer la sécurité des usagers et la protection du domaine public, mais aussiapporter au service public des facilités particulières dans l'utilisation du domaine public.
Mais pour autant, le service public n'a pas totalement carte blanche.
Le juge n'a pas admis que des restrictions d'accès soient imposées aux vedettes privées lorsqu'unpaquebot de la régie est au port alors que les unités rapides de la régie gardaient toute leur liberté d'accès.
Il a considéré en effet que dans ce cas de figure, lesrestrictions imposées aux vedettes privées n'étaient justifiées ni par les contraintes de sécurité, ni par des exigences tirées de la mission de service public des unités dela régie.
L'intérêt de cette décision se voit renforcé par la prise en considération croissante par le juge administratif des exigences du marché mais qui ne doivent pas non plusnuire pour autant aux conditions d'exploitation du service public.
Par conséquent, la conciliation de l'intérêt général et de l'initiative privée n'interdit pas d'accorderdes facilités d'exploitation au service public.
La différence réside dans le mode opératoire de l'administration et de l'appréciation du juge.
Autrefois, la seule référenceà l'intérêt général suffisait à justifier le traitement préférentiel accordé au service public (CE 16 avr.1986, « Cie luxembourgeoise de télévision »).
Dorénavant,l'administration, agissant sous le contrôle du juge, doit justifier l'adaptation des mesures à chaque situation particulière.
Le Conseil d'Etat a donc définitivement abandonné la conception classique du droit administratif selon laquelle la référence à l'intérêt général suffit à justifier letraitement préférentiel accordé au service public et la mise à l'écart de la liberté du commerce et de l'industrie.II - Les limites à l'intervention de l'action publique dans le domaine économiqueLa puissance publique peut donc accorder des facilités d'utilisation d'un domaine publique à un service chargé d'une mission de service public.
Pour autant, l'actionpublique dans l'économie est désormais encadrée par les apports de grandes décisions rendues par le Conseil constitutionnel, par exemple à l'occasion des saisinesdont il fut l'objet après les votes des lois de nationalisation et de privatisation en 1982 puis 1986.Le Conseil d'Etat avait alors à se prononcer sur la légalité des restrictions prises par l'autorité réglementaire (A) d'une part, et sur l'encadrement de l'action publiquedans le domaine économique (B) d'autre part.
A.
La légalité des restrictions prises par l'autorité réglementaire
La décision rappelle le principe applicable en la matière : « si ces mêmes collectivités et personnes morales ne sont autorisées par aucunes dispositions législatives àconsentir aux entreprises chargées d'un service publique de transport maritime le monopole de l'utilisation des ouvrages portuaires […], il leur appartient […]d'apporter aux armements chargés d'un tel service public l'appui nécessaire à l'exploitation du services et le cas échéant de leur accorder des facilités particulièrespour l'utilisation du domaine public ».
Le juge administratif admet traditionnellement que le gestionnaire du service public puisse limiter la concurrence des opérateurs économiques privés en soumettantleur activité à autorisation préalable (CE, 29 janvier 1932, Société des autobus antibois), et même puisse l'interdire de manière générale en instituant un monopole auprofit de l'activité économique publique (CE, 16 novembre 1956, Société Désaveines).
Comme il a déjà été dit, de telles limitations pouvaient se justifier nonseulement par des motifs de police (protection de l'ordre public, et notamment de la sécurité publique, par exemple, pour les services de transport pour la décision« Société des autobus antibois ») mais également par des considérations de bonne gestion du domaine public incluant la protection des intérêts du service public quil'utilise, en favorisant sa rentabilité.La jurisprudence est en revanche plus mesurée en ce qui concerne les activités se déroulant hors du domaine public, mais avec l'appui de ce dernier.
En effet, si elleadmet la restriction de l'utilisation, ils ne vont pas jusqu'à autoriser le monopole.
Le Conseil d'Etat, par une décision de 1981 « Chambre de commerce et d'industriede Toulon et du Var » refuse de justifier la restriction par la protection des seuls intérêts financiers du service public mais seulement pour la bonne exploitation duservice.
En effet, il rappelle que « s'il appartient aux collectivités et personnes morales publiques, auxquelles sont affectées ou concédées les installations des portsmaritimes, de permettre l'accès aussi large que possible des armements à ces installations, elles n'en sont pas moins corollairement en charge de fixer, par uneréglementation adaptée à la configuration des ports concernés, des conditions d'utilisation de ces installations propres à assurer la sécurité des usagers et la protectiondes biens du domaine public maritime ».Dès lors, tant la jurisprudence que la doctrine ont toujours justifié la légalité des restrictions portées à l'action d'une entreprise privée face à un service chargé d'unemission de service public que ce soit sur le fondement de l'intérêt général, du bon fonctionnement du service, etc.B.
L'encadrement de l'action publique dans l'économie
L'analyse minutieuse des données concrètes à laquelle se livre le Conseil d'Etat dans la décision « Département de la Vendée » souligne le nombre et la diversité desfondements et des limites qui circonscrivent l'exercice de ses pouvoirs par l'Administration.
Cette décision s'inspire largement de l'évolution du droit communautairequi admet des restrictions à la concurrence justifiées par les nécessités du service public.
Des grands principes économiques libéraux s'imposent aux interventions publiques à savoir le droit de propriété et la liberté du commerce et de l'industrie.
Lajurisprudence également avait déjà tenté d'encadrer l'action publique dans l'économie.
La liberté du commerce et de l'industrie a toujours connu des limites(l'ouverture des grandes surfaces est par exemple soumise à un régime spécifique d'autorisation) et même certaines interdictions (un fonctionnaire n'a pas le droitd'exercer une activité commerciale) Même en l'absence de texte limitant l'exercice de la liberté du commerce et de l'industrie, une atteinte à la liberté du commerce etde l'industrie peut être tolérée par le juge si elle obéit à un objectif d'ordre public (par exemple, l'interdiction faite aux poids lourds de circuler le lundi de Pentecôtequi n'est pourtant plus un jour férié, CE 16 mai 2007, Syndicat des transporteurs de marchandises de la région Nord).En revanche, il est impossible de porter une atteinte générale et absolue à cette liberté du commerce et de l'industrie (C.E.
22 juin 1951, Daudignac : un maire nepeut soumettre à une autorisation préalable l'exercice de la profession de photographe).
Toutefois, la position du Conseil d'Etat dans la décision « Département de la Vendée » est un peu éloignée du respect des règles de la concurrence, qui imposentl'accès aux infrastructures essentielles dans des conditions abordables et non discriminatoires.
La Commission européenne a d'ailleurs sanctionné de telles restrictions,qu'il s'agisse du refus du droit d'accès ou même de la seule limitation dans le temps du droit d'accès.
Par la décision « Département de la Vendée », le Conseil d'Etat adonc atténué l'entrave f aite aux principes de la liberté du commerce et de l'industrie et des règles de la concurrence mais sans l'abandonner totalement.
Il rappelledésormais que l'exercice des prérogatives de l'administration doit être réalisé dans le respect des règles de concurrence.
L'administration peut en effet, mais seulement« dans les limites compatibles avec le respect des règles de concurrence et du respect du principe de liberté du commerce et de l'industrie », apporter aux opérateurspublics l'appui nécessaire à l'exploitation du service et, le cas échéant, leur accorder des modalités particulières d'utilisation, qui peuvent aller jusqu'au monopole..
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