Commentaire de l'arrêt du conseil d'Etat 25 juillet 2008 : COMMISSARIAT DE L'ENERGIE ATOMIQUE
Publié le 17/08/2012
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L'élargissement de la notion de service public à pour conséquence de rendre plus accessible la qualification d'une mission gérée par une personne privée en une mission de service public. C'est cet élargissement de la notion qui, à long terme peut encourager à une dérive de l'attribution de mission de service public à des personnes privées. A l'heure où se pose la question de la continuité des pouvoirs régaliens de l'Etat dans un contexte où ce dernier, incapable de financier la totalité des missions de services publics, est obligé de réduire le nombre de ses administrations et des fonctionnaires qui sont à sa charge. Ainsi, pour continuer à assurer un certain nombre de missions de service public, l'Etat et les collectivités territoriales se trouvent contraints d'assurer ces missions avec des «associés «, c'est à dire des personnes de droit privé comme le CEPN dans le domaine nucléaire. Ce dernier a en effet pour but « l'étude, dans le domaine nucléaire, de l'évaluation, de la protection de l'homme sous ses aspect techniques, biologiques, économiques et sociaux «. Le danger qui apparaît en premier lieu serait une délégation extrême de service public à des organismes privés comme la délégation de fonctions régaliennes à des personnes privés : appliqué au domaine de la justice cela pourrait entrainer une justice privée extrêmement dangereuse. En l'occurrence, la gestion de la sûreté nucléaire qui est bien l'objet de la CEPN apparaît comme faisant parti des fonctions régaliennes de l'Etat, plus particulièrement de la sûreté intérieur du territoire. Récemment, on assiste à une multiplication des agences notamment dans le domaine de la santé : « agence Française de sécurité sanitaire «, «agence Française de sécurité alimentaire « ou encore plus proche du cas d'espèce « l'Agence française de sûreté nucléaire «. Même si leur personnalité morale n'est pas toujours de droit privé, comme par exemple les GIP (Groupements d'intérêt public) ou encore les personnalités morales intuitu personnae comme l'Agence Nationale de la Santé.
«
prérogatives ou privilèges de la puissance publique sont les divers moyens d'action ou de protection, selon la distinction de René Chapus, propres à la puissancepublique.
Ces fonctions principales impliquent qu'elle puisse user à la fois du droit privé et du droit public, c'est-à-dire disposer de prérogatives exorbitantes du droitcommun dans le but de satisfaire à l'intérêt général.
L'arrêt du 8 décembre 1969, SAFER de Bourgogne c/ époux S.
et V.
la définit les prérogatives de puissancepublique comme «un pouvoir d'autorité exorbitant du droit commun et qui s'exerce dans un but d'intérêt général.»
Malgré ces différents critères crées afin de reconnaître un service public en l'absence de qualification textuelle, la notion et la reconnaissance de service public restetout de même floue.
En effet certaines activités, qui ont un caractère obligatoire en vertu de la Constitution, sont nécessairement des services publics (impôts, défense,police,…).Mais la reconnaissance de la qualité de service public d'une activité peut varier suivant les époques, traduisant les évolutions de la société.
C'est ainsi que lareconnaissance du caractère de Service public de la gestion d'un théâtre a été relativement tardive.
D'autres activités n'acquièrent le caractère de service public que dufait d'une carence locale de l'initiative privée.
Il faudra alors envisager l'activité au regard des intérêts de la population locale, espèce par espèce (Conseil d'État, 12juin 1959, Syndicat des exploitants de cinématographes de l'Oranie).
D'ailleurs, l'intervention de l'Administration hors de cette nécessité due à la carence del'initiative privée sera illégale, car contraire à la liberté du commerce et de l'industrie (Conseil d'État, 30 mai 1930 - Chambre syndicale du commerce en détail deNevers).
Enfin, la qualification de service public de l'organisation d'une fête locale dépendra de son caractère traditionnel ou non (Conseil d'État, 12 avril 1972, SieurChatelier).La notion de service public est donc contingente et relativement difficile à saisir.
Historiquement, nous venons de voir que la notion de service public était une notionà géométrie variable puisqu'elle évolue en fonction de la société, que ce soit en terme de besoin pour la population ou en terme de volonté politique.
On observe unemultiplication des établissements privés gérant un service public dont la titulature de prérogatives de puissances publiques n'apparait pas comme indispensable.
Ainsiune remise en cause des critères de l'arrêt Narcy semble appropriée.
B) Un arrêt porteur d'une nouvelle appréciation du critère organique : le recul des prérogatives de puissance publique dans la définition du service public.
En l'absence d'attribution explicite à un organisme de mission de service public, nous venons de voir que le juge avait recours aux trois critères qu'il a institué dansl'arrêt Narcy.
Or en l'espèce le troisième critère de détention de prérogative de puissances publiques n'est pas rempli.
Ce dernier fut durant de nombreuses années,incertain.
Cet arrêt n'est pas le premier en la matière puisque c'est en 1990 que ce problème s'est posé pour la première fois : arrêt de la ville de MELUN.
En effet, lejuge utilisa alors le premier et le deuxième indice mais laissa de côté le critère de la détention de prérogatives publiques.
Suite à cet arrêt, une longue période dedoute s'installe et la question se pose alors de savoir si la détention de prérogatives publiques reste un critère déterminant de la qualification de service public.Ce n'est que 17 ans plus tard que le conseil d'Etat vient trancher sa position par un arrêt récent du 22 février 2007 : l'arrêt APREI (association du personnel relevantdes établissements pour Inadaptés).
Le conseil d'Etat établit alors en l'absence de détention de prérogatives de puissance publique une nouvelle grille de lecture.Dans cet arrêt du 25 juillet 2008 (COMMISSARIAT DE L'ENERGIE ATOMIQUE), où l'association en question(CEPN) ne dispose pas de prérogatives depuissance publique, le juge procède alors par cette méthode récente établie seulement un an auparavant.
En effet, l'arrêt énonce qu' : « indépendamment des cas danslesquels le législateur a lui-même entendu reconnaître ou, à l'inverse, exclure l'existence d'un service public, une personne privée qui assure une mission d'intérêtgénéral sous le contrôle de l'administration et qui est dotée à cette fin de prérogatives de puissance publique est chargée de l'exécution d'un service public (…) mêmeen l'absence de telles prérogatives, une personne privée doit également être regardée, dans le silence de la loi, comme assurant une mission de service public ».En l'espèce, l'arrêt nous explique le raisonnement étape par étape par lequel a procédé le juge.
Selon la formule « indépendamment des cas dans lesquels le législateura lui-même entendu reconnaître ou, à l'inverse, exclure l'existence d'un service public », nous pouvons déduire que le juge regarde dans une première étape si lelégislateur a octroyé la charge d'une mission de service public.
Dans le cas contraire «une personne privée qui assure une mission d'intérêt général sous le contrôle del'administration et qui est dotée à cette fin de prérogatives de puissance publique est chargée de l'exécution d'un service public », le juge applique ici les 3 critèresdégagés dans l'arrêt Narcy que nous avons vu précédemment.Mais se pose alors le problème de la détention de prérogative de puissance publique, troisième critère.
Le doute instauré par l'arrêt de la ville de Melun (20 juillet1990) se dissipe puisque dans cette nouvelle grille de lecture mise en place par l'arrêt APREI (22février 2007) , le juge administratif décide que même en l'absence deprérogatives de puissance publique, le service public peut être reconnu en présence d'une mission d'intérêt général ainsi qu'en présence d'un contrôle particuliernotamment l'existence d'obligations imposées à la personne privé dans l'exercice de sa mission, et l'existence de mesure prises pour vérifier que ces obligations sontbien remplies.Ainsi l'absence de prérogatives de puissance publique ne suffit pas à écarter l'existence d'un service public.
L'absence de prérogatives de puissance publique autorisealors le juge administratif à rechercher, par la méthode du faisceau d'indices, l'existence d'un service public.
En simplifiant sans doute de façon excessive leconsidérant de la décision du 22 février 2007, nous pouvons être amené à penser que plus l'administration exerce une contrôle sur l'activité de l'organisme de droitprivé, plus nous aurons de chances de qualifier un organisme privé de service public.Ce qu'il faut retenir de cette solution est que a recherche de telles prérogatives n'est donc nécessaire que dans le cas où l'organisme privé est véritablement autonome.Dès lors que la personne privée constitue ce que l'on a appelé une association transparente, les prérogatives de puissance publique ne sont plus nécessaires.
Cette nouvelle appréciation du critère organique se substitue, alors à la détention de prérogatives de puissance publique.
Mais ce ne fut pas toujours le cas.
En effet dans l'affaire Lipietz, la cour administrative d'appel de Bordeaux avait décliné la compétence du juge administratif pourstatuer sur la responsabilité de la SNCF, cette dernière ayant transporté en 1944 jusqu'au camp de Drancy des personnes en raison de leurs origines juives.
Pour cefaire, elle a notamment estimé que la SNCF personne morale de droit privé, n'avait pas mis en œuvre des prérogatives de puissance publique qui aurait été à l'originedu préjudice.La question, au vue de la jurisprudence ancienne opposée, du moins antérieure à l'arrêt de la ville de Melun (20 juillet 1990), est de savoir si cette nouvelle grille delecture est bien appropriée dans le sens ou nous pouvons considérer qu'elle manque de précision et laisse la subjectivité du juge agir.
Ces jurisprudences, autant celled'APREI (22 février 2007) que celle du COMMISSARIAT DE L'ENERGIE ATOMIQUE (25 juillet 2009) sont critiquables car elles ne sont pas rassurantes pourl'avenir du service public : elles favorisent soit la subjectivité du législateur soit celle de l'administration car concrètement le juge va devoir se mettre à la place del'administration.
Nous sommes donc en présence d'un déclin manifeste du critère de détention de prérogatives de puissance publique devant une nouvelle identification du servicepublic privilégiant le critère de mission d'intérêt général dans sa définition.II] La mission d'intérêt général : un critère essentiel dans la définition du Service Public
Depuis 1990, le critère relatif aux prérogatives de puissance publique tend à perdre de l'importance.
Ainsi, une activité gérée par une personne privée ne disposantpas de prérogatives de puissance publique peut être qualifiée de service public, dès lors que l'Administration a eu l'intention de déléguer un service public.Le conseil d'Etat applique dorénavant la méthode du faisceau d'indice en l'absence de prérogatives de puissances publiques, afin de déterminer si, un organisme privéla charge d'une mission de service public (A).
A l'inverse de la méthode restrictive qu'étaient les 3 critères définis par le juge administratif lors de l'arrêt APREI (22février 2007), la méthode du faisceau d'indice aura comme conséquence suprême d'élargir l'identification du service public (B)..
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