Commentaire de l'arrêt du Conseil d'Etat du 30 juin 2004, Département de la Vendée
Publié le 27/06/2012
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Par cette décision, le Conseil d'Etat estime que les entreprises chargées d'un service public de transport maritime ne peuvent pas se voir attribuer un monopole d'utilisation des ouvrages portuaires, mais elles peuvent se voir accorder des facilités particulières pour l'utilisation du domaine public. La palette des prérogatives de l'administration dans la gestion de son domaine public est par conséquent enrichie dans cet arrêt par rapport à la jurisprudence antérieure. D'une part, l'administration peut prendre en compte les exigences du service public de transport maritime et d'autre part, elle ne doit pas « méconnaitre les règles de la concurrence «.
«
L'intérêt de cette décision se voit renforcé par la prise en considération croissante par le juge administratif des exigences du marché mais qui ne doiventpas non plus nuire pour autant aux conditions d'exploitation du service public.
Par conséquent, la conciliation de l'intérêt général et de l'initiative privéen'interdit pas d'accorder des facilités d'exploitation au service public.
La différence réside dans le mode opératoire de l'administration et de l'appréciationdu juge.
Autrefois, la seule référence à l'intérêt général suffisait à justifier le traitement préférentiel accordé au service public (CE 16 avr.1986, « Cieluxembourgeoise de télévision »).
Dorénavant, l'administration, agissant sous le contrôle du juge, doit justifier l'adaptation des mesures à chaquesituation particulière.
Le Conseil d'Etat a donc définitivement abandonné la conception classique du droit administratif selon laquelle la référence à l'intérêt général suffit àjustifier le traitement préférentiel accordé au service public et la mise à l'écart de la liberté du commerce et de l'industrie.II - Les limites à l'intervention de l'action publique dans le domaine économiqueLa puissance publique peut donc accorder des facilités d'utilisation d'un domaine publique à un service chargé d'une mission de service public.
Pourautant, l'action publique dans l'économie est désormais encadrée par les apports de grandes décisions rendues par le Conseil constitutionnel, parexemple à l'occasion des saisines dont il fut l'objet après les votes des lois de nationalisation et de privatisation en 1982 puis 1986.Le Conseil d'Etat avait alors à se prononcer sur la légalité des restrictions prises par l'autorité réglementaire (A) d'une part, et sur l'encadrement del'action publique dans le domaine économique (B) d'autre part.
A.
La légalité des restrictions prises par l'autorité réglementaire
La décision rappelle le principe applicable en la matière : « si ces mêmes collectivités et personnes morales ne sont autorisées par aucunes dispositionslégislatives à consentir aux entreprises chargées d'un service publique de transport maritime le monopole de l'utilisation des ouvrages portuaires […], illeur appartient […] d'apporter aux armements chargés d'un tel service public l'appui nécessaire à l'exploitation du services et le cas échéant de leuraccorder des facilités particulières pour l'utilisation du domaine public ».
Le juge administratif admet traditionnellement que le gestionnaire du service public puisse limiter la concurrence des opérateurs économiques privés ensoumettant leur activité à autorisation préalable (CE, 29 janvier 1932, Société des autobus antibois), et même puisse l'interdire de manière générale eninstituant un monopole au profit de l'activité économique publique (CE, 16 novembre 1956, Société Désaveines).
Comme il a déjà été dit, de telleslimitations pouvaient se justifier non seulement par des motifs de police (protection de l'ordre public, et notamment de la sécurité publique, parexemple, pour les services de transport pour la décision « Société des autobus antibois ») mais également par des considérations de bonne gestion dudomaine public incluant la protection des intérêts du service public qui l'utilise, en favorisant sa rentabilité.La jurisprudence est en revanche plus mesurée en ce qui concerne les activités se déroulant hors du domaine public, mais avec l'appui de ce dernier.
Eneffet, si elle admet la restriction de l'utilisation, ils ne vont pas jusqu'à autoriser le monopole.
Le Conseil d'Etat, par une décision de 1981 « Chambre decommerce et d'industrie de Toulon et du Var » refuse de justifier la restriction par la protection des seuls intérêts financiers du service public maisseulement pour la bonne exploitation du service.
En effet, il rappelle que « s'il appartient aux collectivités et personnes morales publiques, auxquellessont affectées ou concédées les installations des ports maritimes, de permettre l'accès aussi large que possible des armements à ces installations, ellesn'en sont pas moins corollairement en charge de fixer, par une réglementation adaptée à la configuration des ports concernés, des conditionsd'utilisation de ces installations propres à assurer la sécurité des usagers et la protection des biens du domaine public maritime ».Dès lors, tant la jurisprudence que la doctrine ont toujours justifié la légalité des restrictions portées à l'action d'une entreprise privée face à un servicechargé d'une mission de service public que ce soit sur le fondement de l'intérêt général, du bon fonctionnement du service, etc.B.
L'encadrement de l'action publique dans l'économie
L'analyse minutieuse des données concrètes à laquelle se livre le Conseil d'Etat dans la décision « Département de la Vendée » souligne le nombre et ladiversité des fondements et des limites qui circonscrivent l'exercice de ses pouvoirs par l'Administration.
Cette décision s'inspire largement de l'évolutiondu droit communautaire qui admet des restrictions à la concurrence justifiées par les nécessités du service public.
Des grands principes économiques libéraux s'imposent aux interventions publiques à savoir le droit de propriété et la liberté du commerce et del'industrie.
La jurisprudence également avait déjà tenté d'encadrer l'action publique dans l'économie.
La liberté du commerce et de l'industrie a toujoursconnu des limites (l'ouverture des grandes surfaces est par exemple soumise à un régime spécifique d'autorisation) et même certaines interdictions (unfonctionnaire n'a pas le droit d'exercer une activité commerciale) Même en l'absence de texte limitant l'exercice de la liberté du commerce et del'industrie, une atteinte à la liberté du commerce et de l'industrie peut être tolérée par le juge si elle obéit à un objectif d'ordre public (par exemple,l'interdiction faite aux poids lourds de circuler le lundi de Pentecôte qui n'est pourtant plus un jour férié, CE 16 mai 2007, Syndicat des transporteurs demarchandises de la région Nord).En revanche, il est impossible de porter une atteinte générale et absolue à cette liberté du commerce et de l'industrie (C.E.
22 juin 1951, Daudignac : unmaire ne peut soumettre à une autorisation préalable l'exercice de la profession de photographe).
Toutefois, la position du Conseil d'Etat dans la décision « Département de la Vendée » est un peu éloignée du respect des règles de la concurrence, quiimposent l'accès aux infrastructures essentielles dans des conditions abordables et non discriminatoires.
La Commission européenne a d'ailleurssanctionné de telles restrictions, qu'il s'agisse du refus du droit d'accès ou même de la seule limitation dans le temps du droit d'accès.
Par la décision« Département de la Vendée », le Conseil d'Etat a donc atténué l'entrave f aite aux principes de la liberté du commerce et de l'industrie et des règles dela concurrence mais sans l'abandonner totalement.
Il rappelle désormais que l'exercice des prérogatives de l'administration doit être réalisé dans lerespect des règles de concurrence.
L'administration peut en effet, mais seulement « dans les limites compatibles avec le respect des règles deconcurrence et du respect du principe de liberté du commerce et de l'industrie », apporter aux opérateurs publics l'appui nécessaire à l'exploitation duservice et, le cas échéant, leur accorder des modalités particulières d'utilisation, qui peuvent aller jusqu'au monopole.
L'objet de la réglementation n'estdonc pas le respect des règles de concurrence, mais avant tout la bonne gestion du domaine et la protection des activités d'intérêt général dont il est lecadre.
Mais ce respect doit entrer en compte dans l'appréciation des effets de la réglementation.
Cette jurisprudence, sans remettre en cause lespouvoirs du gestionnaire, en limite cependant le champ et la portée..
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