Commentaire d'Arrêt, Ass. Plénière 9 Mai 1984, Consécration Faute Civile Objective
Publié le 08/07/2012
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En l'espèce, la cour d'appel de renvoi a décidé de partager la responsabilité et donc la réparation à la charge du conducteur vis à vis de sa victime en retenant une faute de celle ci. Le pourvoi considérait en résumé que le défaut de discernement ne pouvait pas permettre de retenir une faute ayant pour conséquence de limiter l'indemnisation. Comme on l'a vu, l'exigence d'imputabilité étant abandonnée par l'assemblée plénière de la cour de cassation, la limitation de la charge de réparation qu'a décidé la cour d'appel dans cette affaire était ainsi validée. La consécration de la faute objective aboutissait alors à opposer à l'enfant en bas âge sa propre faute pour baisser son droit à l'indemnisation intégrale. Avant ces arrêts, cette solution aurait été impossible car le défaut de discernement empêchant la qualification d'un acte de fautif, dès lors, aucune cause d'exonération partielle ne pouvait être trouvée dans les faits de la victime. Celles ci voyaient en permanence leurs dommages réparés intégralement. La limitation de la réparation de l'infans victime est ainsi contraire à l'évolution générale du droit de la responsabilité qui a toujours eu pour objectif de réparer les dommages des victimes. Denis Mazeaud parlait ainsi de « massacre jurisprudentiel des innocents «.
«
générale, c'est surtout la figure du bon père de famille qui est utilisée.
Cette figure rappelle que la faute en matière de responsabilité personnelle est appréciée inabstracto, le juge plaçant le bon père de famille dans les mêmes circonstances externes que l'individu.
Si le bon père de famille placée ainsi dans la même situationaurait commis les mêmes actes, le caractère illicite ne sera pas retenu.
Cette figure de référence du bon père de famille normalement calme, prudent, diligent...estévidemment surtout celle que s'en fait les juges durant une affaire.Le demandeur victime pour engager définitivement la responsabilité de l'auteur de ses dommages ne pouvait pas se limiter à prouver simplement un acte matérieldommageable et illicite, il devait enfin prouver que le défendeur était au moment des faits doué de discernement.
Il fallait donc qu'il y ait eu manifestation de volontéde la part d'un individu conscient de ses actes.
L'élément volontaire n'est pas seulement présent pour les fautes intentionnelles, même au sein des fautes d'imprudenceou de négligence, les actes ont pour base un comportement volontaire.
L'individu devait avoir su accomplir l'acte et comprendre le caractère fautif de celui ci.
Savoirfaire la différence entre le bien et le mal, c'est cette exigence de discernement qui aboutissait à rendre irresponsables des infans ou des aliénés.
Pour ces derniers, leprincipe n'était pas absolu, en effet un aliéné pouvait avoir un intervalle lucide où il redevenait conscient de ses gestes.
Pour les enfants, une distinction était faiteentre ceux en bas âge, privés de discernement et les autres qui en était pourvus.
La limite d'age n'ayant jamais été fixée que ce soit par le législateur ou par lajurisprudence, c'était au juge de considérer l'enfant en l'espèce et de décider si il était sorti de la petite enfance ou non.Dans l'arrêt à commenter, la jeune fille avait 5ans et 9mois et son défaut de discernement était rappelé par les juges du second degré, la conception subjective de lafaute exigeant que l'individu soit conscient de son incorrection aurait dû empêcher la qualification de faute.
Mais c'est sur ce point que revient les arrêts de 1984abandonnant totalement cette condition: désormais la faute n'est plus qu'un acte dommageable et illicite, on peut aussi dire un acte objectivement illicite.Les conséquences d'une telle consécration de la conception objective de la faute civile aboutit à pouvoir rendre un infans responsable personnellement d'une fautemais aussi à en retenir une à la charge de la victime infante limitant son droit à réparation comme dans notre arrêt.
Cette solution de principe ne concerne pas seulement les infans mais aussi tous les autres êtres privés de discernement.
Pour les personnes atteintes de troublesmentales, l'article 489-2 leur est applicable même quand ils sont mineurs comme a pu préciser un arrêt de 1976.
Pour les personnes devenant inconscients après avoirbu ou avoir pris des stupéfiants, une faute objective peut leur être reproché désormais aisément.
La même solution sera retenu pour les personnes subissant unmalaise physique.
On voit ainsi que le cercle des personnes responsables s'est élargi fortement grâce à cette consécration de la faute objective.
C'est une solutionfavorable aux victimes car permettant une indemnisation plus facile, une solution à priori dans l'ère du temps de l'évolution générale du droit de la responsabilité.
II/ une solution presque dans l'ère du temps=
Cette solution semble s'inscrire parfaitement dans l'ère d'objectivation que connait le droit de la responsabilité depuis plus d'un sièle (A) avec cependant uneconséquence qui s'en détache fortement qui est la limitation de la réparation de l'infans victime(B).
A/ une consécration s'inscrivant dans l'ère d'objectivation du droit de la responsabilité
L'évolution générale du droit de la responsabilité se résume souvent par le mouvement d'objectivation constant qu'il a connu depuis plus d'un siècle.
De manière plusgénérale, on pourrait résumer cette évolution par une envie des juges comme du législateur d'indemniser au maximum les victimes.
Ainsi, la responsabilité civile aconnu un élargissement continu avec l'apparition de nouveaux régimes de responsabilité.
Les différentes conditions de la respectabilité se sont aussi vu assouplies.Celle du dommage par exemple où de plus en plus de préjudices ont été reconnus, le dommage moral principalement dont les controverses avant de le voirdéfinitivement consacré ont été importantes.
La perte de chance qui consiste en la perte de la probabilité d'un évènement favorable est aussi un nouveau chef depréjudice qui témoigne de ce mouvement.Pour revenir plus précisément sur le mouvement d'objectivation, on l'a vu avec le développement de responsabilités objectives.
Ce que l'on entend par objectivationde la responsabilité ici, c'est un régime où la faute est absente que ce soit en tant que condition technique ou en tant que fondement.
La première extension dudomaine de la responsabilité civile s'est produit avec la découverte par la jurisprudence à partir de 1896 d'un principe général de responsabilité du fait des choses oùla faute ne jouait plus aucun rôle.
Ce phénomène s'est par la suite poursuivi au sein des régimes de responsabilité du fait d'autrui.
Ainsi la responsabilité des parentsdu fait de leurs enfants est devenue en 1997 une responsabilité totalement objective fondée sur l'autorité parentale.
Et c'est encore actuellement dans le domaine de laresponsabilité du fait d'autrui que la jurisprudence opère les plus sérieux remaniements, en donnant à l'article 1384, alinéa 1er depuis l'arrêt Blieck du 29 mars 1991,le même rôle de responsabilité de plein droit, sans faute, qu'en matière de responsabilité du fait des choses, pour des cas différents des cas classiques deresponsabilité du fait d'autrui.Ce phénomène d'objectivation se retrouve aussi en matière de responsabilité contractuelle avec d'une part le développement d'obligations de résultat, notamment desécurité résultat où à l'inverse des obligations de moyen, l'obligation résultat n'implique aucune appréciation du comportement du débiteur et engendre uneresponsabilité présumée, de plein droit.
D'autre part avec la reconnaissance récente d'une responsabilité contractuelle du fait des choses même si cette solution n'estpas encore certaine.
La consécration de la faute objective s'inscrit alors au sein de ce mouvement général.
Ce n'est cependant pas ici la faute qui est méconnue mais simplement sonaspect moral qui est abandonné.
La conscience chez l'individu n'est plus exigée, ce n'est plus un élément de définition de la faute civile.
Un simple comportementanormal permettra d'engager la responsabilité personnelle d'un individu même privé de discernement.
Cet élargissement des responsables potentielles s'expliquecomme beaucoup d'évolutions du droit de la responsabilité par la politique «de toute indemnisation» de la jurisprudence civile.
De fait, les victimes ne peuvent plusse voir opposer le défaut de discernement de l'auteur de leurs dommages.Quand il s'agit d'individus alcooliques ou sous l'emprise de stupéfiants au moment des faits, ou encore d'individus atteints de malaises, la solution est justifiable, cespersonnes étant en principe solvables, il est naturel qu'elles supportent la réparation des dommages qu'elles causent.
Cependant, l'opportunité de la solution est bienplus délicate en ce qui concerne les infans.
En effet, où est l'intérêt de poursuivre personnellement un infans pour demander réparation de son dommage ? Cesderniers ne sont en principe pas solvables et ne représentent ainsi aucun intérêt pour les victimes.
L'opportunité de la solution est encore plus délicate quand on saitl'évolution qu'a connu le régime de responsabilité des parent du fait de leurs enfants.L'arrêt Fullenwarth est un des 5 arrêts rendu le 9 mai 1984 par la Cour de Cassation en Assemblée plénière.
Il déclarait que « pour que soit présumée sur lefondement de l'article 1384 alinéa 4 du code civil la responsabilité des père et mère d'un mineur habitant avec eux, il suffit que celui ci ait commis un acte qui soit lacause directe d dommage ».
Cela aboutissait à rendre responsable les parents pour un fait même non fautif de l'enfant.
Cet arrêt a suscité beaucoup de doutes quant àson interprétation, il fallu attendre la fin des années 90 avec les arrêt Bertrand et Levert pour voir le visage final de ce régime de responsabilité se déssiner.Désormais la responsabilité des parents est une responsabilité objective, directe et autonome, détachée de celle de l'enfant.
C'est un régime où la responsabilité estmise en jeu quasi automatiquement avec une facilité déconcertante.
On voit donc que l'opportunité pour une victime de mettre en cause personnellement l'enfantdirectement est faible pour ne pas dire nulle.
En tout les cas, la consécration de la faute objective comme on l'a vu est un nouvel exemple du mouvement d'objectivation que connait le droit de la responsabilitécivile.
Cependant, cette solution ne s'inscrit pas aussi parfaitement dans ce mouvement quant on s'intéresse à l'une des conséquences que l'on voit dans notre arrêt quiest la limitation de la réparation de l'infans victime.
B/ une limitation de la réparation de l'infans victime difficilement acceptable
En l'espèce, la cour d'appel de renvoi a décidé de partager la responsabilité et donc la réparation à la charge du conducteur vis à vis de sa victime en retenant unefaute de celle ci.
Le pourvoi considérait en résumé que le défaut de discernement ne pouvait pas permettre de retenir une faute ayant pour conséquence de limiterl'indemnisation.
Comme on l'a vu, l'exigence d'imputabilité étant abandonnée par l'assemblée plénière de la cour de cassation, la limitation de la charge de réparationqu'a décidé la cour d'appel dans cette affaire était ainsi validée.
La consécration de la faute objective aboutissait alors à opposer à l'enfant en bas âge sa propre faute pour baisser son droit à l'indemnisation intégrale.
Avant cesarrêts, cette solution aurait été impossible car le défaut de discernement empêchant la qualification d'un acte de fautif, dès lors, aucune cause d'exonération partielle.
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